2. Van Belle

VAN BELLE TIME MACHINE
A l'inverse de la déferlante de DV du XXIe siècle, le LUFF rendait hommage à un auteur quasi oublié et dont seul LE SADIQUE AUX DENTS ROUGES faisait saliver un petit cercle d'initiés du film d'exploitation francophone du début des années 70. Jean-Louis Van belle (JLVB pour les intimes) fut ainsi invité à présenter quatre films tous aussi farfelus, extrêmes dans leur forme, délirants, ironiques et parfois mal torchés. Là aussi, une conception du cinéma comme on en fait plus.

La copie du mondo PARIS INTERDIT était celle du DVD disponible dans le commerce. Couleurs franches et aspect désuet de la mise en image, il représente cependant le chef d'œuvre de Jean-Louis Van belle. Des situations hautement comiques (la femme relevant le défi de traverser Paris nue dans sa voiture), jusqu'à certaines quelques peu troublantes. Le dernier vampire parisien, les derniers nazis parisiens, le taxidermiste qui exécute son oeuvre en quasi temps réel sur un chien, la secte de la fin du monde qui cède à une orgie avant le moment ultime…. Même ce gourou qui prêche l'amour entre les humains où l'on peut voir surgir un baiser entre deux hommes… pour 1968 en France, ça tient du curieux, d'autant qu'aucun jugement d'aucune sorte n'est porté sur l'ensemble des protagonistes du film. Une scène particulièrement rude est celle du cours de fakirisme où le mage-fakir finit par un "gargarisme pakistanais". I.E : il se transperce la gorge de part en part avec une brochette, avant de finir la tête bourrée d'épingles et – The Van Belle touch – son ventre finira en cible pour fléchettes. Van Belle sait filmer sexy sans verser dans le trash transalpin. Tous ces aspects curieux d'une certaine vision du Paris 60's ne trouvent grâce qu'à travers quelques dialogues savoureux, décalés et une mise en abîme du sujet via cette ironie perpétuelle qui demeure clairement la marque Van Belle. L'excellente idée est d'avoir proposé quatre métrages se situant chronologiquement dans une œuvre qui se construit au fur et à mesure. Navigation des thèmes qui reprend à son compte certains stocks-shots de PARIS INTERDIT afin de les incorporer aux trois autres objets filmiques. Mais également, pour les plus observateurs, certains personnages présents ici referont surface dans PERVERTISSIMA, PERVERSE ET DOCILE et LE SADIQUE AUX DENTS ROUGES.

PERVERTISSIMA sert de lien entre le Mondo et le mode narratif. S'inspirant plus ou moins délibérément de la vague de films-documentaires-exploitatifs suédois à la I AM CURIOUS : YELLOW, Françoise (une très sensuelle et naturelle Maelle Pertuzo) est engagée dans un journal parisien afin d'enquêter sur l'amour et les parisiens. Munie d'un enregistreur, d'un appareil photo, elle se rend dans divers cercles allant du bain réservé aux femmes (où elle cède à la tentation lesbienne), à la prostitution, au jeu SM tout en menant un chassé-croisé amoureux avec un journaliste. Et en étant vierge, bien sûr (!). A la lecture, on sent la poilâde venir mais le tout est filmé avec une certaine naïveté désarmante, mêlée à l'énergie de la caméra, un second degré permanent et une bande-son swinguante que n'aurait pas renié Manfred Huble et Sigi Schwab (compositeurs de VAMPYROS LESBOS, entre autres). Comment réellement prendre au sérieux ce Mondo scénarisé ? Impossible ! L'ambiance y est sexy, l'héroïne s'effeuille dans toutes les scènes et on sent une certaine liberté sexuelle quasi naturelle dans le jeu d'actrice interprétant l'héroïne. Puis brutalement, le film bascule dans une série B fantastique qui faisait fureur à la fin des années 60. Un mystérieux professeur Vilard (Albert Simono, vu dans DRACULA PERE ET FILS, LES RIPOUX et même BERNADETTE de Jean Delannoy !) souhaite créer dans sa clinique une race parfaite en faisant de l'homme et de la femme des robots sexuels… et ainsi devenir le Maître du Monde. Rien que ça. On nage en plein Serial et l'influence de métrages comme HYPNOS de Paul Maxwell, mâtinée d'érotisme made in 1969, fait le reste. Foutraque, loufoque, non-sensique, filmé à l'arrache (et encore une fois au Cabaret Le Sexy qu'on retrouvera dans PERVERSE ET DOCILE !)… mais avec toujours un soin du cadre, un rythme sûr et encore une fois ce contrepoint ironique qui montre que JLVB ne se prend pas au sérieux.

