6. David Scherer (Interview)

Avant de parler de LADY BLOOD, comment est-ce que l'on décide un jour, en tant que français, de devenir maquilleur avec une spécialisation pour les effets spéciaux ?

J'ai toujours été un gros fan de cinéma de genre, mais c'est seulement après la fac que j'ai vraiment décidé de me lancer… Je me suis lancé sur le tas, sans formation et c'est à force d'essais et d'erreurs que j'ai pu finir par mettre au point mes techniques de travail…

Si on remonte ne serait-ce qu'une dizaine d'années en arrière, les perspectives de trouver un tournage avec des effets de maquillages spectaculaires étaient assez limitées. C'est très probablement décourageant et il faut que le carburant soit une passion indéboulonnable. Quel est votre constat aujourd'hui sur les années qui viennent de s'écouler et celles qui s'ouvrent devant nous pour votre atelier ?

C'est évident que la passion est le carburant principal ! En même temps, la situation du cinéma de genre en France a évolué ces dernières années, on trouve de plus en plus de projets fantastiques et horrifiques qui se montent… A mon modeste niveau, nous n'avons jamais eu autant de travail qu'en ce moment… Il n'est pas rare que nous soyons trois ou quatre a travailler sur un projet comme c'était le cas sur LADY BLOOD ! Le fait aussi que le fantastique et l'horreur soient beaucoup plus "assumés" dans les projets compte beaucoup, on commence à utiliser les effets spéciaux de maquillages pour raconter des choses en terme de mise en scène et non plus comme un "gadget" comme c'était le cas auparavant… Du point de vue créatif on nous demande aussi des choses plus extravagantes et plus poussées que la simple cicatrice ou le simple impact de balle… Donc les choses sont encourageantes pour l'avenir….

Lorsque l'on regarde votre filmographie, on trouve pas mal de courts-métrages mais aussi des participations à des longs provenant d'univers très différents. Vous avez ainsi travaillé pour Jean Rollin ou Lloyd Kaufman. D'un point de vue technique, cela ne doit pas changer grand chose mais est ce différent de travailler sur un Rollin, un film Troma ou encore Jean-Marc Vincent ?

Sur le film de Lloyd Kaufman je ne me suis occupé que du design de quelques créatures zombies qui d'ailleurs n'apparaissent pas tels quels dans le film, c'était quelque chose de volontairement fantaisiste et bien entendu dans l'esprit "Troma". D'un point de vue technique notre travail ne change pas fondamentalement mais il est clair que le style du réalisateur influence notre conception… Sur le film de Jean Rollin on a crée quelque chose dans l'esprit du film et du réalisateur c'est-à-dire pas spécialement hyper réaliste (on a crée une tête coupée d'enfant) mais plutôt quelque chose d'assez surréaliste et onirique… Il y a beaucoup de touches poétiques dans l'univers de Jean Rollin, c'est un réalisateur vraiment atypique mais c'était très intéressant de pouvoir collaborer à son film… Sur 8TH WONDERLAND de Jean Mach et Nicolas Alberny en revanche , notre travail est complètement réaliste car c'est un film d'anticipation , pas de place pour la surenchère ou le côté grand guignolesque… Sur LADY BLOOD que nous venons d’achever, le ton s'orientait vers des effets " douloureux". Les directives de Jean-Marc Vincent étaient précises de ce coté là, on ne donne pas dans l'hémoglobine à foison mais plus dans la violence….


Vous avez participé à un nombre astronomique de courts-métrages. Au delà de la passion, je suppose que cela a permis de vous faire un nom ?

Je dirais que cela m'a surtout permis de rencontrer des réalisateurs d'univers et d'influences très différents qui utilisent chacun les trucages de façon différente et cela donne souvent des résultats vraiment intéressant… Voir le court métrage BLOODY CURRENT EXCHANGE de Romain Basset par exemple et son esthétique très "argentesque" par rapport à un court métrage comme FUSIBLE de Pierre Guillaume où l'approche est radicalement différente… Il n'empêche que cela donne deux très bons courts avec des univers bien marqués ! C'est vraiment ce que je recherche avant tout… Cet été j'ai terminé trois projets tournant tous autour du "Survival" (ROCHES ROUGES, SURVIVOR, THE SALE). Les trois réalisateurs avaient tous des façons différentes d'aborder leur sujet…. C'est vraiment bien de collaborer sur ce genre de film, d'ailleurs les premiers échos sur THE SALE sont très positifs tout comme SURVIVOR qui comporte une belle scène de massacre… Il y a aussi un effet que j'ai mis au point pour ROCHES ROUGES qui à mon avis risque de faire mal mais je n'en dis pas plus pour le moment…

Comment êtes vous arrivé sur LADY BLOOD ?

