Pendant la Guerre des Balkans, un officier grec se rend sur une petite île pour visiter la tombe de sa défunte épouse. Accompagné par un journaliste américain, il découvre que le tombeau a été profané et que le corps de sa femme a disparu. Dans le même temps, une épidémie de peste les bloque sur l'île ainsi que ses habitants en attendant que ce danger invisible ne s'évanouisse…
Après LA MALEDICTION DES HOMMES CHATS, le producteur Val Lewton essaie de sortir de l'épouvante avec la même équipe du studio de production de série B de la RKO. Sont alors mis en boîte MADEMOISELLE FIFI réalisé par Robert Wise ou bien YOUTH RUNS WILD de Mark Robson. Les budgets de production sont toujours aussi serrés et les films n'ont pas un impact retentissant. Les dirigeants du studio pressent alors instamment l'équipe de Val Lewton de retourner aux sources de leur succès. Surtout que la RKO vient de signer un contrat avec Boris Karloff pour la mise en chantier de trois films. Val Lewton n'est pas des plus heureux de voir débarquer l'un des monstres du cinéma fantastique mais tout le monde s'entendra à merveille...
Le premier film de Karloff pour la RKO sera donc L'ILE DES MORTS. Le film est confié par Val Lewton à Mark Robson qui a déjà œuvré dans le genre au sein du studio que ce soit à la réalisation (LA SEPTIEME VICTIME et THE GHOST SHIP) ou auparavant dans l'ombre de Jacques Tourneur (LA FELINE, VAUDOU...). Mais cette histoire d'une poignée de personnages qui sombrent dans une folie superstitieuse va connaître pas mal de soucis. Le point de départ de L'ILE DES MORTS est un tableau au titre éponyme d'Arnold Bocklin. Un scénario va être écrit à partir d'une image dénuée de matériel narratif. Mais ce scénario original ne sera que très vaguement utilisé, car finalement peu au goût de Val Lewton et Mark Robson, ce qui amène à modifier l'histoire et les dialogues au fur et à mesure du tournage. De plus, Boris Karloff est écarté des plateaux en raison d'une blessure à la jambe. Sans son acteur principal, la RKO stoppe L'ILE DES MORTS pendant un temps. Mais, au retour de Karloff, il est décidé de lui faire tourner LE RECUPERATEUR DE CADAVRES où il donnera, entre autres, la réplique à Bela Lugosi. Un tel choix laisse évidemment sous-entendre que L'ILE DES MORTS était devenu un projet peu enthousiasmant pour le studio ! Après la fin du tournage du RECUPERATEUR DE CADAVRES, Mark Robson récupère Boris Karloff et peut boucler son film avant d'embrayer sur BEDLAM, lui aussi inspiré d'un tableau, à la facture plus réussie.
Les soucis narratifs de L'ILE DES MORTS, on les ressent à plusieurs endroits dans le film qui peine en son milieu à se mettre en place. Ainsi, l'histoire du corps de la femme de l'officier grec est expédiée sans que l'on n'y trouve un élément qui puisse servir le récit principal. L'amourette entre le journaliste et la belle du coin ne sert pas tellement non plus. Pour autant, le film s'insère complètement, sur un même registre, parmi les autres films du genre produits auparavant par Val Lewton. Superstition et doute à propos d'une créature surnaturelle planent sur l'ambiance inquiétante de l'île. Les personnages se retrouvent dans l'attente d'une mort impalpable qui peut toucher n'importe lequel d'entre eux à tout moment. Si les uns rationalisent, une servante locale pointe du doigt l'une des résidentes de l'île en l'accusant d'être une sorte de vampire. Au fil du temps, et de l'attente, la paranoïa va ronger le plus cartésien d'entre tous. Un peu comme si face à une mort inéluctable, les plus agnostiques, les plus terre à terre, essayaient de trouver une cause plutôt que d'accepter un sort dénué de raison.
De cette mise en place où la mort pestilentielle rampe d'un champ de bataille, charnier crépusculaire, à une auberge où les habitants se retrouvent tous en sursis, L'ILE DES MORTS mène droit à un incroyable épilogue cataleptique. Cette dernière partie ainsi que les premières scènes du film se haussent au même niveau de qualité que l'épouvante de LA FELINE ou de VAUDOU pouvait distiller. Certainement moins réussi que les deux titres cités, cette ILE DES MORTS recèle tout de même de purs moments de beauté morbide !
Lorsque l'éditeur avait commencé à sortir les titres horrifiques de la RKO, les sources disponibles pour L'ILE DES MORTS étaient, d'après les Editions Montparnasse, de mauvaises qualités. Six années ont passé et voilà enfin une édition du film qui sort quelques mois après celle d'un coffret regroupant la plupart des productions Val Lewton aux Etats-Unis. En dehors du coffret, le film est aussi disponible accompagné seulement de BEDLAM toujours chez les Américains. Pour se procurer ce dernier titre en France, il faudra l'acheter séparément puisqu'il a été commercialisé par Les Editions Montparnasse sur un DVD que nous n'avons pas vu.
L'image est présentée dans son plein cadre d'origine. Le transfert arbore une définition respectable et des contrastes de bonne tenue. Si ce transfert ne fait pas spécialement d'étincelle, il ne pose pas non plus de problème particulier et permet donc de voir le film de manière très correcte. On sera déjà un peu plus critique concernant le son proposé dans sa version originale sous-titrée en français. En réalité, il ne pose pas de véritable problème mais nous avons pu constater un vilain pet numérique (à environ 8mn14) qui aurait pourtant pu être retiré très facilement sans compter qu'il ne s'agit probablement pas d'un souci inhérent à l'âge du film… Cela dure moins d'un dixième de seconde mais il nous fallait bien le noter !
Avec les disques édités par les Editions Montparnasse dans sa collection RKO, le premier contact est plutôt repoussant. Le menu est dénué de personnalité et il n'y est même pas indiqué le titre du film. Cela fait très pauvre même pour un disque commercialisé à petit prix. Si des euros ont été économisés sur l'interactivité des menus, l'éditeur propose tout de même une petite présentation de Serge Bromberg. Il survole en deux minutes le film, c'est clair, concis et, en raison de la durée, peu fouillé. L'approche commercialement économique couplée à un produit qui se veut culturel, donc prestigieux, est ici assez surprenante !