Los Angeles, 2019. une grande partie de la population est partie vivre sur des colonies spatiales. Dans ces lieux lointains, des androïdes sont utilisés comme esclaves. Une nouvelle génération d'androïdes se sont rebellés et six d'entre eux ont trouvé refuge à Los Angleles. Rick Deckard, un détective, est chargé de les éliminer.
Après avoir gratifié l'univers cinématographique de ALIEN, Ridley Scott se tourne vers l'adaptation d'un roman de l'écrivain Philip K. Dick. Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? est un livre assez court, un peu plus de 200 pages, dont l'histoire de base est essentiellement reprise dans le film. Quelques différences existent, bien sûr. Dans le roman, le lieu de l'action se situe à San Francisco et elle se déroule en 1992. Deckard est marié et tient plus du brave gars un peu pataud que du détective ténébreux mais les éléments philosophiques et futuristes restent similaires. Quant au titre du livre, il provient de petits moutons électriques que Deckard a suspendu au plafond de son appartement en souvenir de Groucho, un vrai mouton qu'il a eu auparavant. Son rêve est d'en acquérir un autre, la possession d'un véritable animal étant devenu le symbole de richesse vu leur rareté. Pour l'auteur, un androïde est une métaphore pour un être humain qui en a l'apparence mais qui se comporte de manière inhumaine. Et l'une de ses préoccupations majeures dans l'histoire est le danger de devenir l'un de ces androïdes, être inhumain, en essayant de les combattre.
La genèse du film ne fut pas des plus simples. En dépassant le budget d'ALIEN de 500.000 dollars, Scott avait acquis la réputation d'être un réalisateur extravagant. A l'époque, la chose était vu d'un sale œil. Aujourd'hui, les producteurs féliciteraient presque un réalisateur de n'avoir dépassé que de si peu son budget pour un tel film. Ensuite, le scénario est passé par de nombreuses phases de réécritures auxquelles Dick n'a pas participé – l'auteur n'était même pas au courant que l'adaptation avait été mise en chantier et appréhendait quelque peu le résultat. Enfin, le tournage fut difficile pour tout le monde du fait de devoir tout réaliser à l'ancienne et en raison de nombreux tournages de nuit. Il existe également différentes versions du film et rumeurs autour de celles-ci sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Mais au final, le résultat est là et, on peut le dire, il est franchement spectaculaire.
L'univers futuriste de Los Angeles se compose de grattes-ciel immenses, illuminés de panneaux publicitaires au néon. Des engins volants se déplacent entre les immeubles sous une pluie acide incessante. Au sol, l'ambiance devient franchement sordide. Les habitants qui restent survivent comme ils peuvent dans ce monde froid et gigantesque qui inspire la solitude à quiconque le contemple de près ou de loin. Et surplombant le tout se trouve la pyramide de Tyrell, le créateur des androïdes. Enfermé dans sa tour triangulaire, il règne comme si il était Dieu mais en dépit de son apparente invincibilité, il périra des mains de sa propre création.
Chasseur d'androïdes renégats, Deckard accepte sa nouvelle mission sans broncher, ayant toujours besoin d'argent. Il fera la rencontre de Rachael (Sean Young), une androïde de nouvelle génération qui s'ignore et dont les difficultés d'acceptation de son état vont se refleter sur Deckard. Qu'est-ce qui constitue un être humain et comment peut-on l'améliorer ? Mais à force de perfectionnement, ne risque-t-on pas la destruction ? De plus, les androïdes sont dotés d'une durée de vie limitée à quatre ans et lorsqu'ils savent qu'ils sont condamnés à «mourir », cela dérègle leur système au point de ne pas l'accepter.
Rick Deckard est joué par un Harrison Ford intense et vulnérable. Sur le plateau, il y eut certaines tensions entre l'acteur et le réalisateur qui se préoccupait plus de l'ambiance et des décors que de son interprète principal. Peut-être que cette frustration latente aida Ford dans son rôle – quoiqu'il en soit, il se coule dans son personnage avec une facilité déconcertante. Quant à la question qui revient sans cesse – Deckard est-il un réplicant ? – la réponse est oui et c'est encore plus évident dans le Director's Cut dû à l'ajout de petites choses ici ou là, en particulier le rêve de la licorne qui fut une quasi obsession pour Scott. Dans la version cinéma, cela s'averait plus subtil afin, on le suppose, de ne pas aliéner le spectateur lambda qui aurait eu du mal à s'identifier à un «non humain». Pour la petite anecdote, le terme Blade Runner provient d'un livre de William S. Burroughs intitulé Blade Runner : A Movie. Etant un grand admirateur de Dick, Burroughs vendit les droits du terme pour une somme symbolique aux producteurs. Ces mots s'appliquent particulièrement bien au personnage de Deckard qui vit en quelque sorte sur la «lame du rasoir» (blade : lame en anglais).
