Pour Oliver Stone, la première moitié des années 1990 est agitée. Son JFK, consacré à l'assassinat du président Kennedy, connaît un succès public considérable aux USA, mais y soulève aussi une énorme controverse quant au sérieux des théories avancées. Puis, avec ENTRE CIEL ET TERRE, il choisit de présenter la guerre du Vietnam du point de vue d'une villageoise indigène : c'est un grave échec commercial. Son oeuvre suivante va nous révéler un Oliver Stone très en colère : TUEURS NÉS Basé sur un scénario de Quentin Tarantino (tellement remanié que ce dernier se déclarera très mécontent du résultat final), il est produit par la major Warner et financé à hauteur de 50 millions de dollars, ce qui est très confortable au vu du projet en question. Pour incarner le serial killer Mickey, c'est d'abord à Michael Madsen (LES DOORS, RESERVOIR DOGS...) que pense Oliver Stone. Mais Warner exige un acteur plus populaire, et le réalisateur se tourne vers Woody Harrelson (PROPOSITION INDÉCENTE...). Il choisit, pour incarner sa compagne Mallory, Juliette Lewis (KALIFORNIA...). Le journaliste Wayne Gale est incarné par Robert Downey Jr., tandis que la directeur de la prison est joué par Tommy Lee Jones (bien que Stone envisage d'abord Jack Palance pour ce rôle, mais ce dernier refuse car il juge le script trop violent).
Mallory, une adolescente dont abuse son propre père, s'éprend de Mickey, un garçon-boucher. Mais ce dernier est mis en prison pour un menu larcin. A sa sortie, il se rend chez Mallory, et, ensemble, ils tuent les parents de la jeune fille. Commence alors une cavale sanglante et archi-médiatisée à travers le sud des USA. Mallory et Mickey croisent un jour, en plein désert, un berger amérindien qui les invite à passer la nuit dans son refuge. C'est le début de la fin pour cette course folle...
Inspiré par l'équipée sanglante de Charles Starkweather et Caril Fugate, dans les années 1950 (laquelle a aussi influencé LA BALLADE SAUVAGE, SAILOR ET LULA ou KALIFORNIA), TUEURS NÉS s'inscrit dans une tradition classique du Film Noir, mettant en scène la fuite en avant, désespérée, d'un jeune couple un peu paumé, pris dans l'engrenage du crime. Nicholas Ray, dès 1949, propose, dans ce style, LES AMANTS DE LA NUIT. Mais l'exemple type reste BONNIE ET CLYDE d'Arthur Penn, de 1966, qui impose un nouveau standard de représentation de la violence au cinéma, avec sa fusillade finale. Même Steven Spielberg s'est frotté à ce genre avec son premier long métrage pour le cinéma : SUGARLAND EXPRESS.
Toutefois, là où ces films s'achèvent en général avec la fin, souvent tragique, de la fuite des criminels, TUEURS NÉS prend un parti différent en séparant nettement son déroulement en deux actes distincts : la cavale en tant que telle ; la détention de Mickey et Mallory, une fois qu'ils ont été attrapés. La première heure du film, donc, nous fait suivre le cheminement sanglant du jeune couple, qui laisse derrière lui plus d'une cinquantaine de cadavres, pour la plupart des badauds ne leur ayant strictement rien fait. Mickey et Mallory, tel les Bonnie et Clyde de Penn, sont décrits comme des simples d'esprits, des jeunes gens totalement irresponsables et à peu près incultes. Le tout est sous-tendu par leur histoire d'amour, absolue, mise en valeur aussi bien par le comportement romantique de Mickey que par la jalousie de Mallory.
Puis, vient l'épisode de l'exorcisme par le shaman indien, cérémonie censée chasser les démons qui les hantent, et, ainsi, les libérer. Dès lors, selon les propos tenus par Oliver Stone au sujet de son film, Mickey et Mallory ne se comportent plus comme des tueurs dénués de morale : comme Eve et Adam après avoir croqué la pomme, ils ont acquis la connaissance, une connaissance qui leur permet de différencier le bien du mal, et donc de peser les conséquences de leurs actes.