De façon très simple je dirais... Je débutais la préparation d'une série lorsque le directeur de production m'a contacté. On a vite parlé des effets puis j'ai rencontré le réalisateur Jean-Marc Vincent, je lui ai expliqué en deux mots la façon dont je comptais m'y prendre puis j'ai fais un devis… Quelques jours après la production me donnait le feu vert et voilà…

D'après les photos qui ont filtré via la maison de production du film, LADY BLOOD ne semble pas faire dans la dentelle en matière de gore. Ca arrache pas mal : doigts, mâchoires. Est-ce que les effets demandés ne vous ont posé aucun problème ou, au contraire, ce fut un challenge ?

Il y avait beaucoup d'effets sur le film dont certains assez complexes et assez gores… Mais avec Jean-Marc Vincent, il y a eu beaucoup de discussions avant le tournage. Son approche était vraiment intelligente car il ne mise pas tout sur l’effet, pour lui le trucage sert l'histoire et la mise en scène, et là nous sommes vraiment sur la même longueur d'ondes… Je ne vais pas révéler de points capitaux mais avec mon équipe, on a crée plus de quarante effets différents… En règle générale, ils sont beaucoup plus violents et douloureux que réellement gores… Il y a des effets sur des cadavres, pas mal de blessures…. Cette approche et tout ce travail en amont nous a vraiment aidé car nous étions forcément limités par le temps de préparation et le budget (en gros on a eu un petit mois pour tout préparer). Ensuite, on a eu très peu de temps sur le tournage où il fallait aller vraiment vite. Heureusement nous avions conçu la plupart de nos prothèses et dispositifs de façon à pouvoir les mettre en place rapidement et gagner ainsi un maximum de temps…. Ajouté à cela qu'en simultané on travaillait sur une série télévisée et cela vous donnera une idée du speed dans lequel nous étions pendant six semaines.

Sur LADY BLOOD, vous avez travaillé seul ou en équipe ?

Dans ce milieu, c'est souvent un travail en commun. Sur LADY BLOOD, l'équipe etait composé de Michel Pages, Leonie Pouyan Vautier, Sophie Chamoux (plateau ), Severine Therasse (labo) et Olivier Nelli (renfort moulage).

Aujourd'hui, les effets spéciaux de maquillages sont souvent utilisés avec des effets numériques. Jean-Marc Vincent nous a dit que LADY BLOOD contiendrait ces deux types de trucages. Avez vous déjà eu l'occasion de travailler en conjonction avec des effets numériques ? Sur LADY BLOOD ?

J'ai travaillé avec des effets numériques pour la décapitation de NAUFRAGE d'Olivier Beguin… Sur LADY BLOOD, il y aura aussi du numérique mais ce sera en apport des effets "physiques". Le numérique renforcera un effet déjà créé et va l'améliorer… Mais pour 95% des effets, il y avait une prothèse ou un maquillage sur le plateau… LADY BLOOD a vraiment le charme des films faits "à la main" et c'est ce que je préfère !

Certains fans n'apprécient pas les effets digitaux pour le gore, quelle est votre position à ce niveau là ?

Je ne suis pas fan du gore 100% digital. Par contre la combinaison des deux techniques, c'est l'avenir ! Mélanger l'aspect organique du maquillage avec la dynamique du numérique… Par exemple sur NAUFRAGE, on a une décapitation en plan séquence qui mélange les techniques de maquillage et de 3D…

Vous avez sûrement vu BABY BLOOD ? Votre avis à son sujet ?

J'apprécie beaucoup la combinaison d'éléments dans BABY BLOOD : humour, gore, burlesque, etc… Le fait aussi que ce soit un pionnier en France et la première tentative de film ouvertement "Gore" qui s'assumait en tant que tel… Alain Robak a créé son univers avec ce film tout comme l'a fait Jean-Marc Vincent avec LADY BLOOD

Avec le recul, que pensez vous du travail accompli par Benoît Lestang sur BABY BLOOD ? En se replaçant dans le contexte de l'époque, bien sûr. Aujourd'hui, pour vous, les effets du film original tiennent-ils toujours la route ?

A l'époque ça a été le choc, je me rappelle avoir été scotché en l'ayant vu ! C'était la première fois que l'on voyait autant d'éléments gores dans un film français. Tout le monde se souvient de cette séquence devenue culte avec les deux mains ensanglantées qui émergent du ventre d'Emmanuelle Escourrou… Aujourd'hui en toute objectivité, je trouve que les effets fonctionnent toujours, encore plus dans le contexte du film…

Après LADY BLOOD, vous avez sûrement déjà des projets ? Quels sont ils si vous pouvez en parler bien sûr ?

En même temps que LADY BLOOD, on finissait comme je l'ai dit plus haut une série télévisée… Début d'année on enchaîne avec le prochain clip du groupe Sépultura… Nous avons également pas mal de projets dont plusieurs longs, je ne peux pas encore en dire plus mais l'année s'annonce sanglante si j'ose dire….

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Dossier réalisé par
Xavier Desbarats, Eric Dinkian et Christophe Lemonnier
Remerciements
Jean-Marc Vincent, Emmanuelle Escourrou, Philippe Nahon, Hubert Chardot, David Scherer, Luc Schiltz, Caroline Piras et Alterego Films