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Critique du film et du DVD Zone 0
HAZE 2005

 

Un homme se réveille dans un dédale de béton à l'espace extrêmement confiné. Etant incapable de se rappeler comment il a bien pu se retrouver là, l'homme rampe et se tord dans les interstices du labyrinthe industriel à la recherche d'une sortie. Mutilé par les différents pièges disséminés sur son parcours, il est témoin de l'exécution d'autres prisonniers. Seule rescapée du massacre, une femme va l'aider à trouver une issue.

Figure emblématique du cinéma (réellement) indépendant, le japonais Shinya Tsukamoto a imposé son style filmique ultra abrasif et son univers d'oppression sur-urbaine au fil d'une carrière alignant les films «monstres» comme TETSUO et sa séquelle, ou encore l'hyper violent TOKYO FIST. Conscient d'avoir atteint une certaine limite thématique et stylistique avec les pourtant très réussis BULLET BALLET et le film de studio GEMINI, Tsukamoto change son fusil d'épaule en signant A SNAKE OF JUNE en 2002. L'oeuvre ne se focalise plus uniquement sur l'homme oppressé par son propre environnement, mais sonde les relations humaines pour mieux y déceler de nouvelles impasses. La forme, plus classique, fait fit des nombreuses marques de fabrique du cinéaste. Fort de son succès au festival typé «auteur» de Venise, Tsukamoto radicalise son effort avec VITAL en 2004. Le cinéaste épure son discours et son style dans une démarche de réinvention qui fait penser au Sam Raimi de UN PLAN SIMPLE. Une tendance confirmée avec le court-métrage TAMAMUSHI pour l'anthologie JAM FILMS – FEMALE, un drame «érotique» dans la lignée de A SNAKE OF JUNE.

Si le cinéma de Tsukamoto n'a pour l'instant jamais connu l'échec (mis à part HIRUKO THE GOBLIN, un deuxième film peu maîtrisé faute d'expérience), les fans de TETSUO et de TOKYO FIST désespérait néanmoins d'avoir perdu le cinéaste viscéral et enragé des débuts. Un manque aujourd'hui réparé par HAZE, initialement un sketch du «film» DIGITAL SHORT FILMS BY THREE FILMMAKERS. Derrière ce titre se cache un essai commandé par le festival coréen de Jeonju pour l'ouverture de son édition 2005. Tsukamoto, ainsi que les réalisateurs Song Il-Gon (le coréen SPIDER FOREST) et Apichatpong Weerasetakul (le thaïlandais TROPICAL MALADY, prix du jury à Cannes en 2004) ont pour contrainte de tourner chacun un film court en DV. Initialement minuté à 25 minutes dans l'omnibus, HAZE passe à 49 minutes pour son exploitation en solo (cette dernière version fait figure de Director's Cut). Le résultat, en forme de retour aux sources, a tout pour combler le vide laissé par le départ de l'homme vers des terres plus auteurisantes.

Le point de départ du film concentre littéralement en une image tout le discours du cinéaste période pré-GEMINI : on y voit un homme (joué par Tsukamoto) littéralement écrasé par le monde urbain qu'il mettait en scène jusqu'alors. Depuis cet espace où l'on peut à peine bouger, à peine respirer, Tsukamoto nous offre un voyage d'une rare intensité. L'homme se faufile entre les failles de béton, allant jusqu'à suivre le minuscule espace libéré par un conduit de tuyauterie pour remonter le tube de métal coincé entre les dents (une séquence encore plus irritante pour les nerfs que le plan des ongles sur le tableau noir des DENTS DE LA MER). Ce n'est plus l'urbain qui investit le corps humain comme dans TETSUO, c'est l'humain qui infiltre le corps de l'urbain.

Bien entendu, on ne manquera pas de remarquer à la lecture du résumé une forte similitude entre le concept de HAZE et celui de CUBE. Impossible de ne pas penser au film de Vincenzo Natali à la vue des nombreux «pièges» que doit éviter le héros dans son parcours, ainsi que cette curieuse amnésie du personnage qui l'amène à élaborer des suppositions sur cet environnement absurde qui rappelle inévitablement celui des héros de CUBE. Mais les similitudes s'arrêtent là tant HAZE s'évade des chemins de la science-fiction pour travailler sans relâche le thème de l'oppression, de la claustrophobie, quitte à s'aventurer sur les chemins de l'horreur pure dans la deuxième partie du film. HAZE verse ainsi dans le gore (en montrant des corps se faire broyer par nous ne savons quelle machine), ou dans l'ambiance délétère avec la rencontre avec Kaori Fujii (l'ancienne héroïne de TOKYO FIST), un personnage extrêmement mystérieux dégageant un érotisme troublant.