A partir de ce moment, toujours selon le réalisateur, leurs comportements sont supposés devenir responsables. Pourtant, pour le spectateur, cela n'a rien d'évident. Mickey et Mallory agissent toujours de façon aussi violente et tuent toujours des gens aussi arbitrairement (le professeur de yoga). Au cours de l'interview qu'il accorde à la télévision, Mickey ne semble pas spécialement avoir réglé ses comptes avec les démons de son enfance, qui le perturbent encore. Cette césure, si importante dans la structure du film telle que l'a voulue Stone (Mickey passant du statut de bête irréfléchie et assoiffée de sang à celui de leader révolutionnaire anti-système, menant les prisonniers à une juste révolte) peut être difficilement perceptible pour le spectateur à la première vision du film.
Stone lui-même semble d'ailleurs avoir hésité à adopter cette structure, puisque du matériel tourné et disponible parmi les scènes coupées (le tribunal) était conçu dans une autre optique : Mickey et Mallory, même après leurs exorcismes, restaient, très nettement, de dangereux tarés. De même, une fin alternative, très différente, tire le film dans une direction différente. Il découle de tout cela un propos qui peut rester opaque, et donner l'impression d'un film abordant un sujet délicat au travers d'un discours confus et imprécis.
Quoi qu'il en soit, sur certains points, les intentions de Stone sont évidentes. La question nettement posée par la première heure de TUEURS NÉS est : pourquoi devient-on un serial killer ? La partie la plus soulignée de la réponse relève du domaine de l'"acquis". Mallory et Mickey sont nés dans des familles détraquées, où ils sont maltraités et détestés par leurs propres parents. Surtout, l'influence de la télévision américaine, la seule fenêtre ouverte, pour eux, sur le reste du monde, est désastreuse : elle filtre frénétiquement la réalité, jusqu'à en donner un reflet complètement faussé ; elle mélange allègrement l'information et le spectacle ; elle réduit l'articulation des images à un simple bombardement sensoriel.
Pour Mickey et Mallory, la seule façon de s'accomplir est d'acquérir la célébrité, célébrité qui les place au centre des médias, et témoigne ainsi de leur "réussite". Ainsi, à chacun de leurs massacres, ils laissent une victime en vie pour qu'elle témoigne que c'est bien eux qui ont commis le crime. Cela assure ainsi le compte exact de leurs "victimes", c'est-à-dire le relevé vérifiable de leur "performance". Quant à la structure sociale, elle n'est guère plus gâtée : entre un policier aussi dérangé que Mickey et Mallory d'une part, et un directeur de prison adepte de la manière forte, les institutions politiques et sociales du pays ne leur sont d'aucune aide.
Mais au-delà de l"acquis", il y a aussi, chez les serial killer d'Oliver Stone, l'"inné". Selon Stone, et à travers le discours de Mickey à la télévision, le propos est clair : n'importe qui a en lui la violence suffisante pour se révéler un tueur en série. Qu'est-ce qui différencie un serial killer d'une autre personne ? Des circonstances, un environnement familial et culturel. Si Mickey est un tueur-né, alors nous somme tous des tueurs-nés, avec la même aptitude à la cruauté.
Cet environnement favorable à l'éclosion des serial killers est, en grande partie, celui créé par l'univers des médias. La charge de Stone, à son endroit, ne fait pas de détails. Caricaturé à l'extrême par le personnage du journaliste Wayne Gale, interprété par un Robert Downey Jr. ultra-cabotin, ce milieu se comporte, on l'a vu, de façon totalement irresponsable. Il transmet une culture dangereuse dont Mickey et Mallory sont les produits.
Surtout, il jette les spectateurs dans un maelström d'images confuses et irréfléchies, dans lequel la vitesse et l'impact sensoriel l'emportent de loin sur toute tentative de réflexion. Stone donne alors à son film la forme d'un gigantesque "zapping", où l'on passe sans cesse, au sein d'une même scène, d'un style à un autre, d'un plan en noir et blanc austère à un dessin animé, par exemple. Le réalisateur multiplie les expérimentations qui, si elles n'ont rien de nouveau (superpositions, usage psychologique des couleurs, panachage des formats...) apportent néanmoins, par leur profusion exceptionnelle, une force visuelle et une originalité imparable à TUEURS NÉS.
Toutefois, ce style, revendiquant haut et fort son artificialité, a l'inconvénient de réduire ses personnages à des archétypes grimaçants, à des figures de bande-dessinée aussi maigres que peu attachantes. Ainsi, personne n'attire la sympathie dans le film, pas même Mickey et Mallory que Stone tente de rendre aimable par leur romantisme (pourtant assez léger, en comparaison des actes barbares qu'ils commettent) ou par leur révolte finale (encore, une fois, il est quand même difficile d'y voir des personnages en route vers la rédemption, ou vraiment conscients de leurs actes).
