3. Entretien en tête-à-tête
Je lai fait par le biais de Iron Maiden effectivement... Il y a un lien avec, par exemple, limagerie de lEgypte ancienne, «Powerslave»... «Moonchild» et des chansons de ce genre. Tout cela est très lié. Lorsque jétais adolescent, à quinze ou seize ans, jai découvert sa biographie et lu certains de ses ouvrages. Cela a créé une certaine fascination chez moi et, inévitablement, certaines des images quil avait créé ont terminé en musique.
Dans le film, Aleister Crowley est representé comme un personnage maléfique. Vous pensez vraiment quil était maléfique ?
En réalité non ! Dans le film, on en a fait sans doute une personne bien pire quil ne létait vraiment, parce que cest un film ! Il était nécessaire pour nous quil soit le méchant de lhistoire. Je ne pense pas, par exemple, quil ait jamais cloué une prostituée à une porte ! A ma connaissance, il na jamais fait de mal ou tué qui que ce soit
Je ne crois pas, non.
Mais pour les besoins du film, il fallait le rendre aussi méchant quun individu puisse lêtre. Et cest justement pour ça quon laime !
Vous avez parlé hier de Jacques Tourneur, Kubrick, etc Mais est-ce que vous connaissez le film MESSE NOIRE ? Car dans ce film, il y a un étudiant qui est possédé par un sataniste du passé après avoir programmé des incantations dans un ordinateur Et cela ma fait penser au sujet de votre film.
Non. Je ne connais pas. Mais il y a un grand nombre de films traitant de la thématique dune technologie dotée dune âme humaine. Au cinéma, une machine peut bien évidemment rester ce quelle est mais il nest pas rare que lon aille jusquà en faire un personnage presque humain. Par exemple, nous avons mentionné 2001 hier. Si on prend HAL Cet ordinateur développe une personnalité humaine. Est-ce que c'est seulement une machine ? En tout cas, vous éprouvez de la sympathie lorsque l'ordinateur va être mis hors service. Donc à mon sens cest un sujet plutôt commun et notre but nétait pas de nous focaliser sur laspect purement technologique. En premier lieu parce que nous navions pas les moyens budgétaires pour le faire. Et ensuite parce que la technologie nest ici quun vecteur utilisé pour transformer un individu en Aleister Crowley. Ou, en tout cas, en quelquun qui pense être Aleister Crowley.
Cest dailleurs la partie du film qui me semble être la plus intéressante, celle durant laquelle on reste dans lambiguïté du personnage. Cest aussi le cas de ce mélange entre sexe et horreur qui fait inévitablement penser à la littérature européenne du genre de Clive Barker ou bien à des films tels que THE WICKER MAN
THE WICKER MAN, cest lun des films auxquels nous nous sommes intéressés. Cétait le type datmosphère que nous voulions reproduire avec une progression assez lente dans la construction de nos personnages. On a essayé aussi dintégrer un peu dhumour, ce qui nétait pas forcément présent dans THE WICKER MAN. Nous lavons fait parce que si vous vous intéressez un peu la vie de Crowley, vous constaterez quelle est régulièrement ponctuée de choses absurdes. Dans ses écrits, il évoquait dincroyables cérémonies mais rapidement, on en venait à se demander où tout cela pouvait bien se dérouler. Et il s'avère que cela se faisait dans des ruelles ou des terrains vagues, simplement en payant des prostituées. Dans son esprit, il était une puissante divinité alors quen réalité, cétait juste un sale type. Nous voulions faire ressortir cette facette du personnage via quelques lignes de dialogues. Particulièrement à la fin, il y a cette scène où Crowley explique quils sembarquent dans le plus grand événement occulte de lHistoire. Et on lui demande alors sils doivent s'y rendre à pied ou en voiture ! Tout le paradoxe de Crowley est ici résumé en un clin dil. Cétait lhomme le plus malfaisant de la planète, celui qui sétait érigé en dieu incarné sur Terre, mais il navait pas de ticket de bus ! Nous avions besoin dintroduire cette ironie. Et je pense, si vous voulez, que cela fait partie de ce qui donne un attrait «culte» au film. Ajoutons à cela que Julian voulait filmer des personnages en train de se faire pisser dessus, ça lamusait. En revanche, le sperme dans le fax, javoue, cest moi !
Les événements qui se déroulent dans le film sont particulièrement
osés, cela paraît même aberrant que des studios américains
aient pu envisager de tourner le film. Cela ne ressemble en rien à de
lhorreur à laméricaine
En effet, les Américains nont pas compris. Lune des maisons de production qui était intéressée est arrivée avec une affiche pour la promotion du film. Cétait très stylisé et ça ressemblait un peu aux GRIFFES DE LA NUIT. Vous voyez, genre : «Crowley est de retour Et il est plus maléfique que jamais !», ce genre de conneries. Sur cette affiche, il y avait Crowley, Simon Callow, au milieu des flammes, au cur dun pentagramme avec une nana dotée dénormes seins. Alors je me suis dit : «Cest qui cette fille ? Elle nest pas dans notre film !». Et on ma répondu quil y avait un problème avec lactrice principale, que sa poitrine nétait pas assez importante On ma alors expliqué quils avaient mis une autre fille à la place, dun coup de Photoshop ! Cest un peu comme si on devait changer lactrice principale parce quelle na pas de gros seins. Cest ça lAmérique !
Mais au-delà de ça, cest vrai que notre film na rien dune uvre populaire. Cela ne pouvait être quun métrage «underground» aux Etats-Unis.