Ce retour à l'inspiration des débuts est également formel. En usant pour la première fois d'une caméra DV (TAMAMUSHI était tourné en vidéo mais HD), Tsukamoto semble redécouvrir la mobilité et la promiscuité du 16mm (son format préféré qu'il doit pourtant abandonner sur ses gros tournages). Le cinéaste ne nous fait pas pour autant son Dogme ! Il utilise la vidéo avec une rare intelligence. La flexibilité du format lui permet ainsi de filmer au plus près de son personnage principal, là où aucune caméra cinéma ne pourrait se faufiler. Ensuite, la photosensibilité accrue de la vidéo lui permet de filmer de manière beaucoup plus naturelle l'obscurité sans avoir recours à un éclairage cinéma trop lumineux. Enfin, la petite taille des caméras permet de retrouver en toute circonstance le célèbre «tremblé» des plans du cinéaste, une signature que l'homme maîtrise à la perfection. Bien entendu, le complice de (presque) toujours Chu Ishikawa opère le même retour vers ses débuts avec une musique électro-bruitiste où les samples métalliques s'enchevêtrent pour former une bande sonore de très haut vol.

Au-delà du bonheur de retrouver le cinéaste des TETSUO, HAZE compte parmi les travaux les plus réussis de son auteur. Un concentré de ce que Tsukamoto sait faire de mieux, avec le recul artistique d'une carrière de plus en plus adulte. Seul bémol à ce tableau idyllique, un final particulièrement étrange et en rupture avec le reste du film. Le cinéaste ne donne pas réellement les clefs de ce revirement dans le récit, et pour cause, il ne semble pas les détenir lui-même. Le spectateur devra inévitablement se réfugier dans l'interprétation métaphorique pour tenter de démêler l'imbroglio. Cinq dernières minutes pas vraiment à la hauteur, mais qui ne doivent pas nous détourner des exceptionnelles qualités artistiques de ce nouvel opus.

HAZE est visible pour l'instant grâce à un petit éditeur anglais. Malheureusement, la douche est particulièrement froide lorsque nous découvrons la qualité technique du disque. Si l'image est au format et anamorphosée, s'il n'y a pas de problèmes de compression à déplorer, il faudra malgré tout composer avec un étalonnage totalement sous exposé rendant illisible certaines séquences du film. Un défaut inexcusable compte tenu du travail photographique orchestré sur l'obscurité. La piste sonore sur deux canaux ne souffre quant à elle d'aucune anicroche.

Compte tenu de la faible durée du film, l'éditeur se devait de nous fournir une section bonus digne de ce nom. Nous commençons par un Making Of d'une vingtaine de minutes nous détaillant le tournage du film, un tournage surréaliste de systeme D. ! Tsukamoto et sa petite équipe sont regroupés dans un modeste local à fabriquer le décor du film : des bouts de planches de bois peints en gris, démontées et remontées aux guises des plans. Pour simuler une inondation d'eau croupie dans un conduit vertical d'aération qu'escalade le héros, le cinéaste est filmé assis dans une poubelle remplie d'eau complétée avec ce système de planches. La comparaison entre ce bricolage de théâtre amateur et l'incroyable résultat à l'écran laisse totalement sans voix. A visionner de toute urgence pour tous les cinéastes en herbe et sans le sou.

Une interview de Tsukamoto, enregistrée lors du festival de Locarno, propose de revenir sur l'expérience de HAZE. Loquace, le cinéaste s'attarde principalement sur le format DV et les modifications occasionnées dans ses méthodes de travail. Avis aux allergiques de la vidéo, Tsukamoto se montre très enthousiaste face à cette technique et nous l'explique avec un luxe de détails qui plaira aux initiés. L'actrice Kaori Fujii a également droit à une interview, sauf que le module dépasse le cadre du question/réponse pour nous proposer un carnet de bord de la comédienne et du cinéaste lors de leur présence dans la ville italienne. A milles lieux du couple extrême qu'ils ont personnifié dans TOKYO FIST, Fujii et Tsukamoto déambulent comme de typiques touristes japonais, se photographiant à la moindre occasion. Un module d'ambiance très agréable plus qu'informatif, qui doit beaucoup à la très jolie silhouette de Fujii déambulant en kimono sur les pavés de la ville.

Après le très discret sketch TAMAMUSHI du film omnibus JAM FILMS – FEMALE et avant un nouveau film fantastique de studio avec NIGHTMARE DETECTIVE, Shinya Tsukamoto livre avec HAZE une récréation qui nous ramène près de quinze ans en arrière. Un intra-TETSUO d'une rare intensité et violence, soit une nouvelle pièce passionnante d'un cinéaste qui ne l'est pas moins.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
49 ans
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287 critiques Film & Vidéo
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Du Tsukamoto hyper concentré !
On n'aime pas
Un final abscons
Le DVD impose une image au rabais
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L'édition vidéo
HAZE DVD Zone 0 (Angleterre)
Editeur
Terra
Support
DVD (Simple couche)
Origine
Angleterre (Zone 0)
Date de Sortie
Durée
48 mn
Image
1.78 (16/9)
Audio
Japanese Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Making of (23mn47)
      • Interviews
      • Shinya Tsukamoto (19mn31)
      • Kaori Fujii (16mn56)
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