Critique du film
et du DVD Zone 2
DER DIEB VON BAGDAD
1940
A l'origine du VOLEUR DE BAGDAD, on trouve un producteur extrêmement ambitieux : Alexander Korda. Comme de nombreux hongrois (l'acteur Bela Lugosi par exemple…), l'arrivée au pouvoir d'un régime autoritaire en 1920 le chasse de son pays, et il passe les dix années suivantes à travailler dans le domaine du cinéma en Autriche, en Allemagne, aux USA, et même en France, où il co-réalise l'immortel MARIUS avec Pagnol ! Au début des années 1930, Alexander s'installe en Grande-Bretagne et, alors que l'industrie cinématographique de ce pays est mal en point, il produit et réalise une fresque prestigieuse destinée avant tout au marché international : LA VIE PRIVEE D'HENRY VIII, un triomphe qui vaut une renommée mondiale à l'acteur Charles Laughton. Alexander Korda, à travers sa compagnie London Film Productions, devient une figure majeure du cinéma britannique, et il continue à produire des œuvres fastueuses, dont certaines sont devenues des classiques du fantastique (FANTOMES A VENDRE de René Clair) ou de la science-fiction (LA VIE FUTURE de W.C. Menzies et L'HOMME QUI FAISAIT DES MIRACLES de Lothar Mendes).
En 1938, les affaires de Korda périclitent, et le voilà obligé de céder sa firme. Il ne baisse pourtant pas les bras et envisage d'élaborer une superproduction : LE VOLEUR DE BAGDAD. Pour ce faire, il décide de s'entourer de personnes ayant déjà fait leurs preuves à ses côtés. Ainsi, le rôle titre échoit au jeune acteur indien Sabu, révélé dans deux de ses productions d'aventures exotiques : ELEPHANT BOY et ALERTE AUX INDES. Pour incarner le méchant Jaffar, Korda fait appel à Conrad Veidt, comédien allemand mondialement connu (on se contentera de rappeler qu'il incarne César le somnambule dans LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI), alors en exil à Londres et apparu peu avant dans L'ESPION NOIR et ESPIONNE A BORD, tous deux réalisés par Michael Powell.
Pour la mise en scène, Alexander Korda fait appel à Ludwig Berger, un réalisateur allemand dont le travail l'enthousiasme. Pourtant, dès la préparation du tournage, l'atmosphère s'assombrit. Berger veut employer le compositeur Oscar Straus avec lequel il venait de collaborer sur une opérette filmée nommée TROIS VALSES. Straus écrit la musique avant que le tournage ne commence, et Berger veut demander aux acteurs d'évoluer au rythme des partitions, ce qui aboutit à des résultats jugés décevants. Qui plus est, au cours des essais, Berger favorise direction des comédiens sur la mise en valeur des décors et le caractère spectaculaire des séquences.
Finalement, dès le début du tournage, Alexander Korda lui met des bâtons dans les roues. Non seulement il confie certaines scènes à Michael Powell, mais, en plus, il s'incruste sur les plateaux où tourne Berger, lui impose ses quatre volontés, voire tourne lui-même certaines scènes. La musique de Straus est remplacée par celle composée par un musicien alors peu connu : Miklos Rosza (BEN-HUR version Wyler…) ! Tim Whelan, un réalisateur américain, est encore recruté pour s'occuper des séquences d'action, tandis que Powell dirige des passages à grand spectacle. Finalement, le tournage s'interrompt avec l'arrivée de la seconde guerre mondiale. Il sera achevé par Alexander et Zoltan Korda, exilés aux Etats Unis. Ainsi, alors que certains extérieurs doivent être captés dans des pays exotiques, comme l'Egypte, l'équipe les filme dans des parcs naturels américains. Après deux années de production, LE VOLEUR DE BAGDAD sort dans les salles anglaises pour le jour de Noël, en 1941.
Il était une fois, au temps des Mille et Une Nuits, un prince nommé Ahmad, qui régnait sur la ville de Bagdad. Mais le sinistre Jaffar le conseille mal, et le peuple, malheureux, souhaite la mort de son souverain. Jaffar finit par ourdire un vil complot contre le jeune prince et parvient à le faire jeter en prison. Ahmad s'évade en compagnie d'Abu, un petit voleur, et les deux amis partent vers Basra, une belle cité dirigée par un sultan. Ahmad s'éprend de la fille du sultan, laquelle l'aime en retour. Mais Jaffar convoite lui aussi la princesse…
Si ce film s'appelle LE VOLEUR DE BAGDAD, c'est parce qu'Alexander Korda a négocié avec Douglas Fairbanks le droit d'utiliser ce titre, que le comédien-producteur avait déjà attribué à son classique de l'aventure exotique de 1924 : LE VOLEUR DE BAGDAD. Logiquement, des éléments de ce chef d'œuvre se retrouvent dans cette nouvelle version. Le film se conclut par l'arrivée du héros en tapis volant, un cheval volant galope dans les airs, et certaines scènes, telle la poursuite du voleur dans les rues de Bagdad, résonnent comme des échos des aventures de Fairbanks.
Pourtant, la trame d'ensemble est bien différente. Le personnage du voleur devient un enfant, et il partage l'affiche avec Ahmad, un monarque désireux de récupérer son trône et sa bien-aimée. Si ce prince vit la plupart des séquences romantiques, c'est avant tout Abu qui hérite des scènes d'action et d'aventures, lesquelles sont essentiellement concentrées dans la seconde moitié du métrage.
