Alors, quoi de neuf sous le soleil de la torture cinématographique ? La sortie française en vidéo de MARTYRS, assurément. Passés les polémiques, les commentaires, la sortie cinéma, nous allons pouvoir replonger dans l'univers proposé par Pascal Laugier en toute sérénité, loin de la foule déchaînée.
L'objet de la première partie du film est porté sur le personnage joué par Mylène Jampanoï : rédemption d'un être torturé par la vengeance, un thème très souvent usité dans le cinéma de genre. En cela, on rapprochera la structure de PSYCHOSE où Hitchcock suivait le personnage de Marion Crane avant de s'en débarrasser brutalement, déviant le récit vers Norman Bates. Ici, malgré le changement de braquet au bout de 45 minutes et la collision de deux destins, pas de focalisation vers le bourreau mais vers la victimisation du personnage joué par Morjana Alaoui qui prendra le relais jusqu'au final. Le parcours initiatique de la seconde moitié rappelle plutôt SAINT ANGE, faisant écho à son lieu -un endroit clos à la lisière du fantastique-, à ses personnages féminins en proie à un événement qui les dépasse et aux références à Dario Argento (à qui est dédié le film, par ailleurs) surtout ici à l'écho du destin tragique d'Anna Mani dans LE SYNDROME DE STENDHAL.
D'un point de vue structurel et narratif, il est dommage que le réalisateur Pascal Laugier cède à la facilité de la construction en flash back au bout d'une trentaine de minutes pour expliquer le sentiment de culpabilité de Lucie. Ce qui a tendance à alourdir un propos déjà bien pesant. De plus, celle qui attaque Lucie fait aussi référence directe aux fantômes vengeurs que le cinéma japonais a pu nous proposer via JU ON : THE GRUDGE ou encore RING. Même si le côté disloqué du corps-charnier est impressionnant dans son mode de déplacement et d'expression de violence, l'originalité n'y est pas vraiment de mise. Pourtant, faire bifurquer le récit à plusieurs reprises dans des directions différentes afin de surprendre le spectateur fonctionne au niveau de la surprise. Passée celle-ci, il demeure dommage que le développement privilégie l'effet sur l'efficacité. Cette vision sulpicienne du corps supplicié en appelle à l'œuvre de Georges Bataille sur la thématique développée mais cet aspect semble ne reprendre que ce qui est évoqué en surface dans son livre Le Divin. MARTYRS tente de développer une nouvelle mystique via une dialectique hegelienne mais reste sur le seuil de la porte de ses problèmes. Une écriture à fleur de peau mais bordélique, une construction hasardeuse qui semble d'ailleurs correspondre à un tournage éprouvant et parfois peu pensé (ce que laisse entrevoir certaines interviews dans le making-of sur les difficultés rencontrées) et des thèmes qui partent dans tous les sens. Entre autres, l'inutile besoin de montrer la tentation lesbienne entre les deux héroïnes si ce n'est de partir sur les rails d'un BUTTERFLY KISS outrancier et qui cède à la déviance facile.
Une autre chose frappe quant à la manière dont le film est proposé au spectateur : une direction d‘acteur approximative (voir le making-of à ce sujet où les actrices semblent assez peu dirigées) et une interprétation des comédiennes entre le surjeu et l'hystérie comme seul mode d'expression. Très peu de nuances : on fonce dans le tas. Ceci couplé à des dialogues assez abscons et déclamés parfois avec bien peu de conviction. Si l'énergie évidente des actrices principales n'est pas à remettre en cause, on a quand même du mal a comprendre l'acharnement du cinéaste sur le corps féminin, à vouloir le disloquer à ce point. On ne peut s'empêcher de penser que le choix scénaristique est forcément teinté d'un machisme bienveillant : ce sont uniquement les femmes, et jeunes de préférence bien sûr, qui sont réceptives à ce que cherche ce groupuscule sectaire. Pourquoi un tel choix ? Le film n'apporte pas vraiment de réponse, hormis la succession de tabassages et tortures à volonté sur les corps féminins graciles. Curieux pour un film qui pense poser le questionnement du statut de la violence et de sa représentation filmique. Dans le making-of, Mylène Jampanoï indique que pour une fois, on lui demande d'interpréter un héroïne forte une vraie et pas un cliché de jeune femme soumise et attentiste. Certes, mais Joe d'Amato avait déjà fait de Laura Gemser une héroïne forte. Ce qui ne l'a pas empêché de lui faire subir au gré des EMANUELLE toutes les horreurs possibles et imaginables. Du cinéma d'exploitation, même s'il veut penser, ça reste du cinéma d'exploitation. Non pas que cela soit un mal, bien évidemment. Le neuf, c'est peut être cela, en fin de compte : la France produit du «torture porn» qui pense. A mi-chemin entre le film de genre et le film d'auteur : ce qui restera le dilemme tout au long de sa carrière d'un Jean Rollin, par exemple. Ou tente désespérément de rejoindre l'alibi socio-culturel des affres existentialistes d'un Gaspard Noé.
