Comme son titre l'indique, la dernière œuvre de Pascal Laugier projette d'aborder un thème relativement courant au sein du septième art, celui d'une souffrance vécue comme Sacrifice. De fait, l'artiste choisit de se référer au cinéma de genre pour associer certaines de ses catégories aux archétypes qui depuis bien longtemps, caractérisent la représentation de la douleur en Occident. Le fantastique “ésotérique” dont notre métrage éprouve jusqu'à l'usure les symboliques et le vocable théologiques, sous-tend d'abord une sublimation du mal entre autres vulgarisée par la peinture médiévale. Un magnifique linceul blanc, des poses et expressions précises ou une musique particulière subordonneront l'épreuve physique au potentiel cathartique du soubassement allégorique. En revanche, le fantastique “psychologique” et l'heuristique corrélative entendent faire éprouver l'horreur de la situation via une présence a priori surnaturelle, naturellement encline à susciter l'angoisse. La suggestion et le non-dit répondent aux règles fixées par la fameuse «ghost story» comme l'expression des peines “charnelles” propre aux Beaux Arts de l'âge classique, admet une codification en son principe équivalente et l'homologue romantique, un identique parallèle entre les bleus du corps et ceux de l'âme. Enfin, le réalisateur apparentera la monstration privilégiée par l'Épouvante contemporaine à l'objectivation dont fait les frais notre motif dans des tableaux portés à malmener les formes (Expressionniste...), couleurs (Fauvisme...), voire la matière même (Juan Miro, par exemple). De ce point de vue, MARTYRS impressionnera directement les émotions du personnage sur un montage ou une (excellente) bande son parfois tonitruants.
En dépit d'un intertexte a fortiori très dense, l'auteur de SAINT-ANGE refuse de soumettre son film à la neutralité induite par ce trop plein de références lesquelles, judicieusement entremêlées, agissent comme un tamis visant à expurger l'image des codes de lecture classiques. Dépossédée de ces derniers, une partie du public demeurera littéralement tétanisée devant l'extrême cruauté des dites séquences pour apprécier viscéralement la terrifiante évolution des événements. D'outil scénaristique ou comparant métaphorique, la négativité du corps agence les termes d'une nouvelle problématique chargée de réattribuer à la violence une signification non plus sociologique ni même psychologique mais davantage métaphysique. Fort audacieux, ce parti pris jusqu'au-boutiste illustre la conception idéaliste que notre cinéaste possède de l'art et par élargissement de ses initiateurs. En effet, la transfiguration de la réalité en Absolu implique la participation entière d'un créateur qui, en ce sens, s'éloigne du monde terrestre. D'où l'impression parfois frustrante d'avoir affaire à des protagonistes artificiels. Un coup de téléphone, une main serrée ou même un langoureux baiser ne compensent pas le (certes banal mais) nécessaire portrait psychologique. Outre l'absence d'identification consécutive, le phénomène explique la confusion effectuée ici, entre une victime et un martyr qui par définition endure les pires souffrances pour défendre sa Foi et apprécie le genre humain — auquel il appartient toujours — comme étant digne du sacrifice. Portée à son ultime degré dans notre cas, la souffrance évide l'être de sa substance première, interdisant au spectateur la possibilité de compatir au sort du torturé et en cela de revenir sur ses propres hantises. L'ennui pourrait alors gagner certains au cours d'une fiction qui évoque tout sauf le principal. Dialogues abscons, sadisme stérile, rebondissements ineptes aboutiront à une révélation grotesque.
Apôtre du genre fantastique, le réalisateur adresse donc une incroyable déclaration d'amour (de foi?) à tout un pan du cinéma en oubliant pourtant que ce dernier ne peut vraiment constituer l'objet du sacrifice mais davantage son moyen ; moyen de témoigner de ses angoisses, désirs ou obsessions — en bref de son humanité. Au final, MARTYRS marque le point de non-retour d'un quiproquo lequel, depuis SAINT-ANGE, érige une sorte de miroir sans teint entre l'artiste et une partie de son public. Gageons que dans son troisième long métrage, Pascal Laugier daigne briser la glace et abaisser les yeux pour regarder le spectateur en face, au risque de trébucher sur des ailes que l'on devine géantes.