LE VOLEUR DE BAGDAD version Korda émerveille d'abord par sa splendeur visuelle, patente dès ses premières images qui nous entraînent dans un Bagdad de légende, se dressant, multicolore, devant de gigantesques montagnes bleues. Conçue par Vincent Korda, frère d'Alexander, et, entre autres, W.C. Menzies (déjà responsable des décors de la version 1924), la direction artistique, transcendée par un Technicolor magnifique, fruit du travail du grand chef opérateur français Georges Périnal, éclate à l'écran en une symphonie visuelle éblouissante.
Comme nous l'avons vu, Abu traverse de nombreuses aventures extraordinaires, donnant lieu à une pléthore d'effets spéciaux, alors très innovants, qui valurent à Lawrence W. Butler un Oscar. Si certaines incrustations ont un peu vieilli, le travail sur les matte painting et les maquettes reste, aujourd'hui encore, stupéfiant. De toutes manières, dans toutes les séquences fantastiques, au-delà de la qualité technique, la magie et la poésie surgissent toujours à l'écran, et c'est bien là le plus important..
LE VOLEUR DE BAGDAD n'est pas qu'un simple récit d'aventures, et il contient son lot de passages émouvants, touchants. Pour mémoire, citons la belle rencontre entre Ahmad et la princesse, laquelle, découvrant le reflet du jeune homme dans une mare, le prend pour un génie vivant sous l'eau. Quant à Abu, le voleur de Bagdad, il enthousiasme par sa simplicité, sa vitalité et son goût pour l'aventure, toutes ces qualités étant restituées avec une fraîcheur inouïe par Sabu. Ce personnage émeut aussi, quand, pour s'envoler sur un tapis magique subtilisé, il fait appel à la mansuétude d'Allah, lequel répondra favorablement à la prière de cet humble petit voleur au cœur pur.
Merveilles parmi les merveilles cinématographiques, LE VOLEUR DE BAGDAD éblouit encore et toujours les spectateurs plus de soixante années après sa sortie. Ce chef-d'œuvre, ayant coûté deux millions de dollars de l'époque, s'impose définitivement comme un des sommets du cinéma d'aventures anglais, et une des plus belles illustrations des contes orientaux jamais portées à l'écran.
Déjà publié à l'époque du laserdisc, LE VOLEUR DE BAGDAD a connu plusieurs éditions en DVD, dont une en France, chez studiocanal (zone2, PAL), et une aux USA (Zone 1, NTSC) chez MGM. En Allemagne, Anolis Entertainment a sorti, cette année, un nouveau DVD pour ce classique, disque que nous allons décortiquer ici.
L'image est proposée dans son cadrage 1.33 d'origine, et offre une qualité assez étonnante. Certes, les plans truqués trahissent des problèmes d'incrustation et une importante granulation. D'autres images peuvent être polluées par quelques saletés, quelques noirs manquant de profondeur ou quelques plans flous. Au vu de la complexité du procédé Technicolor trichrome et de l'âge avancé de ce film, ces quelques tares sont excusables, surtout que, la plupart du temps, l'image est magnifique, notamment grâce à une palette de couleurs resplendissante.
La bande-son est proposée, en allemand et en anglais, en mono d'origine codé sur deux canaux. Certes, un bruit de fond est, dans les deux cas, assez présent, et certains dialogues un peu assourdis ne passent pas très bien. Mais la dynamique et l'équilibre tonal de la piste anglaise s'avèrent des plus agréables et, encore une fois, au vu de l'âge du film, ces défauts n'ont rien de choquant. Un sous-titrage allemand amovible est disponible.
Là où cette édition surpasse ses concurrentes, c'est certainement dans le domaine des suppléments. Le boîtier, orné de l'affiche française d'époque, contient un feuillet, lui-même agrémenté d'une reproduction d'un poster espagnol. On peut y lire des notes de production soignées, en allemand. Sur le disque lui-même, on trouve d'abord une bande-annonce anglophone et une bande-annonce allemande. Ensuite, on peut visionner une galerie d'affiches, de photographies de plateau et de matériel promotionnel en tout genre qui défile durant quatre minutes. Puis, les génériques de début et de fin d'une copie allemande du film (le DVD proposant en fait une copie anglophone) peuvent être consultés. On arrive ensuite dans le coin des biographies, qui proposent des textes en allemand sur Sabu, John Justin, June Duprez et Miles Malleson. Surtout, une bio-filmographie détaillée et érudite de Conrad Veidt occupe à elle seule 28 pages de textes à afficher !
En farfouillant un peu, le spectateur peut encore trouver une bande-annonce allemande du LIVRE DE LA JUNGLE, un autre beau film d'aventures interprété par Sabu et produit par Alexander Korda, juste après LE VOLEUR DE BAGDAD. Enfin, un autre supplément caché propose GRIEF IN BAGDAD, un court-métrage muet parodiant LE VOLEUR DE BAGDAD version 1924, en attribuant les rôles principaux à des chimpanzés, ces derniers se livrant à des facéties drolatiques ! Cette curiosité n'est pas inconnue des DVD-philes français, puisqu'elle se trouve aussi sur le superbe DVD du LE VOLEUR DE BAGDAD version Fairbanks proposée par Arte vidéo (à ne surtout pas confondre avec l'édition sans doute médiocre distribuée dans la peu recommandable collection "L'odyssée du Cinéma")
Par sa qualité éditoriale, ce DVD allemand l'emporte donc facilement sur les disques français et américain. Par contre, il ne propose pas d'options francophones, ce qui peut pousser des spectateurs à se rabattre sur l'édition Studiocanal.