L'implication sociale apparaît également sous la forme d'une cellule familiale bourgeoise bien sous tous rapports qui se voit explosée, au propre comme au figuré, de par un retour de flammes du passé. De la bourgeoisie qui exploite la faible jeunesse, corps et esprit. Un argument tragique à mi-chemin entre la fable existentialiste et le dégoût du vieux, de l'ordre, de l'établi, du structuré. La caméra se conforme à cet état de fait et, à l'épaule du caméraman, bouge avec les corps. Pas de syndrome de «shakycam», heureusement, mais une caméra très mobile (trop parfois?). Tant l'idée parait intéressante sur le papier que son exécution filmique file droit vers la grosse caisse. Ca hurle, ça casse, ça tire, ça hurle, ça casse, ça flingue, ça hurle beaucoup plus, ça casse beaucoup plus, etc... Si bien que l'aspect social du film disparaît totalement au profit d'une imprécation dont on a du mal à saisir le fondement. Car n'est pas Pasolini qui veut : le film prend son chemin de croix dès qu'il aborde le cycle d'avilissement.
L'empilement de scènes d'automutilations, de massacre au marteau, de longs tabassages en règle n'apporte hélas rien au récit, à son corps défendant. Montrer l'insoutenable, oui, mais quel insoutenable ? A quel degré, moi, spectateur, vais-je trouver ce spectacle insoutenable ? En montrant des images supposées l'être ou en ne montrant rien de tel ? Laisser l'imaginaire faire son travail ? Le cinéaste oublie de ce fait une simple maxime «trop, c'est trop». Si bien qu'on demeure petit à petit anesthésié face à cette lente descente dans la folie torturante au lieu de ressentir une quelconque empathie. L'ennui gagne un espace d'expression qu'il ne quittera plus, peut-être hormis la rapide sublimation du grotesque de la représentation quasi-sectaire des derniers arrivants (on notera une Mercedes immatriculée dans le Doubs !).
Que devons-nous saisir au final ? La torture, c'est mal ? Merci, le peu de discernement chez le vulgus pecum avait saisi. Mais le final demeure plus qu'ambigu là-dessus, cela en devient presque gênant. Désamorçage du mécanisme sacrificiel ? Déconstruction du mythe du martyr ? Pour dompter un tel mythe, Pascal Laugier a au moins compris qu'il fallait plus que de la naphtaline. Mais l'odeur qui s'en dégage reste plus qu'ambiguë au final. D'autant plus que le film n'a pas le courage d'aller au bout de son présupposé et des exérèses : nous ne saurons rien du secret !
