2. Partie 1
Francis Barbier : Comment un réalisateur suédois vivant au Danemark est arrivé en Norvège sur le projet de FRITT VILT II ?
Mats Stenberg : Nous n'avons pas vraiment de barrière de langage ici en Scandinavie. Je ne dirai pas «Régions Nordiques» car cela inclurait la Finlande et l'Islande et là, ça représente une barrière linguistique. Il est en fait assez commun dans le commerce en général d'avoir une représentation dans les trois pays. Et la mienne en Norvège fut Fantefilm. J'y étais attaché en qualité de réalisateurs de publicités au moment où Roar (NDLR : Roar Uthaug) réalisa FRITT VILT. Et quand il choisit de ne pas faire le séquelle, les producteurs ont commencé à chercher… et comme j'étais proche, ayant la volonté et la connaissance… et c'était aussi mes débuts. Ils savaient qu'ils allaient avoir beaucoup pour pas cher (rires). Sinon, je vis au Danemark parce que j'y réalise beaucoup de publicités, j'y ai un appartement… mais j'adore Copenhague !
Qu'est-ce qui vous a décidé à accepter le challenge ?
J'ai lu le scénario et ai pensé qu'il ne s'agissait pas d'un slasher aussi basique que pouvait l'être le premier… à mon avis. Il y avait plus de ressort dramatique et d'action. Bien sûr, j'ai juste voulu montrer à Roar que je pouvais faire un meilleur film que lui (rires)
Qu'espériez-vous au début du tournage (tous comme les espoirs des producteurs!) ?
La chose la plus dure fut de faire FRITT VILT II mon propre film. La plupart des gens de la production et de la post-production étaient sur le premier opus. Et bien sûr ils ont pensé qu'ils savaient comment la séquelle devait être faite. Mais c'est mon travail ! Et se basant sur le travail effectué au jour le jour, réaliser un long métrage n'est pas si différent que de tourner une pub. Et j'avais de tellement bons acteurs que cela a grandement facilité la chose. Je savais que je ne pouvais avoir d'espoirs particuliers quant à la sortie mais il se trouve que les résultats furent fantastiques. Nous avons battu le record du box office norvégien sur le premier week end d'exploitation. Donc au final, très bien.
Le scénario est, à mon avis, un mélange d'autres films… HALLOWEEN II, MEURTRES A LA SAINT VALENTIN ou encore JASON LE MORT VIVANT. Comment est ce que vous avez vous pu avoir une approche créative avec un tel matériau ? Etait-il possible d'éviter une simple version norvégienne de ces slashers classiques ?
Soyons clairs avec le fait que nous n'avons en aucune manière voulu refaire ou copier … HALLOWEEN II. Mais si vous regardez ce qui arrive dans FRITT VILT, que pouvait-il arriver de logique dans FRITT VILT II ? Il s'agissait bien sûr après la décision de ne pas faire une suite avec cinq nouveaux teenagers qui trouvent l'hôtel et blablabla… En fait, je n'ai jamais vu MEURTRES A LA SAINT VALENTIN ou JASON LE MORT VIVANT mais peut-être que Thomas Molestad (NDLR : le scénariste) les a vus? Je pense juste que si vous projetez l'héroïne dans un hôpital, c'est le genre d'événements qui s'y dérouleront.
SPOILER
Et je pense que nous avons pas mal joué la carte du fait que Jannicke était en train de perdre la raison et commencer à tuer tout le monde. Mais avec Internet, tout s'est échappé et ainsi, tout le monde a été courant de la chose
FIN SPOILER
Pourquoi le choix du format 2.35:1 pour le film ?
Pour des raisons budgétaires et esthétiques. Nous avons tourné celui-ci en 35mm, en fait, ce qui fut beaucoup plus cher que le Super 16 du précédent. Mais si tu tournes en deux perforations, tu obtiens une économie de neuf minutes sur une seule bobine de 35mm et là c'est plus économique. Et avec deux perforations, on en arrive à un format Scope. Mais en fait, j'adore le Scope ! Et regardez, vous, en France, vous tournez même des comédies en Scope… et c'est beau ! Mais en dehors du fait que j'aime ce format… l'argent. On tourne en deux perforations ce qui implique qu'on gagne deux fois plus de film qu'à l'habitude. C'est pourquoi nous avons pu tourner en 35 mm au lieu du Super 16 du premier FRITT VILT. Ce qui est excellent du fait que tu as cette petite profondeur de champ supplémentaire qu'il est impossible d'avoir avec le Super 16.
