Le générique claque comme un fouet dans un ciel rougeoyant (en noir et blanc) ! Il est réalisé par Curt Siodmak, frère du cinéaste Robert Siodmak. Son premier film, MENSCHEN AM SONNTAG, est une pierre d'angle du cinéma allemand des années 30. Curt Siodmak, a l'instar de son frère, Edgar G. Ulmer, Fred Zinnemann ou encore Billy Wilder fuit l'Allemagne nazie en 1937 et s'installe aux USA. Scénariste chevronné, il s'attaque à la réalisation avec hélas moins de talent. Il n'a pas lésiné sur son propre scénario de cette fiancée du gorille. Son oeuvre rayonne également de titres tout aussi évocateurs que CURUCU BEAST OF THE AMAZON (un faux-film de monstre), LOVE SLAVES OF THE AMAZON (un des premiers films sexy féministe des années 50 !). THE MAGNETIC MONSTER, avec de effets spéciaux récupérés d'un film de SF allemand GOLD de 1934, doit plus à Herbert L. Strock qu'à Siodmak. Curt Siodmak a également écrit les scénarios du CERVEAU DU NABAB (DONOVAN'S BRAIN), FRANKENSTEIN MEETS THE WOLF MAN, THE LADY AND THE MONSTER, SHERLOCK HOLMES ET LE COLLIER DE LA MORT… le fantastique lui doit ainsi beaucoup.
Série B ne s'embarrassant pas de fioriture, BRIDE OF THE GORILLA rentre dans le vif du sujet de suite. Passons la copie rayée, les sauts d'images et le générique tremblotant. Direction : la Jungle. Ou du moins un semblant de jungle composée de stock-shots de documentaires divers, révélant la présence de guépard, panthère, serpent, singe. Aucun doute n'est permis, il s'agit d'une destination exotique.
Nous passons ensuite par une rayure noire persistante sur le côté gauche de la copie jusqu'à un Raymond Burr amoureux de la femme de son patron ! Il fricote également avec une indigène qui ne tarde pas à comprendre qu'elle n'est rien de plus qu'un amuse-gueule. Raymond tente une conciliation avec la mari et patatras ! Il bouscule le mari qui se fait mordre par un serpent qui passait par là. Témoin de cette scène, la grand-mère de l'indigène jette un sort à Raymond qui se sent transformé en bête sauvage.
La jalousie est clairement le moteur du récit et celui-ci ménage intelligemment le suspense pour ne montrer que tardivement la créature. Vue la paillasse poilue qui s'agite dans une jungle de trois mètres carré et les yeux exorbités de la bête, on peut se dire qu'on y gagne en rires étouffés. Mais curieusement, l'intérêt est ailleurs, comme l'a exprimé Curt Siodmak. Payé 2000 dollars (qui lui servirent à payer son inscription à la Director's Guild of America), il avait l'intention d'appeler son film THE FACE IN THE WATER (dernière image du film). Le producteur en a décidé autrement mais ce thème principal donne les moments les plus réussis du film où la créature se mire dans le reflet de l'eau d'une rivière. Poétique et inquiétant.
Ainsi le ton du film demeure bien celui du propre de la nature humaine, confronté à l'appel de la sauvagerie qui est en l'homme. Il s'agit en fait d'un homme qui, nouvellement marié, s'échappe de sa nouvelle condition. En effet, sentant la bête s'éveiller en lui, il se presse au coeur de la jungle afin de donner libre cours à sa nature retrouvée. Et le scénario possède l'intelligence de ne pas parler d'une créature assoiffée de sang tout au long du métrage, juste la révélation d'une autre nature chez l'homme. Le personnage de Raymond Burr/la créature bénéficie d'une étrange mansuétude, ce qui laisse la porte ouverte aux symboles. Quelle est donc cette nature révélée qui s'empare de Raymond Burr et qui l'éloigne de son mariage à peine scellé et de sa femme qui ne comprend pas que ses charmes n'agissent plus ? La nature humaine serait-elle en fait plus bestiale que la bête elle-même (qui fait plus peur qu'elle ne tue… car c'est l'homme qui est responsable de la mort du mari) ? Chacun interprétera cela selon ses convictions, sa culture ou… sa nature. Un des rares films de série B sur la nature de l'homme plutôt que sur ses actes. Soit vingt ans d'avance sur sur le reste du cinéma américain.
