Si TRAS EL CRISTAL est le premier long métrage signé par le réalisateur Agustí Villaronga, celui-ci s'était pourtant déjà illustré au cinéma auparavant, en faisant le comédien ou en tournant des courts-métrages dès le milieu des années 1970. Dans un premier temps, il envisage de mettre en scène un personnage totalement dépendant de son entourage. L'idée de le placer dans un poumon d'acier lui vient à l'esprit. Puis, il s'intéresse au tristement célèbre Gilles de Raie, compagnon d'arme de Jeanne d'Arc qui se rendit célèbre en assassinant des centaines d'enfants par sadisme. Dès lors, Villaronga décide de marier ces deux concepts en un seul. Il aboutit alors au récit de TRAS EL CRISTAL, lequel est placé dans un cadre historique lié à la seconde guerre mondiale et à l'Espagne franquiste.
Agustí Villaronga recrute pour son film deux comédiens expérimentés, à savoir l'allemand Günter Meisner (habitué des productions internationales et des rôles d'officier allemand, les Français se rappelant notamment de son interprétation de Hitler dans L'AS DES AS de Gérard Oury) et Marisa Paredes (TALONS AIGUILLES d'Almodovar, L'ECHINE DU DIABLE…). Le tournage se déroule difficilement, les prises de vue se voyant même interrompues en cours de route faute d'argent ! Heureusement, TRAS EL CRISTAL sera tout de même terminé, pour un budget assez modeste d'un million de dollars.
Klaus, un scientifique allemand ayant torturé et tué des enfants durant la seconde guerre mondiale, s'est réfugié dans l'Espagne du général Franco. Là-bas, poussé par ses pulsions sadiques, il tue un adolescent, puis se jette du sommet d'une tour. Il survit au choc, mais se retrouve très diminué. Totalement paralysé, il ne peut plus respirer sans l'assistance du poumon d'acier dans lequel il est enfermé vingt quatre heures sur vingt-quatre. Alors que Griselda, son épouse, n'en peut plus de cette vie, un jeune homme nommé Angelo se présente pour prendre une place de garde-malade et s'occuper de Klaus…
Derrière l'argument de TRAS EL CRISTAL se profile en fait les éléments d'un drame historique, jonglant avec de sinistres évènements de l'histoire européenne. D'une part, Klaus est un criminel de guerre, tueur et violeur d'enfants ayant sévi en toute impunité dans les camps de concentration nazis. D'autre part, TRAS EL CRISTAL se déroule en Espagne, dans les années 1950-60, en plein dans l'Espagne du général Franco. Derrière les apparences d'une rigueur morale catholique, ce régime fut un gouvernement policier et, par ailleurs, l'allié des troupes nazies durant la guerre, c'est-à-dire le complice d'un des pires régimes criminels de l'histoire de l'humanité. Il est dès lors logique que, en son sein, se cachent des assassins, des criminels au lourd passé tels que Klaus.
TRAS EL CRISTAL mêle des sujets troubles, choquants, tels que la pédophilie, les assassinats d'enfant, les crimes nazis ou les rapports de soumission. Approchant le nazisme en mettant en avant le thème des perversions sexuelles, il nous renvoie à des classiques italiens des années 1970 tels que SALO OU LES 120 JOURNEES DE SODOME (sadisme…) de Pasolini, LES DAMNES (inceste…) de Visconti, ou, surtout PORTIER DE NUIT (relation sado-masochiste) de Cavani, film avec lequel il entretient de nombreux liens.
Si ces éléments historiques s'avèrent très présents dans TRAS EL CRISTAL (dès le générique, qui aligne une série d'abominables et authentiques clichés en provenance des camps de concentration et d'extermination), son propos n'est pas historique. Son cadre oui, mais il n'articule pas des discours sur le fascisme ou le nazisme aussi construits que ceux élaborés par Visconti ou Pasolini.