TUEURS NÉS est un film à part... Quelque part entre le vidéo-clip et le tract agitateur, il semble réalisé par un Oliver Stone extrêmement remonté, assemblant dans la plus grande agitation (et souvent avec une grande virtuosité, comme pour l'émeute dans la prison), les lambeaux d'un film parcouru par des comédiens possédés. Malgré un propos pour le moins confus, il reste une oeuvre témoignant de la réelle intégrité de son réalisateur.
Se revendiquant comme un film ultra-violent, TUEURS NÉS connaît de gros problèmes face à la commission américaine de classification des films. Le MPAA exige plus de 150 coupures, faisant perdre au film trois minutes de métrage. Produit par une major, il est hors de question d'envisager la distribution d'une version "Unrated". Oliver Stone doit se résoudre à laisser sortir son film dans cette forme abîmée.
L'accueil commercial de TUEURS NÉS est, aux USA, bien mitigé. Cette oeuvre donne pourtant lieu à plusieurs scandales dans des affaires criminelles (aussi bien aux USA qu'en France), dans lesquelles de jeunes assassins affirment avoir été influencés par le film. Après une sortie classique en Laserdisc chez Warner, dans sa version censurée, le film sort, en 1996, toujours en laserdisc, dans son montage complet. Cette version "Uncut" est distribuée par Pioneer, Warner refusant de la publier. Ce Laserdisc est accompagné de plusieurs bonus, parmi lesquels un commentaire audio d'Oliver Stone, un Making Of, des scènes coupées, une bande-annonce et une fin alternative.
Le film a ensuite été publié en DVD, aux USA et en France, avec la plupart de ces suppléments, mais dans son montage censuré. La version "Uncut" a, elle, été publiée en Zone 1 par Trimark Home Video, toujours avec les mêmes bonus : ce disque a déjà été testé sur DeVilDead. Son seul gros défaut est de ne pas proposer un transfert 16/9.
Metropolitan propose, pour la première fois en DVD français, le montage "Uncut" du film, au sein d'une collection dédiée à Quentin Tarantino (co-scénariste de TUEURS NÉS, rappelons-le). Le titre est proposé dans un boîtier incluant le film sur un DVD double-couche et les bonus sur un DVD à une seule couche.
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Le film est gravé sur le premier DVD. Il est montré dans un cadrage 1.77 (proche du format 1.85 d'origine) avec, enfin, une option 16/9 ! La copie est parfaitement propre et le télécinéma s'en tire très bien au vu des nombreuses difficultés posées par ce titre (multitude des formats, notamment...). Il restitue fidèlement les différences de texture entre des passages en vidéos ou en Super-8 par exemple. On peut "griller" quelques plans à la compression visible, mais ils sont très rares. Il s'agit d'un travail de très bonne qualité.
La bande-son n'est disponible qu'en anglais, ce montage du film n'ayant, en effet, jamais été doublé en français. Le sous-titrage français est imposé. On peut choisir entre une piste Dolby Digital 5.1 et une piste DTS, toutes les deux d'excellente facture.
Au niveau des suppléments, on retrouve les même bonus que sur le DVD Zone 1 Trimark, lesquels avaient été conçus à l'occasion du Laserdisc de 1996. Ils sont intégralement sous-titrés en français. Comme vous en trouverez un descriptif très complet sur le test du disque américain, on se contentera ici d'en faire un rapide récapitulatif.
On retrouve donc le commentaire audio d'Oliver Stone, lequel revient essentiellement sur le sens des séquences et donne quelques anecdotes de tournage. Sur le DVD de suppléments, on peut consulter un "Making-Of" intéressant de 27 minutes, ainsi que six scènes coupées (avec présentation optionnelle par Oliver Stone), une fin alternative (idem) et une bande-annonce pour le "Director's cut". Certains suppléments du Laserdisc "Uncut" ou du DVD Warner ne sont pas présents (clip du groupe Nine Inch Nails, notamment), mais ce n'est pas une raison suffisante pour bouder son plaisir.
Pour le public francophone, Metropolitan propose donc une version améliorée du DVD Trimark, en offrant des options qui faisaient un peu défaut comme une piste DTS et, surtout, une option 16/9.