Deux hommes, ne se connaissant visiblement pas, se réveillent chacun enchaîné à un coin d'une salle de bain insalubre. Au milieu de la pièce gît un cadavre avec dans une main un pistolet et dans l'autre un dictaphone. Ne comprenant rien à la situation, ils découvrent alors dans leur poche des instructions : le premier homme, le docteur Gordon, a huit heures pour tuer son compagnon d'infortune s'il veut sauver la vie de sa femme et de sa petite fille kidnappées. Ne pouvant se déplacer dans la pièce, Gordon doit découvrir des objets dissimulés tout autour de lui pour l'aider à accomplir son crime. Les deux hommes réalisent alors qu'ils viennent d'être piégé par le «Jigsaw Killer», un tueur particulièrement sadique ayant la particularité de mettre en scène ses victimes dans des épreuves morbides et cruelles.
Génial ! Extraordinaire ! Le film qui va révolutionner le genre ! C'est sous cette réputation hyperbolique que nous est arrivé SAW de James Wan (rien à voir avec Suzy), un petit film ayant alimenté le plus gros buzz de l'année 2004 après des passages remarqués en festival (comme Sundance, San Sebastian, Gérardmer) ou les marchés du film. Un enthousiasme autant provoqué par la formidable efficacité du titre que par le parcours de ses auteurs, ces derniers ayant il faut bien le dire accompli des miracles sous la foi d'une passion sans borne pour le genre.
Derrière SAW il y a donc deux jeunes compères, James Wan et Leigh Whannell, ayant tous deux même pas 30 ans. Ils deviennent amis lors de leurs études de cinéma en Australie, et décident d'unir leurs talents pour monter leur premier long-métrage. Wan a le sens de la mise en scène, tandis que Whannell possède un solide don d'écriture tout en aspirant à devenir comédien. Sur une idée originale de Wan, Whannell écrit le scénario de ce qui deviendra SAW, un petit film destiné à être tourné pour quelques milliers de dollars entre copains. Espérant que le film les fassent remarquer, les duettistes peaufinent leur scénario, afin que la force de l'histoire surmonte le budget de série Z qu'ils comptent réunir.
Wan et Whannell font tourner le scénario de SAW afin de récolter un peu de fond. Le script va alors provoquer une série de coups de coeur qui va attirer les producteurs indépendants américains. Une chance inespérée pour le duo qui, non content de vendre leur scénario, obtient l'accord de la production pour que Wan réalise le film tandis que Whannell incarne le second rôle. Le budget alloué s'élève au final à 1,2 millions de dollars pour 18 jours de tournage. Un cadeau à double tranchant puisque si ce budget permet de concrétiser le film dans un réseau professionnel, l'écrasante contrainte de temps ne laisse pas le loisir d'aboutir à un résultat plus sophistiqué qu'un petit Corman. La réussite de SAW tient donc d'abord du miracle ici accompli. Le film est visuellement travaillé, très rythmé, et ne laisse jamais transparaître sa misère budgétaire. Un détail pour certains, mais qui méritait que l'on s'y arrête.
Au grand dam de leurs auteurs, SAW rappelle immédiatement deux références : CUBE de Vincento Natali pour le côté mystère de l'enfermement et la relation entre les deux personnages emprisonnés, et SEVEN de David Fincher pour l'esthétique crade et le serial killer constituant via ses meurtres une oeuvre à la portée philosophico-mystique. Le «Jigsaw Killer» ne tue pas juste «parce qu'il est très méchant», mais choisi ses victimes afin de les mettre face à certaines de leurs contradictions tout en leur laissant une possibilité de survie. C'est ainsi qu'une femme (Shawnee Smith, à jamais l'ado du BLOB de Chuck Russell), gaspillant sa vie dans la toxicomanie, se réveille la tête emprisonnée dans une armature prête à lui concasser le crâne. Elle a tout juste une minute pour trouver la clef pouvant la libérer, cette dernière ayant été avalé par un pauvre badaud ! Passé l'horreur de la séquence, on frissonne encore plus lorsque nous retrouvons la femme ayant survécu à son calvaire, et s'effondrant dans les bras des inspecteurs de police en décrétant que le tueur «l'a aidée».
Heureusement, la grandiloquence des meurtres et l'imagination sadique du film parvient sans mal à hisser le titre bien au-delà de son concept de Ford Boyard chez le boucher et de ses deux écrasants modèles. Ce serait plutôt le parfum du giallo qui enroberait SAW et ses débordements graphiques, autant pour ses quelques coquetteries d'ambiance comme cette marionnette alter ego du tueur (possédant des spirales rouges sur les joues comme le célèbre petit ninja Hattori-kun récemment porté à l'écran dans NIN X NIN, est-ce un hommage ?), ou encore la faculté quasi-fantastique du tueur d'échapper à la police. Car si la moitié de SAW se passe bel et bien dans une salle de bain entre deux personnages s'entraidant ou se soupçonnant, l'autre moitié nous sort de la claustrophobie ambiante pour différents flash-back autour des personnages et de l'enquête menée par la guest star Danny Glover essayant de coincer le coupable.
