Quand bien même ses parents veulent qu'il devienne avocat, le Mexicain Juan Lopez Moctezuma se passionne très tôt pour le cinéma et les formes d'expression artistique. Il produit ainsi des émissions de radio et s'intéresse à des activités théâtrales et, dans ce cadre, il rencontre, au cours des années 1960, Alejandro Jodorowsky, un chilien qui, à cette époque, travaillait sur des spectacles d'avant-garde à Paris, aux côtés de surréalistes tels que Topor ou Arrabal. Au Mexique, Moctezuma décide de produire FANDO ET LIS, adaptation d'une pièce d'Arrabal et première réalisation de Jodorowsky. Deux années plus tard, Moctezuma et Jodorowsky collaborent pareillement pour un second long métrage : EL TOPO, un western à l'atmosphère étrange.
Finalement, Juan Lopez Moctezuma décide de passer lui-même à la réalisation en adoptant pour le grand écran une nouvelle d'Edgar Allan Poe : Le système du docteur Goudron et du professeur Plume. Pour ce faire, il réunit une équipe ayant déjà fait ses preuves sur les réalisations de Jodorowsky : le chef-opérateur Rafael Corkidi, le producteur Robert Viskin et le monteur Frederico Landeros sont ainsi de la partie. De plus, pour superviser la direction artistique, il fait appel à la peintre surréaliste Leonora Carrington. De même, il recrute, pour incarner le docteur Maillard, les services de Claudio Brook, un grand acteur mexicain à la carrière internationale : on l'a ainsi vu dans de nombreuses productions aussi variées que LA GRANDE VADROUILLE de Gérard Oury, LA PLUIE DU DIABLE de Robert Fuest, L'ASSASSINAT DE TROTSKY de Joseph Losey… Surtout, il a été un fidèle de Luis Bunuel, notamment au cours de sa carrière mexicaine (SIMON DU DESERT, L'ANGE EXTERMINATEUR…).
Gaston Leblanc, un français, revient dans son pays après un long séjour aux Etats-Unis. Journaliste de profession, il va alors visiter l'asile de fous du professeur Maillard, lequel est supposé employer des méthodes révolutionnaires. Maillard accueille chaleureusement le visiteur et lui fait visiter son institution. LeBlanc y découvre que les fous sont laissés en liberté et que la méthode de Maillard consiste à leur permettre d'exprimer leurs dérangements mentaux, tant que cela ne les rend pas dangereux pour eux-mêmes et les autres malades…
Dès lors, tout le début de LA MANSION DE LA LOCURA nous ballade dans cet asile et nous fait rencontrer ses pensionnaires hors du commun. Un homme, qui se prend pour une poule, vit parmi les gallinacés et se nourrit de grains ; des fous assemblent un échafaudage de ferrailles dont l'usage paraît mystérieux ; une femme se livre à une insolite chorégraphie… Mais il y a anguille sous roche. Le professeur Maillard lui-même adopte parfois un comportement dont l'excentricité n'est pas digne d'un savant. Dans la forêt environnante, des aliénés attaquent et kidnappent les compagnons de voyage de LeBlanc…
En fait, en adoptant la nouvelle de Poe, Moctezuma donne à voir le spectacle de la folie. Comme LE ROI DE COEUR de Philippe de Broca, il nous montre un lieu livré aux fous, lesquels adaptent à leur excentricité l'univers les entourant. Mais si les fous du film français étaient poètes et sympathique, ceux de Moctezuma s'avèrent bien plus inquiétants et menaçants !
Si le délire et l'anarchie ont ainsi la part belle dans ce long métrage, celui-ci n'en bénéficie pas moins de qualités techniques et spectaculaires avérées. Superbes mouvements de caméras, photographie soignée, costumes et décors aussi délirants qu'inspirés… LA MANSION DE LA LOCURA offre un spectacle surréaliste dont l'intensité culmine dans son final. Au cours de celui-ci, les malades se réunissent dans le décor d'un extraordinaire bâtiment, meublé de vitrines de verre à l'intérieur desquelles sont disposées d'inertes corps humains. Le film prend alors l'allures d'un cirque démesuré, au diapason de l'interprétation hallucinée de Claudio Brook.
Toutefois, LA MANSION DE LA LOCURA souffre de la minceur de son propos et de son intrigue. Cette dernière parait démesurément étirée. La première moitié, notamment, semble hésitante, le spectateur pouvant se demander où Moctezuma veut en venir… L'hystérie et le flamboiement du spectacle ne suffisent pas à meubler correctement le métrage. Ce dernier évoque finalement un essai formel plutôt qu'un film construit et réellement abouti.
Film inégal, mais aussi impressionnant par ses qualités visuelles, LA MANSION DE LA LOCURA détonne, à sa sortie, par rapport à la tradition du cinéma fantastique mexicain, traditionnellement orienté vers des oeuvres à destination nettement plus populaires. Son approche avant-gardiste lui vaut une certaine renommée, notamment en Europe. Ainsi, il est présenté au cours du second Festival du Film Fantastique de Paris, festival auquel Moctezuma, au cours des années 1970, reviendra plus tard avec ses deux autres réalisations : MARY, MARY, BLOODY MARY et ALUCARDA.
Aux USA, il est distribué en 1976 comme un film d'épouvante choquant et montré dans des circuits de cinéma d'exploitation ! Pour un film rentrant plutôt dans la catégorie «Art et essai», le choix paraît discutable…
En DVD, LA MANSION DE LA LOCURA vient de sortir chez Mondo Macabro (NTSC, multizone) éditeur ayant déjà distribué ALUCARDA. Le film est proposé dans son format 1.33 d'origine, avec une qualité d'image globalement bonne. La copie n'est pas impeccable (pas mal de rayures sont perceptibles et les couleurs semblent délavées ou virent sur le rosâtre), mais le télécinéma offre une stabilité, des contrastes et une définition d'excellente tenue. On regrette quelques soucis de compression dans les noirs.
La bande-son est proposée en anglais (langue du tournage) et en espagnol, dans les deux cas en mono codé sur le canal central. Un sous-titrage anglais est disponible et amovible à volonté. La piste anglaise sonne beaucoup plus naturelle, tandis que la piste espagnole s'avère plus propre, mais aussi plus artificielle. Dans les deux cas, c'est du très bon travail. Le film étant ici proposé dans un montage plus complet que celui exploité aux Etats Unis, certains passages passent en espagnol avec des sous-titres anglais même si on visionne le film en anglais.
En guise de suppléments, on retrouve des éléments déjà présents sur le disque d'ALUCARDA, à savoir une featurette de 14 minutes dédiée au travail de Moctezuma et une interview avec Guillermo Del Toro, lequel évoque le cinéma de Moctezuma et l'acteur Claudio Brook (qu'il dirigea dans son CRONOS). On a aussi accès à une bande-annonce américaine (avec un logo Something Weird Video incrusté sur l'image) et à une galerie de photos d'exploitation et d'affiches anglo-saxonnes. Enfin, on trouve une interview de Moctezuma sous forme de texte, datant de 1972, ainsi qu'une biographie et une filmographie lui étant dédiées. Un court texte revient sur le film lui-même. Enfin, un montage de bandes-annonces donne un aperçu des sorties passées et à venir de cet éditeur.
Mondo Macabro signe donc un disque qui, même s'il n'offre pas une interactivité aussi complète que sur ses meilleurs DVD, s'avère satisfaisant et permet de découvrir cette rareté dans de bonnes conditions techniques.