Tiens, ça me fait penser que nous avons distribué le film dans une salle de Soho. Lexploitant a adoré le film et nous a demandé sil pouvait le diffuser pendant plusieurs mois Cest pour ce genre de salle quest fait notre film. Cest un film «culte», un peu comme THE WICKER MAN. Cest pourquoi je pense que le film finira par trouver de lui-même son audience.
Contrairement au Aleister Crowley de votre film, vous ne craignez donc pas le poids des années et vous pensez que CHEMICAL WEDDING va acquérir de la notoriété avec le temps ?
Exactement ! Les gens le découvriront un peu comme ils ont pu découvrir un film tel que THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW. Cest un peu dans la même lignée. Et puis il y aura peut être des gens qui regarderont le DVD rien que pour la scène où les mecs se font pisser dessus ! Allez savoir ! Mais je pense quil y a suffisamment de choses intéressantes dans notre film pour quil fasse son chemin avec le temps
Cela na pas de grand rapport avec votre film mais jai repensé à lune de vos chansons, «No Lies», dont le refrain dit quil ny a pas dange et pas de paradis. Le film est une fiction, cest clair mais jen suis arrivé à me demander en quoi vous croyez Vous êtes agnostique ? Vous croyez dans la magie du sexe comme dans le film ? Autre chose ?
Très Très difficile à dire Je ne crois pas quil y ait des endroits spécifiques dans le genre du paradis ou des enfers. En revanche, je crois que lésotérisme se base sur quelque chose de bien réel. Il y a certainement un monde, un univers étrange et poétique qui existe autour de nous Ca jy crois. Par ailleurs, est-ce que cela nous affecte ? Là encore, je pense que cest effectivement le cas, que lon appelle ça «Feng shui» ou bien géomancie
Il a des lieux géographiques qui sont des endroits particulièrement puissants et à lévidence, ça nous affecte de diverses manières. Les églises par exemple sont des lieux pourvus dune grande puissance, tout comme les mosquées. Et cela nous affecte en profondeur
Vous voyez, je ne suis pas spécialement chrétien mais si je vais dans une cathédrale, je ressens une vraie puissance émotionnelle. Le sens du culte et tout ce quil y a là. Cest vraiment fort. Donc je pense que ces choses sont réelles et je crois quelles affectent les gens.
Dun autre côté, la magie du sexe et les trucs de ce genre Cela n'affecte pas les individus dune manière évidente et concrète genre : «Jai besoin de 1000 livres sterling, je vais avoir une relation sexuelle pour les obtenir» et largent apparaît ! Néanmoins, le sexe est tellement fondamental dans notre existence. Nous nexisterions pas sans cela.
Manifestement
C'est une énergie très puissante. Cela n'est pas surprenant si en Asie le tantrisme, ou plus largement les Chinois, essaient de focaliser cette énergie sous la forme d'une pratique spirituelle. Je pense que la méditation, ou ce type de chose, peuvent amener les gens à se rapprocher d'une vision interne d'un monde ésotérique. Certaines personnes comme William Blake, par exemple, ont de la chance parce qu'ils ont cette "vision" tout au long de leur existence sans avoir à la provoquer. Mais pour la plupart d'entre nous, il faut travailler durant toute une vie afin de n'en percevoir qu'un fragment. Si vous êtes un bouddhiste, vous continuez à revenir jusqu'à ce que vous ayez une idée globale de l'existence et de ce qui l'entoure.
Pour en revenir à mes croyances, je pense qu'il y a une part de vérité dans la plupart des religions. Toutes apportent une part de la vérité, comme les pièces d'un grand puzzle. Mais en ce qui concerne la vue d'ensemble, de mon point de vue, je ne sais pas. Mais il y a quelque chose c'est sûr !
Hier, vous avez évoqué LE SILENCE DES AGNEAUX mais c'était il y a 18 ans ! Vous portez ce projet depuis 18 ans ?
Oui, Julian a réalisé le clip "Can I Play With Madness" il y a vingt ans et nous avons eu l'idée de faire un film quelques temps après...
Vous avez dit que l'idée de faire un film était née dans un pub. Et vous parlez régulièrement en plaisantant de rencontre dans des pubs
Bien sûr. Où voulez-vous que l'on se rencontre à part dans un pub ou un hôtel comme maintenant ? (rire)
Vous savez, je n'ai pas de bureau et je n'ai ni secrétaire, ni assistant personnel. La plupart des gens me demandent "Où est ton agenda ?" et je réponds "Il est dans mon sac". En fait, ils sont surpris de voir que je m'occupe moi-même de mon emploi du temps. Et pourtant je le fais, j'ai une approche assez peu conventionnelle de ce genre de chose. J'estime que si vous avez de bonnes idées, vous avez besoin d'en parler directement avec les gens. Ca ne me semble pas être une approche viable de passer par des managers ou des agents qui vont juger de la qualité de vos idées. Par exemple, sur 18 ans, nous avons vu trois interlocuteurs différents qui ont essayé d'acheter notre concept mais cela ne s'est pas concrétisé. Et finalement, nous avons tout de même réussi à le faire. C'est très intéressant d'analyser le cheminement d'une idée sur un cycle de 18 années
Intéressant mais frustrant...
Bien sûr, ca l'a été. Il y a eu un moment où il a fallu attendre trois ou quatre ans pour avancer. Je me suis dit que j'allais travailler sur d'autres choses et ne plus y penser. Si j'avais dû y penser à cette époque, cela aurait été un calvaire. Au final, tout a refait surface tout seul, de manière naturelle Maintenant et grâce à cette expérience, j'ai pleinement conscience des difficultés que l'on peut rencontrer à monter un tel projet. Reste que je vais probablement me remettre à écrire, j'ai de bonnes idées pour un nouveau film Nous verrons bien !