Dans l'entretien qu'il donne dans les suppléments du DVD, Pascal Laugier indique que son précédent film faisait plus référence à ce qu'il aime au cinéma et qu'il a voulu faire MARTYRS dans une sorte d'urgence, un film brut(al), comme pour le coller en pleine figure au spectateur. Il n'empêche que certaines scènes font immanquablement penser à certaines références filmiques. Quelques exemples : la musique de MARTYRS qui, à un moment du film, reprend carrément à son compte le thème principal de 28 SEMAINES PLUS TARD de John Murphy. Ou encore le générique en simili-images 8mm des années 70 où l'on pense à MASSACRE A LA TRONCONNEUSE version 2003 sur le mode de représentation des images documentaires du passé. Et pour les deux jeunes enfants en train de jouer, il s'agit, entre autres, du générique de LA DAME ROUGE TUA SEPT FOIS qui vient à l'esprit. Ce qui est assez amusant, c'est le parti pris profane de Laugier, en indiquant que le martyr peut être aussi un être humain loin de tout discours théologique. Et c'est pourtant BRAINSTORM auquel on pense immanquablement en voyant la scène «vers la lumière», même si le travelling arrière de la scène idoine chez Douglas Trumbull est ascensionnel – alors qu'ici il est inverse -. Car, bien sûr, au bout du tunnel, on voit forcément de la lumière. Dommage, car même emprunt d'athéologie, Laugier n'évite pas le sempiternel cliché qui écume le cinéma fantastique depuis quelques années.
Relative déception du côté du transfert visuel sur DVD. Une copie assez sombre qui trahit peut-être en ce sens les conditions difficiles du tournage ? Un certain grain apparaît dans les scènes de pénombre (vers 36mn25 – le fond de l'écran bleuté, par exemple). Cependant, on apprécie un joli piqué dans les scènes en extérieur nuit (vers la 41ème minute et suivantes), tous comme les contrastes réussis. Au global, un rendu honorable, sans aucune griffure ni défaut de compression. Côté piste sonore, un curieux choix : il est possible d'opter pour un mixage en 5.1 uniquement en DTS. Le Dolby Digital n'est disponible qu'en version stéréo ce qui disqualifie d'emblée les détenteurs d'amplificateurs dépourvus de décodeurs DTS. Effet curieux pour une piste DTS «plein débit» comme indique l'éditeur : si la clarté du son est une évidence - et ce sur les cinq canaux avant-arrière -, on ne note pas de soin particulier quant à l'espace sonore. Certes les hurlements sont puissants dans tous les canaux, mais l'environnement sonore manque de spatialisation et de précision. Même la piste aboutissant sur le caisson de basse reste au plus bas de sa forme. La piste Dolby 2.0 n'apporte rien de plus, bien au contraire, et satisfera uniquement les spectateurs n'ayant pas d'amplis. D'autre part, à l'instar de nombreux éditeurs français frileux en la matière, aucune version audio descriptive, pas de sous-titre français pour les sourds et malentendants. Il serait peut-être temps de penser à celles et ceux qui ne peuvent profiter de l'univers visuel ou sonore d'un film !
Côté bonus, pas de Corey Allen aux manettes, mais c'est bien une avalanche de suppléments qui s'offre à nous sur deux DVD : l'éditeur a voulu en ce sens donner une édition très complète. Si le premier disque contient le film, les projets d'affiches, des films annonces propres à l'éditeur, c'est le second DVD qui offre les suppléments désirés. Un making-of (appelé un peu pompeusement «Chroniques Organiques») presque aussi long que le film qui raconte (soit en un seul tenant, soit par choix de dix chapitres : un excellent point) la longue et douloureuse genèse du film. Il demeure agréable d'assister à un produit qu'on ne sent pas formaté mais qui laisse libre cours à l'expression de chacun des techniciens et autres protagonistes du tournage. L'interview du réalisateur – qui n'a pas souhaité faire de commentaire de son film - est complété d'un entretien avec le regretté Benoit Lestang qui s'étend autant sur les effets spéciaux du film que sur sa longue carrière. Enfin, pour raccrocher au wagon de la polémique sur le risque d'interdiction aux moins de 18 ans, un très intéressant documentaire appelé là aussi un peu abusivement «Anatomie de la censure» où viennent s'opposer deux membres de la commission de classification des films ayant des avis divergents afin de faire part de leurs points de vue. Le tout entrecoupé d'interventions du producteur, de Pascal Laugier, d'un autre réalisateur inconnu au bataillon et des images assez pathétiques de la «manifestation» (qui au bas mot a du rassembler une vingtaine de personnes…) pour la défense du film. Ce qui n'était pas vraiment nécessaire au regard du contenu de ce bonus-là…