Header Critique : BLOODY JUDGE, THE (LE TRONE DE FEU)

Critique du film et du DVD Zone 0
THE BLOODY JUDGE 1969

LE TRONE DE FEU 

Au Royaume-Uni, sous le règne de Jacques II, George Jeffreys, Premier Président de la Cour Suprême, terrorise le pays et les rebelles à son Roi en organisant des procès expéditifs et meurtriers...

LE TRONE DE FEU est, chronologiquement, le dernier des quatre films inclus dans le coffret de l'éditeur Blue Underground dédié à l'acteur Christopher Lee. Comme THE BLOOD OF MANCHU et THE CASTLE OF FU MANCHU, il s'agit d'une production de Harry Alan Towers, réalisée par l'espagnol Jesus Franco. Par ailleurs, c'est le seul DVD de cette boîte à ne pas être disponible individuellement, pour le moment en tout cas.

Jesus Franco commence à tourner ses propres films à partir de 1959. L'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF, une co-production franco-espagnole de 1962, donne une orientation assez nette à sa carrière : l'épouvante et l'érotisme. Au cours des années 1960, il oeuvre notamment dans ces domaines, en acquérant une certaine réputation grâce à des titres comme LE DIABOLIQUE DR. Z ou NECRONOMICON. En 1968, Franco entre en contact avec Harry Alan Towers à l'occasion d'un remplacement : celui du réalisateur anglais Jeremy Summers, contraint, pour des raisons professionnelles, d'abandonner le plateau du film d'aventures EVA EN LA SALVA, produit, justement, par Towers. Cela marque le début d'une collaboration qui se poursuivra jusqu'en 1970. La série de films qui va en découler se placera sous trois signes distincts : l'aventure exotique avec THE BLOOD OF MANCHU, SUMURU et THE CASTLE OF FU MANCHU ; l'érotisme à tendance sadienne avec LES BRÛLANTES (prenant place dans une prison de femmes sur une île d'Amérique du sud), VENUS IN FURS, LES INFORTUNES DE LA VERTU, et LES INASSOUVIES (ces deux derniers d'après des écrits du Marquis de Sade) ; l'horreur avec LES NUITS DE DRACULA (dans lequel Christopher Lee reprend le rôle du célèbre vampire) et LE TRONE DE FEU.

Pour ce dernier, comme pour la plupart des productions de Towers, les financements proviennent de sources variées (Allemagne, Espagne, Italie et Grande-Bretagne, essentiellement) et le casting réunit des acteurs de réputation internationale. Christopher Lee incarne George Jeffreys, le juge sanglant, alors qu'il est déjà, depuis plus de dix ans, une vedette de l'épouvante. Howard Vernon, comédien d'origine suisse et fidèle compagnon de route de Franco, incarne le sinistre bourreau de la Tour de Londres. Maria Schell, célèbre actrice autrichienne vue dans LES FRÈRES KARAMAZOV de Richard Brooks, NUITS BLANCHES de Luchino Visconti ou LA COLLINE DES POTENCES de Delmer Daves, incarne Mère Rosa, une rebouteuse aveugle, douée de pouvoirs mystérieux. L'anglais Leo Genn (CIRCUS OF FEAR, une autre production de Towers interprétée par Christopher Lee, LE JOUR LE PLUS LONG, LES 55 JOURS DE PÉKIN...) vient compléter ce casting prestigieux. A leurs côtés, on reconnaît Maria Rohm, épouse de Harry Alan Towers et, conséquemment, souvent présente dans les productions de son mari. Tout ce petit monde se rend au Portugal pour tourner LE TRONE DE FEU, avec des moyens plutôt confortables, bien que certaines scènes (notamment les batailles) seront filmées en Espagne.