Avez vous eu une influence sur le scénario et le casting?
Eh bien… même si Thomas Molestad est le scénariste, nous avons eu un groupe de réflexion avec Thomas, Roar, Martin (NDLR : Martin Sundland, le producteur) et moi-même. Nous avons jeté quelques idées sur le papier à propos du déroulement et des fins possibles. Thomas est revenu trois semaines plus tard : nous avons élaboré un nouveau scénario, etc… la première version complète que j'ai vue était une «Version 4» et nous avons du tourné la «Version 13» ! J'ai vraiment appuyé sur le choix du casting et notamment Marthe (NDLR : Marthe Snorresdotter Rovik) dans le rôle de Camilla. Et je suis très content de ce choix. Nous avons fait pas mal de screen-tests avec tout le monde, excepté avec Ingrid (NDLR : Ingrid Bolsø Berdal) et Fridtjov (NDLR : Fridtjov Såheim). Ingrid a été la seule que je n'ai pas choisie pour des raisons évidentes et je suis désolé de dire que nous n'avons pas été très proches. Mais elle fait partie du Top 3 des actrices norvégiennes et nous n'aurions pas pu avoir une meilleure tête d'affiche. Elle est vraiment formidable ! Et j'ai vu Fridtjov dans d'autres films, j'adore son style d'acteur relax. Et son ventre proéminent est parfait pour le personnage. Je regrette simplement qu'on ne lui ait pas donné un joint à fumer plutôt qu'une simple cigarette !
Certains plans sont vraiment magnifiques. La scène avec la motoneige qui s'éloigne seule à l'horizon neigeux parmi toutes. Belle et oppressante en même temps. Je pense que le format Scope était tout indiqué pour ce propos.
Oui, le Scope est toujours mieux ! Nico Poulsen, notre directeur photo de la seconde équipe, a tourné la plupart de ces scènes. Je sais qu'Anders Flatland –le directeur photo- aurait adoré les tourner mais nous n'avions que peu de jours de tournage en montagne. Nous avons tourné quarante plans dans l'hôtel, la seconde équipe en a fait environ les 3/5ème. Mais travailler avec Anders fut un vrai plaisir. Il travaille les éclairages et tourne les choses de la manière dont j'ai toujours voulu travailler et que je n'ai presque jamais pu. Et c'est la personne la plus aimable que vous puissiez imaginer.
J'apprécie l'opposition entre les scènes d'hôpital où la camera doit s'accommoder avec le fait d'être entre quatre murs, très proches des visages/des corps et les scènes extérieures où la camera est plus mouvante, tournant autour des protagonistes ou au début, lorsque la voiture s'apprête à percuter Jannicke.
Merci. J'ai élaboré la plupart de ces plans avec Anders. Nous avons aussi pré-tourné quelques scènes d'actions en DV et je les ai montées juste pour savoir ce que cela donnerait et pour gagner du temps sur le tournage. Comme je l'ai dit, FRITT VILT II dispose d'une dynamique que FRITT VILT ne pouvait pas avoir.
Comment fut le travail avec les acteurs? Quel type de réalisateur êtes-vous avec les acteurs ?
Ils se sont tous donnés à plus de 100% sans manquer une seule ligne de dialogue. Spécialement Ingrid et Marthe, bien sûr. J'étais tout le temps sous adrénaline mais cela n'allait pas toujours bien avec Ingrid et nous avons tous les deux dû nous ajuster l'un à l'autre. Tu parles beaucoup avant de tourner mais après cela, c'est plus de l'instinct. J'essaye d'avoir une vision au sens large du terme. Je sais comment me comporter pendant un tournage et donc, je pense beaucoup à ce dont nous avons besoin, comment commencer et finir une scène mais également sur le niveau de jeu requis. Je tente de jouer la carte du naturel dans le jeu d'acteur et l'éclairage. Mais dans le genre horreur, tu ne peux pas toujours faire ça ! Et il est très important de faire partie intégrante du tournage et ne pas rester vissé derrière ton moniteur de contrôle et attendre que tout le monde fasse que ça se passe.