Saut dans le temps de quelques mois et nous voila dans les bras de la PERVERSE ET DOCILE (connu également dans nos contrées sous le nom moins racoleur de UNE FEMME TUE) et très bressonnienne (dixit le réalisateur lui-même) Carole Lebel. Raconter le pitch du film reviendrait à spoiler avec un grand S, mais disons que Van Belle s'est plus ou moins inspiré du film noir d'un auteur de la nouvelle vague. Pour mixer le tout avec sa patte habituelle de déshabillage féminin, de tentations Mondo et de récit éclaté. La piètre qualité de la copie 35 mm (qui a cassé près de 9 fois durant la projection !) dont les couleurs ont viré au magenta, sans compter les rayures qui témoignent de l'usure du temps et les délicats changements de bobines, n'altèrent en rien le plaisir de découvrir un tel métrage au cinéma. On assiste donc au parcours d'une jeune femme "prête à tout" et qui se dit donc PERVERSE ET DOCILE. Ceci afin d'assassiner consciencieusement plusieurs personnes. D'un point de vue narratif, cet opus s'avère le plus déroutant. On ne sait jamais clairement où va l'histoire, tant les segments ne semblent pas être reliés entre eux. La première scène du film donne une vague idée, mais le spectateur se trouve quelque peu pantois devant autant de défis au bon sens. Du cabaret d'effeuillage à la scène de flagellation, en passant par une scène sous-marine où l'on voit s'ébattre une jeune femme au corps peint, on en arrive à une séquence de course automobile et à la conclusion que JLVB n'a jamais eu autant de moyens ! Si l'on ajoute à cela une partition musicale infernalement pop déstructurée de Raymond Legrand (un collaborateur habituel), un grand coup de shaker et hop : on obtient une œuvre hybride, thriller sexy au scénario quelque peu infécond, comme si JLVB ne se sentait pas concerné par sa finalité. Juste par des scènes délirantes et une tentative de recoller des morceaux. Il joue avec le matériau et la narration. On excusera le phrasé grave de l'héroïne, là aussi en décalage complet avec l'action. Le flash back final démonstratif. L'aspect généralement bordélique, exploitatif et parfois amateur. On gardera l'image finale en demi-teinte, comme si l'excès ne trouvait sa satisfaction que dans l'orgasme ultime de la mort.

LE SADIQUE AUX DENTS ROUGES (marqué DENTS ROUGES sur le générique de début) venait ainsi en cerise sur le gâteau. Copie rénovée pour la sortie d'un DVD et d'une diffusion sur le câble, couleurs parfois somptueuses : là encore, découvrir sur grand écran un impensable survivant du cinéma d'exploitation francophone tenait du miracle. Le sémillant JLVB ayant fait sa présentation, on comprend au fur et à mesure de la projection qu'on assiste à un faux film de "Sexhorror" comme le promettait l'affiche de l'époque. On y retrouve le mystérieux professeur Vilard (Albert Simono) de PERVERTISSIMA qui décide de révéler à Daniel (Daniel Moosman – futur réalisateur de NOIRES SONT LES GALAXIES et du TRESOR DES TEMPLIERS) qu'il est un véritable vampire. JLVB accomplit quelques scènes surréalistes qui donnent le ton. Daniel remarque que chacun évolue en marche arrière dans la rue, et qu'il est le seul à aller de l'avant. Moment de pure folie/grâce cinématographique assuré. Le début est fort : un héros en proie à des doutes, à des visions, sort d'un pénible séjour à l'hôpital suite à un accident de voiture. Persuadé d'être un vampire, il se fait initier par… le dernier vampire de Paris (cf PARIS INTERDIT !), attaque une vendeuse d'un magasin de farces et attrapes et s'éloigne de sa petite amie Jane (Jane Clayton). Son hasard et sa violence font peine à voir. Un anti-héros manipulé par un homme de médecine qui décidément ne semble pas vouloir s'arrêter sur le chemin du bis. Le film entame alors un long tunnel scénaristique qui nous a quelque peu refroidi. Tout demeure certes soigné, mais les longs dialogues sépulcraux plombent la progression scénaristique et LE SADIQUE AUX DENTS ROUGES fait du surplace. Pas de giclées sanglantes, peu de sexe, la vérité semble ailleurs, plus désenchantée. On imagine quelque peu le spectateur de l'époque entré dans une salle de cinéma et assistant à ce spectacle très éloigné de ce qu'on lui avait fait miroiter. Un peu comme celui se présentant devant PRISONNIERES DE LA VALLEE DES DINOSAURES et de ne voir que les squelettes de ceux-ci. Mais pas de parallèle entre Michele Massimo Tarantini et JLVB. Ce dernier se rattrape avec un final haut en couleurs (au sens propre comme au figuré) qui commence en bal costumé, se transforme en course-poursuite sur les toits de Paris pour se terminer en chute mortelle via quelques dialogues philosophiques mortifères de comptoir. Cet aller/retour fantasmagorique entre le réel et la fiction (vampire ? pas vampire ?) est là aussi, à la fois désarmant et jouissif. JLVB a quelque part réalisé son JUDEX.

Cette unité thématique et filmique se retrouve invariablement dans la sélection effectuée par le LUFF. Cela défie parfois tout sens commun de la critique, mais on se trouve bel et bien en présence d'un auteur, d'un vrai. Assumant plusieurs positions (!) de réalisateur, scénariste, monteur, compositeur… il existe malgré tout une certaine cohérence. Tous les génériques sont en négatif inversé par exemple. Chaque générique est affublé d'une chanson originale écrite par JLVB. Des silhouettes et autres personnages se retrouvent fidèlement d'un film à l'autre, renforçant cette idée de serial contemporain, de revisitation du mythe filmique…

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