Sous le règne éphémère de Jacques II, le Royaume-Uni est en pleine ébullition politique. Pour mater les rebelles menaçants, le Roi demande au juge George Jeffreys de capturer et de condamner, de façon sanglante, tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à des opposants. Les procès sont donc expédiés et, sous des prétextes futiles et fictifs (sorcellerie, par exemple), de nombreuses personnes sont torturées et exécutées. Ainsi, l'inoffensive Alicia Gray est soumise à la "question", puis mise à mort, dans le cadre de ces "Assises Sanglantes". Jeffreys va ensuite s'intéresser à la sœur de la jeune femme, Marie Gray, par ailleurs fiancée avec Harry Selton, rebelle et fils du comte de Wessex...

L'imagination démente, dont ont su faire preuve les juges et les bourreaux de diverses époques portées sur la justice expéditive et sanglante, a, bien entendu, marqué l'imaginaire et le cinéma populaires. Le cas de l'anglais Richard III (qui régna de 1483 à 1485), devenu roi d'Angleterre après avoir fomenté l'assassinat des autres héritiers de la couronne, inspire à Shakespeare une pièce célèbre, elle-même transposée à l'écran, par exemple, par Laurence Olivier (RICHARD III de 1955). Ce destin funeste inspire aussi LA TOUR DE LONDRES, de 1939, une production d'épouvante Universal dans laquelle le Roi est interprété par Basil Rathbone et son complice, Mord, est incarné par un Boris Karloff chauve et claudiquant. Franco a toujours avoué son admiration pour les classiques Universal des années 1930-40 et reconnaît que ce film a été sa principale influence pour LE TRONE DE FEU, notamment en ce qui concerne le personnage du bourreau incarné par un Howard Vernon à la silhouette assez hallucinante. En 1962, Roger Corman devait en réaliser un remake, TOWER OF LONDON, avec Vincent Price dans le rôle du roi Richard.

Les pratiques de l'inquisition espagnole donnent aussi des idées aux producteurs, comme on le constate avec LA CHAMBRE DES TORTURES de Roger Corman, d'après "Le puits et le pendule" d'Edgar Allan Poe. Même la France y passe, avec une de ses scènes de comédie fantastique les plus célèbres : les supplices burlesques subis par Fernandel dans FRANÇOIS PREMIER ! Les diverses formes de "chasses aux sorcières" sont, elles aussi, souvent illustrées, avec, par exemple, LA SORCELLERIE A TRAVERS LES AGES de Christensen, LE SEPTIÈME SCEAU d'Ingmar Bergman ou LE MASQUE DU DEMON de Mario Bava... pour en rester aux titres les plus fameux.

Dans LE GRAND INQUISITEUR de 1968, tourné en Grande-Bretagne par Michael Reeves pour l'American International Pictures, Vincent Price incarne Matthew Hopkins, un très zélé traqueur de sorcières qui vécut réellement au XVIIème siècle. C'est un succès, qui va lancer une petite mode. Ainsi, Price revient à un rôle semblable pour CRY OF THE BANSHEE (LES CROCS DE SATAN en vidéo) de Gordon Hessler, en 1970. La même année, MARK OF THE DEVIL de Michael Armstrong (LA MARQUE DU DIABLE en vidéo) remet le couvert des atrocités commises par de tels tueurs de sorcières. Dans LES SÉVICES DE DRACULA (où il n'est pas question de Dracula, mais bon...), Peter Cushing incarne un chasseur de vampires dont les méthodes un peu délirantes le rapprochent nettement de ce genre de personnage.

C'est donc dans la foulée de ces quelques titres que débarque LE TRONE DE FEU, mettant en scène le juge George Jeffreys, véritable personnage historique. Pendant le court règne de Jacques II (1685-1688), il mit en oeuvre une justice sauvage et impitoyable afin de décourager la rébellion et l'opposition au Roi, notamment au cours des "Assises sanglantes" de 1685.. En 1688, Jacques II est chassé du Royaume-Uni et doit se réfugier en France, tandis que le roi Guillaume III monte sur le trône. Jeffreys est alors enfermé dans la Tour de Londres, où il meurt en 1689.

