EUROCINE : 33 CHAMPS-ELYSEES

11 juin 2013 
EUROCINE : 33 CHAMPS-ELYSEES

Eurociné. Pour beaucoup, la simple mention de ce nom est synonyme de nanar et de film fauché, de "zombie lake" ou de cannibales franchouillards. La faute à l'arbre qui cache la forêt, la queue d'une étoile filante qui avait fini de briller en ce début des années 80. Pourtant Eurociné, c'est une boîte de production qui avait déjà plus de vingt ans derrière elle, au moment où quelques uns de ses titres allaient devenir cultes, pour des raisons pas toujours très gratifiantes. L'auteur de ces lignes avoue lui-même s'être alors rendu au cinéma dans le but avoué de rigoler un bon coup. C'étaient les derniers feux des salles de quartier, l'avènement prochain d'une certaine VHS. Le temps allait faire son œuvre.

A l'occasion de la diffusion prochaine, sur l'une des chaînes de Ciné+, de EUROCINE : 33 CHAMPS-ELYSEES, un document sur l'histoire de la firme, la Cinémathèque Française a consacré, en mars 2013, l'une de ses fameuses séances de cinéma Bis à une projection en avant-première. En présence de son réalisateur, Christophe Bier, et de Daniel Lesoeur, digne héritier de son père Marius, représentant inamovible de la marque. Dans la salle, à côté de têtes issues du fanzinat, étaient également présents, on allait l'apprendre par la suite, Alain Deruelle (alias Alan W. Steeve !), le réalisateur de TERREUR CANNIBALE, et un acteur ayant traîné ses guêtres dans quelques bandes du crû. Pour ainsi dire, nous étions en famille. Et la soirée allait se révéler aussi poignante que celles en présence, jadis, de Howard Vernon ou Jesus Franco.

Eurociné. A priori, une façon évidente d'envisager le sujet : dans la continuité des propos qui ouvrent cette chronique, on choisit d'en rire, pas méchamment hein, mais quand même. C'est sans compter sur le sieur Christophe Bier. On ne présente plus ce défenseur des cinémas populaires et de leurs émanations les plus transverses, par le biais de ses écrits. Il suffit pour s'en convaincre de citer deux livres, le petit "Censure-moi" (2000, L'Esprit Frappeur) et le gros "Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques 16 et 35 mm" (ouf !) (2011, Serious Publishing). En passant à l'image, le bonhomme choisit la voie d'une nostalgie teintée d'émotion. Sentiment qui pourra certes n'être partagé que par quelques-uns, mais au diable. Oui, on a bien ri, mais s'il faut le faire, ce sera avec, et non contre. Et en mettant en évidence le fait que ce qu'on tenait là, on ne le retrouvera plus.

Nous ne reviendrons pas sur l'histoire proprement dite de la firme, vous la dénicherez bien quelque part, en compulsant ou en "surfant", ou tout simplement en visionnant ce document filmé. Ce ne serait que paraphraser les historiens du sujet, et de toutes manières, en moins bien. Le documentaire choisit d'ailleurs de s'extraire de ce passage obligé, en pratiquant une énorme ellipse temporelle entre les débuts de Marius Lesoeur, forain d'origine, et de sa boîte, avec les années 70, fleurons de l'existence de cette dernière. Nous allons plutôt nous attacher à quelques anecdotes, ô combien pittoresques, présentes dans l'enquête fourmillante de M. Bier.

Présenté sous la forme maintenant éprouvée d'un découpage par chapitres, façon littérature pulp (voir FRISSONS TEUTONS présenté sur Arte, ou LE GIALLO, UNE HORREUR EROTIQUE diffusé sur CinéCinéma Club, le documentaire choisit bien vite de s'attarder sur les visages et les témoignages de personnages ayant gravité autour de la "maison" Eurociné. "Maison" au sens premier du terme, puisque l'on apprend que nombre de tournages ont eu lieu dans l'environnement quotidien de la famille Lesoeur. Et c'est là toute la magie du cinéma qui se présente sous nos yeux. Ou comment une salle à manger et un salon, par la grâce de tentures et d'accessoires, ont pu représenter à l'écran un commissariat, un bordel ou le siège d'une entreprise mafieuse, dans maints et maints films. Par le biais d'un morcellement de l'image en split-screens, on constate alors avec effarement et amusement qu'il s'agit bien toujours du même lieu. Immortalisé sous un seul et unique angle de vue, pas de place pour poser la caméra ailleurs ! Et la chambre et le grenier ne seront pas en reste.

Daniel Lesoeur nous rapporte qu'il recevait ses acteurs et l'équipe de tournage à la maison, au cours de week-ends mêlant plaisirs du barbecue et activités plus cinématographiques. La définition même d'une entreprise familiale !