Du côté des réplicants, nous trouvons d'abord Rutger Hauer. L'acteur a plus de cent films à son actif – certains mémorables, d'autres moins – mais ici, dans le personnage de Roy Batty, il excelle. Blond décoloré, regard bleu acier, il est d'une beauté presque angélique contrastant fortement avec sa personnalité brutale et sans concessions. L'acteur avait improvisé son dialogue final sur «les larmes sous la pluie», un moment particulièrement émouvant malgré l'aspect négatif de son personnage.
Le petit groupe de Batty se voit rapidement réduit dû aux actions exécutoires de Deckard qui ne manifeste aucune empathie pour ses proies, un peu à la manière des réplicants eux-mêmes. La dernière survivante auprès de Batty est Pris, un modèle «plaisir» - mince, jolie et très souple - campé par Daryl Hannah. Au départ, elle se montre vulnérable mais c'est pour mieux gagner la confiance de J.F. Sebastian (William Sanderson) qui est le seul à pouvoir les conduire chez Tyrell. Sa mise à mort par Deckard est l'un des moments les plus surprenants et atroces du film dû à ses convulsions incontrôlables accompagnés de cris aigus.
Avant la sortie d'un film aux Etats-Unis, il est de coutume de faire quelques projections test où les spectateurs peuvent ensuite commenter par écrit le métrage à leur guise sur des cartes prévues à cet effet. Après la première projection test, les spectateurs se disaient confus, déprimés et ne comprenait pas l'histoire. Il fut alors décidé d'incorporer la fameuse voix off et le happy end où Rachael et Deckard traversent un paysage vert et vallonné en voiture (provenant des chutes de SHINING soit dit en passant). Avant tout, il faut savoir que cette voix off existait dans la première version du film mais de manière plus brève. L'idée faisait déjà partie du scénario et était fortement appuyée par Ridley Scott qui aimait beaucoup ce procédé de narration appartenant aux films noirs et dont il voulait retrouver l'ambiance pour BLADE RUNNER. Le happy end avait également été écrit mais jamais tourné faute de budget et Scott ne broncha pas non plus quant à cette nouvelle inclusion. Les projections test suivantes furent excellentes ! Mais la sortie cinéma se déroula dans l'indifférence générale du public et surtout, sous les critiques négatives des journalistes ce qui fut d'autant plus incompréhensible pour ses créateurs.
Une première édition Laser Disc chez Criterion approuvée par Scott présenta le film dans une version plus longue de quinze secondes et avec la fin où l'ascenseur se referme sur Deckard et Rachael (en cours de tournage, il se décida pour cette fin beaucoup plus ambiguë et pessimiste, la première présentée aux projections test). La version cinéma originale avec le happy end est devenue pour ainsi dire introuvable. Mais ce n'est pas tout. Grâce à un conservateur de copies, Michael Arick, qui retrouva d'anciennes bobines du film, le film bénéficia de non pas une mais deux ressorties sur grand écran en 1990 et 1991. A partir des souhaits émis auparavant par Scott, cette nouvelle version contenait certains éléments, mais pas en totalité, que le réalisateur désirait voir dans son film. Le réalisateur, qui n'avait pas participé au remontage, refusa donc l'appellation Director's Cut sous peine de poursuites judiciaires. La version que vous pouvez découvrir sur ce DVD contient quant à elle quasiment tous les éléments désirés par Scott. Selon ses propres dires, elle est presque parfaite mais pas à 100% et ne devrait logiquement pas porter l'appellation de Director's Cut. Espérons alors qu'un jour, le réalisateur pourra enfin sortir l'édition ultime que l'on nous promet depuis de longues années…
L'image est présentée dans son format 2.35 d'origine. Elle a été remasterisée et malgré quelques usures de pellicule, le résultat parle par lui-même. Malgré les nombreuses scènes de nuit, les contours et les contrastes sont nets. La palette de couleurs est très réduite au départ, contribuant à la désolation des lieux. Scott est un réalisateur qui vient de la publicité et cela se ressent dans le sens où il sait comment composer ses images sans pour autant les alourdir d'effets de style inutiles. Le format Scope est tout simplement sublime et les décors assez bien faits pour être entièrement crédibles.
Les pistes sonores sont au nombre de trois et toutes en stéréo surround. Quelques différences de niveau sont à constater mais en règle générale, les dialogues sont clairs et audibles. La musique composée par Vangelis se déploie dans les enceintes avec mélancolie, soulignant l'aspect déprimant du film.
Le département supplément est quant à lui désespérément vide, renforçant notre impatience de voir un jour une édition complète et estampillée «Ridley Scott approved» qui serait vaguement annoncée pour l'année prochaine, en 2007, mais cela traîne depuis si longtemps que l'on fini par ne plus y croire. Jusque là, vous pouvez toujours admirer le film presque comme il doit l'être avec cette édition à un prix raisonnable.