LE TRONE DE FEU met en avant deux intrigue parallèles. D'une part, on assiste aux procès présidés par Jeffreys et à l'évolution de ce personnage intransigeant, paranoïaque, souffrant physiquement d'une maladie, et dont les nuits sont hantées par les visions des supplices qu'il ordonne. Juriste tatillon et retord, il ne s'embarrasse néanmoins pas de l'équité ou d'éventuels droits de la défense. La justice, mise au service d'une cause politique, est donc instrumentalisée jusqu'à devenir une arme meurtrière dans les mains des partisans de Jacques II, parmi lesquels Jeffreys, convaincu d'agir pour le bien du royaume. Magnifiquement interprétées par Christopher Lee, qui se régale de son personnage historique et complexe, les séquences le mettant en scène sont certainement les plus intéressantes du métrage.

D'autre part, on suit les aventures des rebelles et leurs amis, parmi lesquels le prudent comte de Wessex, ainsi que Harry, son fils impétueux, et la jeune Maria. Elle, plus particulièrement, sera persécutée par Jeffreys et ses hommes de main. Ces derniers sont des brutes sanguinaires, des ratés notoires auxquels leurs uniformes permettent de défouler leurs bas instincts sans crainte d'aucune représailles. Capturée, bousculée, torturée, prise de force par le lubrique juge Jeffreys : aucune dégradation ne sera épargnée à la jeune femme ! Il va sans dire que la caméra voyeuse de Franco se régale de ces séquences lascives et cruelles, complaisamment étalées dans la durée.

LE TRONE DE FEU étant une co-production internationale et polycéphale, Franco avoue s'être un peu retrouvé écartelé entre les desiderata des uns et des autres. On obtient, à l'arrivée, un film assez schizophrène, oscillant entre le portrait historique (George Jeffreys), le film d'aventures (les batailles, les rebelles), d'horreur (tout ce qui se passe dans la prison), voire d'érotisme. Les scènes du donjon, les plus extrêmes, paraissent assez gratuites et, dramatiquement, surabondantes : Jeffreys condamnant les accusés sans preuve et à la va-vite, on a un peu du mal à comprendre à quoi servent les séquences de torture et d'interrogatoire. Quant aux scènes érotiques, insuffisamment nombreuses pour satisfaire réellement les amateurs, elles ralentissent passablement l'action. Tout cela donne un résultat inégal, alternant le meilleur (l'interprétation de Lee) et le moins bon (les scènes de bataille, dont Franco pourtant semble très fier ; les comédiens les plus jeunes ; des décors parfois un peu chiches...).

Il manque donc au TRONE DE FEU une unité de ton et une vraie atmosphère. Le film se disperse un peu trop pour être cohérent et pour conserver, sur la durée, toute l'attention du spectateur. Quant aux amateurs de sexe et de violence, s'ils trouveront, ponctuellement, quelques séquences bien faites, elles semblent souvent tombées un peu à l'improviste. Toutefois, bénéficiant d'un budget assez important, d'une superbe musique de Bruno Nicolai, d'un casting prestigieux, Franco propose tout de même un film intéressant, techniquement plutôt soigné. Il s'agit en tout cas d'une de ses dernières collaboration avec Towers. Franco reviendra sur le personnage de Jeffreys dans LES DÉMONS, une oeuvre du même style réalisée au début des années 70, suite au succès des DIABLES de Ken Russell.

A sa sortie, LE TRONE DE FEU a été remonté, dans le dos de Franco, par les distributeurs de plusieurs pays, afin d'adapter l'œuvre aux marchés locaux. Ce DVD Blue Underground (NTSC, multizone) propose ici, pour la première fois, la version la plus complète de ce titre (contrairement au DVD anglais, qui est bien moins complet), sur une durée de 103 minutes. Il a toutefois fallu trancher entre les différentes versions de certaines scènes : ainsi, la fin proposée ici combine assez habilement des éléments des trois fins différentes connues pour ce film en un seul et même final. Le titre anglais THE BLOODY JUDGE, a été préféré pour cette édition à celui, américain, de NIGHT OF THE BLOOD MONSTER, complètement hors-sujet.