En nous tenant en haleine de la première à la dernière seconde, SAW remporte son pari haut la main. A notre époque où les jeunes cinéastes tentent de se forger une personnalité en triturant parfois jusqu'à l'absurde le médium cinéma, Wan et Whannell ont préféré miser sur un scénario solide et riche en rebondissements. Un choix en apparence rétrograde mais qui fait du bien. SAW est d'abord une bonne histoire, dans laquelle il paraît difficile de ne pas s'investir. Hormis quelques effets de mise en scène un peu tape à l'oeil (mais heureusement peu nombreux), le film évite le jeunisme à tout crin pour proposer un ton noir et adulte. Dans le rôle principal, l'ancien jeune premier Cary Elwes livre une performance parfaite de docteur redoublant d'imagination pour trouver la faille dans le plan macabre du tueur.
Face à lui, Leigh Whannell est très crédible dans son rôle de compagnon d'infortune, une gageure pour ce jeune comédien qui n'avait pas le luxe d'une deuxième prise pour affiner son jeu. Reste le twist final, pour une fois justifié dans la narration, et qui fit couler beaucoup d'encre quant à son audace. La réception de cet ultime rebondissement compte beaucoup dans l'appréciation que l'on se fait au final de SAW, gonflé mais coiffant tout le monde au poteau par la seule force de son imagination.
Distribué tardivement chez nous, SAW a déjà eu le temps d'être copieusement édité en DVD de par le monde. Malheureusement, l'édition française est un portage de l'édition simple américaine et ignore les éditions plus complètes sorties depuis avec version du film plus dure et section bonus digne de ce nom. Heureusement, le film est servi par une prestation technique sans faille. L'esthétisme du crade est parfaitement retranscrit par une image à la fois belle et légèrement granuleuse, et les pistes sonores nous démontrent sans cesse le grand travail effectué sur le design et l'ambiance sonore.
Parmi les suppléments, un seul élément mérite l'intérêt. Il s'agit du commentaire audio de James Wan et Leigh Whannell. Les deux hommes étant amis avant d'être complices, il faut ainsi s'attendre à une parole détendue et volontièrement rigolarde. Cela n'empêche pas un discours pointu sur la fabrication du film, Wan insistant particulièrement sur les conditions de tournage supersoniques, et un regard parfois très critique comme lorsque Whannell commente sa propre performance. Le respect porté au duo est notamment renforcé lorsque Wan nous explique que l'intégralité du twist final a été tourné en une seule prise avec deux caméras, personne n'ayant le droit à l'erreur.
La suite de la section fait juste office de plaisanterie. Un module nous propose de revivre le tournage du film à toute vitesse, sur deux pathétiques minutes trente. Les prises de vues ont certes bénéficié de peu de temps, mais ce n'est pas une raison ! Il faudra pourtant s'en contenter puisque le disque ne propose plus rien en rapport direct avec le film. A la place, nous aurons droit au clip du groupe métal Fear Factory en deux versions, censurée ou non. Bien entendu, nous commençons par la non-censurée ! Tourné en vidéo, le clip met en scène le groupe subissant les tortures du film sous l'égide d'une Top modèle aux allures d'endive gothique. Pathétique de nullité, le clip fait même intervenir les pires incrustations en blue screen que nous ayons vu depuis le clip de «Joe le Taxi» par Vanessa Paradis en 1985. Pas même gore, on comprend bien vite que ce clip fut censuré pour son ridicule. La version light est un remontage des blue screens noyé sous des filtres graphiques cache misère. Si le coeur vous en dit d'en savoir plus sur les génies responsables de cette chose, un Making Of va nous permettre de faire leur connaissance. Fait admirable, le Making Of du clip est deux fois plus long que celui dédié au film. Une archive de bandes-annonces et d'affiches promotionnelles achève la section.
Il paraît évident qu'une nouvelle édition intégrant la version intégrale et un deuxième DVD de bonus pointera un jour son nez chez nous. En attendant, la sortie de ce disque coïncide avec la sortie sur les écrans du deuxième opus, produit à toute vitesse par le duo original mais mis en scène par le nouveau venu Darren Bousman. Sachant qu'un SAW 3 est également en préparation, on espère juste que la franchise saura s'arrêter à temps avant de perdre totalement ce qui faisait l'originalité de cet excellent premier film. Ne serait-ce que pour s'éviter la gaudriole qui s'invitera en France lorsque la série atteindra la demi-douzaine.