Trahie par l'homme qu'elle aimait, en fait un policier véreux qui l'enverra en pâture à des trafiquants de drogues, Nami Matsushima va tenter de se venger. Elle est alors interceptée par la police tandis qu'elle était sur le point de poignarder son ancien amant. Jetée en prison, Nami va devenir un bloc de haine contre l'autorité corrompue, ce qui lui vaudra le surnom de Scorpion.
Réalisé en 1972, LA FEMME SCORPION est le premier opus de la série des JOSHUU SASORI, qui compte six films directs et autant de rip-offs et autres contrefaçons. Loin d'être une franchise homogène, les SASORI méritent l'intérêt essentiellement pour ses quatre premiers films, avant que l'actrice principale Meiko Kaji ne tire sa révérence. En France, on ne connaît pour l'instant de la série que le formidable deuxième film, ELLE S'APPELAIT SCORPION, édité chez Studio Canal via sa collection Cinéma de Quartier (et que nous avions critiqué à l'époque lors de sa disponibilité).
Adapté d'un manga à succès de Tôru Shinohara, LA FEMME SCORPION conte la destiné tragique d'une femme trompée et humiliée qui devra en outre traverser les pires tortures carcérales tandis que les véritables fautifs sont totalement dédouanés de tout châtiment (enfin…). Une histoire sèche et brutale qui fait littéralement déborder LA FEMME SCORPION du sous-genre balisé auquel il appartient, le film de «prison de femmes». Entre deux sévices exécutés par des matons aussi stupides que pervers, Nami alias Scorpion va générer une révolte inébranlable contre l'autorité qui va devenir le sujet principal des meilleurs films de la série, où quand le cinéma d'exploitation se fait cinéma d'engagement.
La grande réussite de LA FEMME SCORPION, et également de certaines de ses suites, vient de l'association du réalisateur Shunya Ito et de la comédienne Meiko Kaji. Ancien assistant de Teruo Ishii (cinéaste prolifique connu pour ses mélanges d'horreur et érotisme, soit «l'ero-guro»), Ito signe ici son premier film pour le compte de la Toei, une grosse compagnie alors en concurrence directe avec le studio de la Nikkatsu. Tandis que la Nikkatsu commence à s'enfoncer dans le «roman-porno» et le cinéma érotique pour tenter de surmonter sa crise financière, la starlette Meiko Kaji quitte le studio avec qui elle est sous contrat pour rejoindre la Toei et le casting de LA FEMME SCORPION. Grand bien lui en fera puisque le rôle de Sasori la révélera au grand public, et alimentera un culte à l'étranger comme en témoigne le récent KILL BILL (qui reprend la chanson de LA FEMME SCORPION chantée par l'actrice, ou encore photocopie son personnage de LADY SNOWBLOOD qu'elle tiendra quelques années plus tard).
L'aura de Meiko Kaji est pour beaucoup dans l'impact de LA FEMME SCORPION. Mutique et vénéneuse, la caméra d'Ito ne perd pas une miette de son regard à la fois sublime et perçant. Une composition alors en opposition avec la bande dessinée d'origine, qui voyait Scorpion comme un personnage gouailleur et plutôt vulgaire. Puisqu'il raconte la genèse de Sasori, le film donne à voir lors d'un mémorable flash-back l'événement qui transformera la douce Nami en monolithique Scorpion. L'occasion à la formidable Meiko Kaji d'opérer la transition psychologique via une économie de moyen et une efficacité comme seul l'actrice en a le secret : un long et dur regard caméra renforcé par un jeu d'éclairage agressif symbolisant la montée de haine à l'intérieur du personnage.
Bien entendu, la mise en scène de Shunya Ito participe énormément à l'intérêt de l'ensemble, en sublimant à chaque instant son interprète principal, ou encore en recourant à des effets de style audacieux. Le fameux flash-back susnommé est raconté via une succession de scènes quasi théâtrales où le metteur en scène joue l'ellipse entre les avants et arrières plans, l'ensemble faisant penser à du Seijun Suzuki. De nombreuses séquences surréalistes viennent faire leur apparition (comme cette agression entre prisonnières, à mi-chemin entre le manga et le théâtre classique), quand ce ne sont pas des éléments de décor qui se mettent radicalement à changer afin d'aider à traduire les sentiments des personnages à l'écran (comme cette mutinerie qui s'effectue sous une peinture de ciel rougeâtre volontairement factice).
La mise en scène originale d'Ito dompte malgré tout ces incartades très stylisées dans les bornes de son histoire. Nous ne retrouverons pas ici les fameux tableaux oniriques d'ELLE S'APPELAIT SCORPION, où les personnages évoluaient dans des saynètes parallèles à la narration principale. De plus, le message du film se fait dans ce premier film moins percutant. Scorpion est en lutte contre une autorité malsaine et corrompue (qu'elle soit pénitentiaire ou policière), tandis que dans sa suite, Scorpion s'oppose littéralement à la société masculine en général, signant de ce fait une charge féministe époustouflante.
Si on peut comprendre aisément que sa suite pousse le concept encore plus loin et ce avec un grand brio, LA FEMME SCORPION reste malgré tout un excellent film à découvrir sans la moindre hésitation. L'aspect exploitation du titre, même s'il semble ripper quelques fois vers des rivages peu nobles, se rattrape systématiquement en la faveur de son héroïne (voir à ce titre la fausse scène de lesbianisme impliquant de manière impromptue Scorpion). Du cinéma stylé et intelligent, idéal pour découvrir le cinéma japonais de l'époque.
C'est HK Vidéo qui sort cette fois LA FEMME SCORPION, tandis que Studio Canal s'était déjà occupé de sa suite, ELLE S'APPELAIT SCORPION. Conscient de la confidentialité du titre, l'éditeur le couple à un autre film du même genre (LES MENOTTES ROUGES) le tout dans un coffret superbe et à prix très raisonnable. Techniquement, le résultat est impressionnant. L'image est absolument magnifique malgré l'âge du film. Niveau audio, l'éditeur reste fidèle à sa réputation de puriste en proposant uniquement la piste japonaise dans son mono d'origine (parfaitement restaurée cela va sans dire).
Question bonus, l'éditeur propose une interactivité limitée comme à son habitude sur les coffrets de ce genre. Une présentation éclairée du film est à visionner de préférence après le film plutôt qu'avant afin de se préserver la découverte totale du métrage (cette présentation étant montée sur des images fortes du métrage). Filmographies, bandes-annonces et liens internet achèvent la section, à noter également la présence d'un somptueux petit livret bourré d'informations et de photos à l'intérieur du très beau coffret.
On ne l'attendait pas, et pourtant LA FEMME SCORPION nous arrive aujourd'hui dans une édition superbe à l'intérieur d'un non moins superbe coffret le couplant avec LES MENOTTES ROUGES. Une occasion de se replonger dans le cinéma japonais de l'époque et de son audace, ainsi que dans le vénéneux regard de Meiko Kaji, qui redevient à juste titre à la mode depuis l'hommage rendu par Tarantino dans KILL BILL.