Tetsuo : Interview Eric Bossick

1. Partie 1

Eric Dinkian : Vous avez plusieurs cordes à votre arc... Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs français ?

Eric Bossick : Eric Bossick, né en Pennsylvanie aux Etats-Unis. J'y ai vécu seulement deux ou trois ans avant de déménager à Singapour puis au Canada où j'ai grandi. J'ai commencé à faire du théâtre à l'adolescence. J'ai obtenu le Bachelor of Fine Arts ès art dramatique, à l'université au Canada. Puis j'ai voyagé et j'ai débarqué à Tokyo. J'y travaillais comme mannequin et je me suis initié à la danse Ankoku Butoh (NDLR : danse contemporaine japonaise). J'ai suivi les cours de nombreux professeurs, intégré des groupes avant de faire des représentations en solo. Je me suis ensuite lancé dans la photographie en autodidacte. Deux ans plus tard, c'est devenu une activité professionnelle. Je faisais des portraits de musiciens, d'acteurs et de danseurs. Dès lors je me suis installé en free-lance en tant que comédien et photographe. Mes photos ont été exposées à Nîmes en France, en mars 2009 durant l'événement "L'Expérience Japonaise". A cette occasion, j'ai goûté la fabuleuse gastronomie française et je n'ai plus jamais pu me satisfaire d'une autre cuisine.

Comment vous êtes-vous retrouvé à interpréter le rôle principal de TETSUO : THE BULLET MAN ?

Shinya Tsukamoto est un bon ami de Gaspar Noe. Gaspar était en tournage à Tokyo (NDLR : pour ENTER THE VOID) et mon agent avait donné un coup de main sur son film. Lors de la soirée de fin de tournage, Tsukamoto a rencontré mon agent. Quelques mois plus tard, il a commencé les castings pour TETSUO : THE BULLET MAN. Quatre personnes de mon agence y sont allées mais Tsukamoto a auditionné au total plus de 100 personnes pour le rôle du nouveau Tetsuo. J'ai donc eu un appel de mon agent me disant : "un certain type appelé Shinya Tsukamoto veut faire un film indépendant, est-ce que ça t'intéresse ?". J'étais sonné car j'étais un grand fan de Tsukamoto et mon agent ne savait même pas qui il était. L'audition a été fixée et j'ai demandé des pages du scénario pour me préparer. Ce que j'ai reçu était simplement titré THE BULLET MAN et les scènes parlaient de cyborgs. Tsukamoto avait déjà fait des films traitant de cyborgs, d'humains et de métal, j'ai donc pensé qu'il était normal qu'il continue sur le sujet.

En examinant les scènes reçues, j'en ai déduit que ce rôle devait être important dans le film mais je n'ai jamais pensé que c'était le rôle principal. Je pensais que le rôle principal serait tenu par un acteur japonais connu, comme dans ses derniers films (NDLR : Tadanobu Asano dans VITAL ou encore Ryuhei Matsuda dans les NIGHTMARE DETECTIVE). Mais c'était une sacrée occasion et j'avais vraiment envie de prendre part à cette nouvelle oeuvre de Shinya Tsukamoto. Je me suis donc énormément préparé avant la première audition, environ trois à quatre heures par jour pendant deux semaines. Le scénario indiquait que le personnage était à moitié japonais. J'étais inquiet car je suis occidental et j'avais peur que ce soit un point négatif. J'ai donc teint mes cheveux en noir, j'ai raccourci mes sourcils et ajusté ma carnation. Mon audition était le jour de l'équinoxe du printemps 2008. Tout le monde était très poli mais semblait nerveux. J'avais déjà travaillé ma prestation donc je leur ai présenté ce que j'avais imaginé sur la base du scénario. C'était incroyablement surréaliste de jouer devant Tsukamoto et d'avoir son regard intense fixé sur moi. Tandis qu'il restait très poli, j'ai eu à l'esprit un flash de son rôle de Zero dans NIGHTMARE DETECTIVE, où il poignarde le héros à la fin du film, projetant du sang partout.