La minceur du budget ne permet pas de miracle bestial pour la mise en scène. Quelques décors filmés caméra au pied, des acteurs tentant de bouger dans le peu d'espace disponible. On y dénote toutefois une utilisation d'une caméra subjective et à l'épaule pendant la traque de la bête. Le tout demeure à l'image de la série B naissante des années 50 : statique et confronté aux limites structurelles des décors. Les déplacements des acteurs ne primant pas, la routine prend le dessus. On notera les fautes de raccord témoignant de la rapidité d'exécution du produit. Ainsi Lon Chaney Jr., dans un rôle pour une fois positif, adopte des positions de casquette changeantes (34mn55).
Le film se rattrape surtout par un scénario intelligent (si on fait fi des clichés inhérents aux années 50, entre racisme latent envers les indigènes, une fin morale…), des dialogues crédibles et un ton qui amorce une réflexion intelligente sur les mythes & croyances. Il faut au passage laisser de côté le ton sentencieux de Lon Chaney Jr. sur les dures lois de la jungle, les yeux énamourés de Barbara Payton donnant à cette oeuvre un relent de soap opera sous les palétuviers roses. Les plus attentifs verront la présence de Woody Strode (KEOMA, CIAKMULL, L'HORRIBLE INVASION…), dans son premier rôle sous ce nom. Cette version B de LA BELLE ET LA BETE mâtinée de KING KONG dans sa structure narrative n'a toutefois aucun mal à se hisser au dessus des films où un singe sauvage est le héros, du pénible WHITE PONGO au médiocre GORILLA AT LARGE avec Anne Bancroft et… Raymond Burr.
Une copie en bien piètre état, voilà ce que le distributeur nous sert en guise de support. Les droits étant tombés dans le domaine public, il s'agit du même matériau d'origine resservi ça et là. Outre la rayure précédemment indiquée, les sauts d'image sont légion (5mn31, 23mn57, 47mn44 entre autres) mais ils ont l'heureuse idée de passer le relais à une rayure blanche (18mn45) pour ensuite réapparaître au gré d'une copie fatiguée. La copie est trop sombre dans les scènes de nuit, trop claire dans les scènes de jour : trop peu de contraste. Mais même si la copie s'avère médiocre, la rareté du produit en notre contrée teste notre tolérance sans pousser de tollé rance. Et tant pis pour la bande verticale grisâtre au centre de l'écran qui, tel un fantôme d'une bande magnétique VHS usagée, survient dans les scènes de jour. De plus, la jaquette indique 70 mn alors qu'en réalité il s'agit ici de 66 mn. Les sauts d'images divers et coupes brutales pendant les changements de bobines laissent à penser que le métrage tendrait plus vers du 67mn.
Le son, mono sur un seul canal, surprend par sa clarté. La version anglaise, sans sous-titre, demeure en effet largement audible malgré un léger souffle (qui se révèle cependant uniquement en poussant un peu le son). Une bonne surprise.
Les suppléments sont inexistants mais il est possible de visionner un second film sur le même disque avec THE AMAZING TRANSPARENT MAN.
Au finish, BRIDE OF THE GORILLA demeure à part dans la cohorte de films de monstres de série B qu'Hollywood produisit à la chaîne dans les années 40-50. Pas tant au niveau de la mise en scène, quelconque, que de la mise en image, banale et syncopée d'extraits de documentaires animaliers, mais d'un sujet qui aurait peut être mérité plus d'attention de la part d'un producteur plus attaché à l'accroche du film plutôt qu'à un thème sortant des sentiers battus. Il commit ensuite un épouvantable BELA LUGOSI MEETS A BROOKLYN GORILLA. Tout aussi fauché mais dénué de toute originalité. CQFD.