Klaus est avant tout un personnage de sadique, une sorte de serial killer ayant pu exercer ces vices à cause des libertés que lui accordaient les régimes fascisants de l'Europe du XXème siècle. Le mal et sa transmission, les rapports ambiguës entre victimes et bourreaux, voilà les vrais sujets de TRAS EL CRISTAL. Toutefois, en se concentrant sur cette thématique, il n'approche que très vaguement celle du nazisme, lequel ne reste qu'une toile de fond «shock», peu développée, ce qui n'est pas sans fragiliser le métrage et lui donner un aspect un peu flou, mal équilibré.
En fait, TRAS EL CRISTAL est film d'épouvante. Agustí Villaronga plonge progressivement la maison de Klaus dans une ambiance gothique soulignée, jouant avec force d'éclairages irréalistes et intenses qui découpent des ombres sinistres dans la pénombre. Fonctionnant selon les codes d'un thriller psychologique et jouant la carte de l'enfermement, il rappelle certains passages de QU'EST-IL ARRIVE A BABY JANE ? et autres suspens dans lesquels un personnage se trouve totalement à la merci d'un garde-malade détraqué. Ou encore, il nous renvoie à des films jouant sur l'ambiguïté des enfants et leur rapport à la cruauté, tels LES INNOCENTS de Jack Clayton.
Surtout, TRAS EL CRISTAL s'affirme comme un long métrage très bien fait. Son scénario s'avère remarquablement précis et soigné, ménageant une plongée progressive et hors du commun dans l'horreur et le sordide. Sa mise en scène, très inspirée, séduit par son ambition et sa méticulosité. Si quelques détails ont un peu vieilli, notamment une photographie qui abuse par moment de contre-jours bleutés et enfumés, TRAS EL CRISTAL n'en reste pas moins un vrai, grand film, élaboré avec talent. Enfin, l'interprétation est magistrale, particulièrement celle des trois comédiens principaux, absolument époustouflants malgré leurs rôles extrêmement difficiles.
Film-choc multipliant les situations traumatisantes, TRAS EL CRISTAL se taille rapidement une réputation très sulfureuse. A une époque à laquelle l'épouvante espagnole paraît moribonde, il peine à s'exporter. S'il se fait remarquer au festival de Berlin, il n'a jamais eu le droit à une sortie en France. Toutefois, le film suivant de Villaronga, L'ENFANT DE LA LUNE, lui aussi fantastique, sera sélectionné à Cannes et sortira sur nos écrans.
En DVD, TRAS EL CRISTAL n'a été publié qu'aux USA, chez l'éditeur Cult Epics, lequel propose le film dans une copie respectant approximativement le cadrage panoramique 1.85 d'origine. L'image n'est hélas guère reluisante. Les contrastes sont faibles, les séquences les plus sombres tendent à devenir floues, tandis que les saletés et rayures sont assez présentes. Enfin, l'option 16/9 n'est même pas proposée. Certes, tout cela n'empêche pas de consulter le film, mais le résultat d'ensemble évoque plus un Vidéo CD qu'un DVD…
Seule la bande-son mono espagnole d'origine est présente, accompagnée de sous-titres optionnels. Là aussi, il faut faire avec divers craquements et traces de souffle, même si la musique et les dialogues restent correctement restitués.
Film au sujet et aux thèmes équivoques, TRAS EL CRISTAL fait typiquement partie de ces longs métrages appelant une interactivité fournie. Il faut pourtant se contenter d'une interview de dix minutes du réalisateur (en espagnol sous-titré en anglais), et c'est tout. Certes, elle est intéressante et n'hésite pas à aborder des sujets délicats (la direction des enfants acteurs…), mais on pouvait en attendre un peu plus.
Edition largement perfectible, donc, que nous propose ici Cult Epics. Mais elle nous permet tout de même, faute de mieux, de consulter en DVD ce film resté fort rare.