J'ai attendu avec impatience leur réponse. Environ un mois plus tard, j'ai passé une deuxième audition où il ne restait que cinq personnes. Les quatre autres étaient tous des acteurs métissés japonais. Alors j'ai décidé de mettre le paquet. Ce n'est qu'à cette seconde audition que Tsukamoto m'a dit que j'auditionnais pour le rôle de Tetsuo. Alors j'ai compris à quel point c'était énorme, encore plus énorme que ce que j'avais imaginé : une sorte de Godzilla qui détruirait les villes et les esprits du monde entier.

Vous êtes un fan du cinéma de Tsukamoto depuis le début. Qu'avez-vous ressenti quand vous avez été choisi pour incarner la nouvelle variation du concept culte des TETSUO ?

Je me sens comme si j'avais gagné au loto. C'est une chance inouïe que ce soit arrivé. Je ne savais pas qu'il préparait un autre TETSUO et je n'aurais jamais imaginé que travailler avec un acteur étranger puisse l'intéresser.

Je considère cela comme un grand honneur. TETSUO est une icône du cinéma japonais, un moment important de l'histoire cinématographique. Dès le début, il ne s'agissait pas pour moi de faire un film mais de prendre part à la construction de l'histoire cinématographique. TETSUO perdurera, toujours. D'une certaine manière, j'ai été intégré à la scène artistique de Tokyo et avoir atteint cette position estimée est un grand honneur.

Vous êtes le premier acteur occidental à avoir travaillé avec Tsukamoto. Est-ce que c'était difficile de s'intégrer dans l'équipe japonaise ?

Cela fait environ dix ans que je vis au Japon. Je parle japonais et je me suis complètement accoutumé au protocole de la société japonaise, aux règles de communication et de bienséance. Mais ça ne veut pas dire que je suis toujours d'accord avec ça et que je les suis à la lettre.

Le rôle d'Anthony est paradoxal : très froid mais à la fois très intense. Comment avez-vous préparé votre rôle ?

Le premier TETSUO possède une ambiance très théâtrale. Les performances des acteurs sont exagérées et ressemblent plus à du théâtre Kabuki qu'à un jeu classique de cinéma. Dans les films plus récents de Tsukamoto comme NIGHTMARE DETECTIVE ou VITAL, vous verrez que les interprétations sont beaucoup plus subtiles et introverties. Quand j'ai rencontré Tsukamoto, la première question que je lui ai posée était dans quelle direction stylistique THE BULLET MAN était censé aller ?

Il m'a dit qu'il n'avait jamais eu l'intention de faire le premier TETSUO de cette manière. Mais au tournage, la quantité pellicule était très limitée, ils avaient seulement de quoi faire une prise par plan. La caméra tournait et Taguchi cabotinait comme un fou. A ce point là, Tsukamoto devait se résigner : "Bon, j'imagine qu'elle est bonne". Tsukamoto m'a donc demandé d'adopter un style de jeu très naturaliste et introverti.

Pour moi, la préparation est la clef de ma méthode de travail. J'ai élaboré un background détaillé autour de mon personnage et de ses rapports avec les autres personnages de l'histoire. Je voulais rendre mon interprétation aussi vraie et honnête que possible. J'ai alors recherché des parallèles émotionnels à ce qu'Anthony éprouvait. Anthony voit son enfant assassiné, son épouse se replier dans l'hystérie et la nature de son existence se détériorer petit à petit. J'ai recherché les périodes de ma vie se rapprochant de cet état. Et ces moments de forte douleur, je les ai intégrés dans le personnage d'Anthony.

Pour la préparation physique, j'avais pratiqué pendant quatre ans l'Ankoku Butoh, une forme de danse avant-gardiste qui se concentre sur les transformations grotesques du danseur, mélangeant le corps et les forces de la nature. J'ai soigneusement imaginé les modifications internes et externes qui se produiraient si la chair se transformait en fer et j'ai créé une série d'images, de sentiments et de mouvements qui exprimeraient cette métamorphose.

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Dossier réalisé par
Eric Dinkian
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Eric Bossick & Sandrine Ahson