Pour en revenir à l'idée de réutilisation, ce sera donc une constante des méthodes de travail de Eurociné. Les stock-shots, et les chutes, bien évidemment. Mais également les doubles tournages, afin de rentabiliser lieux, acteurs et accessoires. Nouvel exemple en duovision, avec ce train filmé d'un côté ou de l'autre, selon le film de guerre dans lequel il apparaît. Témoignage encore, avec cette anecdote sur les figurants cannibales, Jess Franco ignorant que ceux-ci étaient réquisitionnés pour une autre bande tournée en soirée à son insu par le sieur Deruelle. Et les bibelots, "de merde" dixit un Gilbert Roussel hilare, omniprésents dans le cadre pour "faire plus riche", selon les vœux du producteur. C'est vraiment, insistons là-dessus, toute la magie du cinéma qui est ici invoquée. Un cinéma, art du montage, du collage, qui par l'illusion du champ contrechamp, de la bande-son, parvient à créer une continuité, même factice. Et c'est sûr que, dans bien des cas ici présentés, il faut être indulgent, laisser raison au placard, et se remettre dans le bain d'années dédiées au bricolage, à la passion… un peu à l'argent quand même. Ou comment donner vie aux genres et à leurs figures dans un contexte à priori inadéquat. Et les truands, sadiques, soldats, indigènes et autres dominatrices, de faire leur ronde devant un rideau, un bosquet, ou la façade d'un modeste pavillon de banlieue.

A part cela, on partagera avec plaisir les témoignages de Daniel Lesoeur, les interventions du volubile Gilbert Roussel ou la présence de la sympathique Monica Swinn. Puis, sur la fin, un coup de génie. Christophe Bier apparaît dans le champ et parcourt une nouvelle fois la fameuse maison en compagnie de son hôte. Celui-ci ouvre alors un placard, et en ressort des boîtes soigneusement classées et étiquetées. A l'intérieur de celles-ci, parfaitement conservés, des costumes, des souliers, reliques concrètes des tournages relatés auparavant. Christophe les découvre avec émotion, et se fait alors le représentant de tous les collectionneurs de l'univers. Ce n'est pas tant l'objet à l'image à cet instant qui est important, mais l'idée qu'il matérialise, celle du souvenir, de la mémoire, évidemment propre à chaque spectateur. Celui d'une époque où l'affiche et le jeu de photos épinglés au frontispice de la salle étaient tout aussi importants que l'œuvre qui se cachait derrière. Et c'est à ce moment précis que la nostalgie nous explose à la gueule. Le tour de piste est fini. Aussi bricolé qu'il ait pu être, il nous a fait rêver, sourire, aura illuminé quelques instants de notre vie de Bissophile. A côté des Barnum médiatisés et reconnus, il faudra toujours un cirque brinquebalant, conduit par un monsieur Loyal et ses saltimbanques dévoués. Le coup de blues ultime sera asséné par Jean-Pierre Bouyxou, des trémolos dans la voix : rien que le fait que ORLOF et LA COMTESSE NOIRE aient pu exister sous les bons auspices de Eurociné, et tout est dit … Echouée, à l'orée des eighties, sur les rives nauséabondes du Z rital, par le biais de ses pauvres ersatz de morts-vivants et autres cannibales, Eurociné avait au préalable permis à quelque franc-tireur de déployer tout son art de la poésie visuelle, en dehors de toute allégeance aux canons d'alors.

L'entretien avec le public, qui suivit la projection, ne pouvait qu'enfoncer le clou, confirmant un Daniel Lesoeur définitivement affable et modeste. Jean-François Rauger laissait pour une fois ses habits de maître de cérémonie au vestiaire, faisant place aux propos passionnés de Christophe Bier.

Le complément de programme, le méconnu DES FILLES DANS UNE CAGE DOREE (ou UNE CAGE DOREE), jouait quant à lui le rôle de parfaite mise en pratique de la théorie. Réalisé par le "célèbre" A.M. Frank, en fait Marius Lesoeur, et non Jess Franco, cette improbable récit de l'exil d'un marchand de filles de Hong Kong vers notre capitale, permettait de nous dévoiler in situ tout l'art du montage et du bricolage susmentionné. Le désormais fameux salon familial, transformé pour l'occasion en night-club asiatique, face à un grandiose spectacle d'opéra chinois : proprement surréaliste. Il faudra passer outre la post-synchro relevant du pur aléatoire, des relents de xénophobie anti-jaune d'un autre temps, et se réjouir à la vue de quelques grands dadais jouant à faire "pan-pan" avec leur pistolet. Comme quoi, on peut être de mauvaise foi à la vue d'un film. En tout les cas, une scène à retenir plus que toutes : la fille qui fouille le mobilier du commissariat dans lequel elle est retenue, et offre à la vue du spectateur médusé la présence d'un jouet en bois sur l'étagère du bas ! Sans oublier non plus, notre regretté Jess Franco, marmonnant de manière ironique à la vue d'un superbe et sensuel effeuillage : "… et il y en a qui appelle cette merde de l'art …".
In memoriam.

Laurent "Savoy1" Savoyen

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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