Pouvez-vous nous parler des challenges techniques rencontrés sur le tournage ? Comment tourner en lumière d'hiver, les effets spéciaux ou les scènes d'action par exemple ?
Toutes les scènes ont été tournées de manière naturelle en extérieur, sauf pour celles où Ingrid remonte à l'hôtel pour la bataille finale. Tu peux en tourner autant que tu veux, à partir du moment où le temps est OK, car le paysage est tellement superbe. Mais nous avions seulement 5-6 jours de tournage en montagne et seulement un jour de soleil.
Je pense que la combinaison d'un tournage d'une action en temps réel avec une amélioration en post-production est ce qui fonctionne le mieux. La scène de l'escalier en est le meilleur exemple. Nous avons enlevé une marche dans l'escalier, qui était en métal avec des marches individuelles. L'acteur se trouve en fait debout sous l'escalier. Nous avons alors construit (assez mal je dois dire… une journée de grand stress) un faux torse partant des épaules jusqu'au bas du dos. Ainsi l'acteur a pu pencher sa tête et le haut de son torse en arrière assez facilement. Le studio Ghost à Copenhague a alors peint l'ensemble du corps et placé une ombre où son corps devait aller au bas de l'escalier. Ainsi cela donne l'effet qu'il se plie en arrière de manière incroyable. Puis l'expression sur le visage de Firdtjoy fait que cela semble crédible. Et nous avons de ce fait résolu le problème de continuité des conditions météo en post-production.
Quel a été le processus créatif avec Anders?
Je viens d'une formation de photographe et l'image a été mon principal intérêt lorsque j'ai commence à tourner des pubs. Après vient l'intérêt pour la narration et le jeu d'acteurs. J'avais vu les travaux d'Anders en Norvège mais n'avais jamais travaillé avec lui. Lorsque mon directeur photo habituel danois s'est tourné vers un gros projet de série télévisée, j'ai rencontré Anders et l'ai apprécié sur-le-champ. Il est beaucoup plus calme que moi et cela fonctionne vraiment bien sur le tournage. Ma seule inquiétude demeurait que ses travaux précédents étaient assez glacés et que je voulais que FRITT VILT II soit plus rude, réel et naturel. Nous avons alors regardé pas mal de références, de photos, de films. Notre inspiration principale (je ne sais si cela est possible de les déceler, mais bon…) fut INSOMNIA, la version de Christopher Nolan, mais également LES RIVIERES POURPRES de Matthieu Kassovitz. Pour environ 80% du métrage, nous avons utilisé des focales de 32mm ou 40mm. J'ai également travaillé avec un autre directeur photo danois la semaine dernière sur une pub, et il m'a confié que seul moi et deux autres réalisateurs avec lesquels il a travaillé savent quel type de focales utiliser. Pas le simple fait de dire «plus large» ou «plus proche» mais «allez, faisons-le avec du 65mm». Ca m'a rendu un peu fier. Mais bon, pour en revenir à Anders. Il a éclairé les scènes de telle manière à ce que nous puissions les tourner en fonction de la continuité temporelle. Ca aide beaucoup pour un premier tournage.
Quel a été votre apport lors du montage du film?
J'effectue le montage des publicités que je réalise : je possède ainsi une certaine adresse mais le montage d'un long-métrage est quelque peu différent. Mon monteur Jon Endre et moi-même avions des opinions différentes pour commencer mais au final, nous avons tenu bon quant à notre vision face aux producteurs. Nous aurions dû passer plus de temps pour un meilleur rendu de certaines scènes. J'ai également demandé à mon ami et monteur John Wik de Stockholm de venir m'aider : il a ainsi monté la plupart des séquences d'action. Et je suis content de voir que ces scènes qui me tenaient à cœur fonctionnent si bien. J'ai grandi en regardant des films d'horreur et d'actions dans les années 80 et ce dont je me souviens, ce sont ces scènes d'action ! Et même si l'expérience de la vision totale d'un film est importante, j'ai vraiment essayé de faire ces scènes de manière à ce qu'elles ressortent du lot, tout comme celles des meurtres. Ce serait tellement génial qu'un jeune de 16 ans d'aujourd'hui devienne cinéaste et que quelque part en 2025 fasse une scène inspirée de FRITT VILT II !