L'image est proposée en 2.35 compatible 16/9. Certes, on décèle d'assez nombreux petits défauts de pellicule (flous, rayures, saletés...), mais le traitement numérique de l'image est absolument magnifique, garantissant un rendu des lumières, des contrastes et des couleurs de toute beauté. Au vu de la difficulté qu'ont du rencontrer les gens de Blue Underground pour proposer une copie aussi complète de ce titre, on ne peut qu'applaudir le résultat.

La bande-son est proposée en mono codé sur deux canaux Dolby Digital. Le résultat sonne globalement propre, mais aussi un peu sourd et "bouché" dans les aigus. Certains dialogues peuvent paraître un peu confus au non-anglophone, mais, globalement, cela passe correctement. Certains passages, n'apparaissant que dans la copie espagnole, sont proposés dans un dialecte de ce pays, sous-titrés en anglais, sans qu'on note vraiment d'écart qualitatif à ces moments.

Enfin, Blue Underground propose une très belle section de bonus. Une featurette, "Bloody Jess" (25 minutes) contient des interviews nouvelles et intéressantes de Christopher Lee (en anglais) et Jesus Franco (en français sous-titré en anglais) sur LE TRONE DE FEU et son exploitation farfelue (changement de titres, de montages...). Une "scène coupée" (6 minutes), venant d'une source vidéo en mauvais état, montre la rencontre entre Mary et Harry, après l'exécution d'Alicia : cette séquence aurait pu, sans problème, être incorporée au montage, éclaircissant ainsi la relation entre les deux personnages.

Quatre scènes alternatives sont aussi disponibles : l'ouverture parlée du film est un peu différente dans le montage allemand ; la scène d'amour entre Harry et Mary, dans le foin, est proposée en version "habillée" ; le cauchemar de Jeffreys est dans un montage alternatif ; enfin, la séquence au cours de laquelle Mary est amenée à Jeffreys est proposée dans une version plus courte et plus "convenable".

On a encore accès à une vaste sélection de matériel promotionnel : deux bandes-annonces américaines dédiées au TRONE DE FEU, ainsi qu'une dernière bande-annonce pour un double-programme réunissant LE TRONE DE FEU et le film Hammer BLOOD FROM THE MUMMY'S TOMB (LA MOMIE SANGLANTE en Belgique). Un spot télévisé est aussi dédié à cette double-affiche. On trouve ensuite de très nombreux documents iconographiques réunissant, en vrac, des affiches, des photos d'exploitation, de plateau et de tournage, des reproductions de jaquettes vidéos, du dossier de presse américain d'époque, et du livret du CD de la bande originale du film. Enfin on a accès à des bio-filmographies sélectives de Jesus Franco et Christopher Lee. Ajoutons que le boîtier du DVD inclut un feuillet rassemblant des notes rédigées par Tim Lucas, de la revue "Video Watchdog".

Bref, il s'agit (encore !) d'une excellente édition à mettre au crédit de Blue Underground. Cet éditeur offre, dans de très bonnes conditions techniques, le montage le plus complet jusqu'à aujourd'hui de ce film à la distribution chaotique et, en plus, y adjoint une interactivité très soignée. On regrettera juste que ce DVD ne soit pas disponible hors du coffret "CHRISTOPHER LEE", contrairement aux trois autres films : cela semble une méthode de marketing un peu discutable...

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
DER HEXENTOTER VON BLACKMOOR DVD Zone 0 (USA)
Editeur
Blue Underground
Support
4 DVD
Origine
USA (Zone 0)
Date de Sortie
Durée
1h43
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Aucun
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