Les personnes que nous connaissons n'existent pas telles qu'elles sont, les villes dans lesquelles nous vivons ne sont pas réelles, ce que nous mangeons, ce que nous ressentons, ce que nous respirons, ... bref tout notre univers n'est qu'illusion. La Matrice nous manipule, elle substitue la réalité pour offrir à nos yeux d'esclaves un monde qui n'est que ruines et désolations.
Eté 1999, les frères Wachowski lâchent une bombe à défragmentation dans le monde cyperpunk et science fictionnel: MATRIX. Un projet sur lequel les dirigeants de la Warner misent peu comparé à l'énorme attente suscitée par le désormais classique Will Smith's summer movie (avec son complice de réalisateur Barry Sonnenfeld). Avec le recul de presque quatre ans (déjà !) que nous avons à présent, cela ne peut que nous prêter à sourire.
On attendait beaucoup d'Andy et de Larry Wachowski depuis le milieu des années 90 suite à leur scénario (que l'on dit excellent...) ASSASSINS. Notez bien l'absence de parenthèses dans le titre car il ne s'agit pas du controversé métrage de Matthieu Kassovitz mais celui de Richard Donner mettant en scène ce bon vieux Sly versus Antonio Banderas. Les frères crièrent au scandale (et on les comprend au vu du résultat) mais comme tout bon quidam amateur de septième art je n'ai pas encore eu l'occasion de lire le script original... difficile de juger de leur talent en 1995. Un an plus tard sort BOUND sous les écrans et ce polar lesbien laisse présager le meilleur pour l'avenir.
MATRIX, disais-je, est une bombe cyberpunk car elle illustre tous les phantasmes du nerd moyen éclairé tout en inscrivant à jamais son nom sur la stèle des effets spéciaux. Il n'est pas question de parler de concepts totalement novateurs mais bien d'une osmose quasi parfaite entre tous les grands thèmes futuristes numériques: la guerre contre les machines, la défaite, la déchéance et l'esclavage de l'homme par ses créations, la frontière entre la réalité et l'illusion. On peut citer, rapidement (car je vais certainement en oublier quelques-uns qui vous feront bondir de votre chaise), quelques références du mouvement: TRON, WARGAMES, TERMINATOR, BLADE RUNNER des films majeurs (ou presque). A l'instar de la saga STAR WARS, les frères Wachowski font articuler leur scénario sur une base théiste. Pour preuve les noms des différents personnages et leurs rôles dans l'histoire :
- Thomas Anderson (Neo): Saint Thomas ne croit pas en ce qu'il voit et Anderson signifie "le fils du Seigneur", quant à son surnom de hacker, Neo, c'est le simple anagramme de the "One" (l'élu).
- Morpheus : tomber dans les bras de Morphée cela vous dit quelque chose ? Dans la mythologie grecque Morpheus apporte le sommeil et fait naître les rêves.
- Trinity : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; la trinité est la personnification de Dieu.
- Cypher : Lucifer, le Diable en personne.
Toujours au chapitre des références, il est impossible de ne pas citer ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, ne serait-ce que par son allusion explicite dans les dialogues du film et bien évidemment par le procédé de libération de Neo par Morpheus. Avale la pilule rouge mon ami et tu verras des choses étranges, mais avant, suis le lapin blanc. Les sources d'inspirations sont finalement multiples (GHOST IN THE SHELL ?) et présenté platement, on pourrait craindre que MATRIX ne finisse en patchwork plus ou moins adroit des idées des autres. Pourtant la paire de réalisateurs s'en tire haut la main, de par leur honnêteté / intégrité artistique (ils eurent maintes fois l'occasion de citer leurs références) mais surtout en balayant d'un coup de pied retourné dans la tête les scènes de combat du cinéma occidental.
Oh tiens je précise occidental ? Effectivement, les frères Wachowski sont, aussi, des fans du cinéma asiatique et ont fait appel à Yuen Woo-Ping (il a collaboré avec Jackie Chan et Jet Li entre autres) pour entraîner et élaborer les scènes de kung-fu du film. Le rythme des coups se retrouve considérablement accéléré, les sauts ont une toute autre amplitude aussi. Alors qu'à Hong-Kong la technique des câbles est «vieille comme le monde» le septième art occidental n‘en était guère friand. Les choses ont bien changé depuis. Il en va de même pour l'effet «bullet time» mis au point par John Gaeta. Alors qu'il n'était possible que de tourner autour d'une action figée, à l'aide d'appareils photos coordonnées pour se déclencher en même temps, le bullet time permet de jouer avec le temps. Ainsi une action peut être ralentie, accélérée, arrêtée tout en se baladant autour de l'action. MATRIX marqua définitivement les esprits au moins sur ces deux aspects et aussitôt un grand nombre de production ont suivi le mouvement : CHARLIE'S ANGELS, SCARY MOVIE,... et même LA TOUR MONTPARNASSE INFERNALE (honte sur moi).
L'édition zone 1 proposa aussi une petite révolution : le lapin blanc. Ce procédé permet d'interrompre le film à l'apparition d'une icône (ici le lapin blanc) pour découvrir une vidéo en rapport avec l'action que nous étions en train de visionner. Cette option fit planter quelques lecteurs DVD mais on la retrouve encore de temps à autres (SPIDERMAN dernièrement). On aurait préféré avoir un accès direct aux dits bonus plutôt que de se refaire tout le film. Néanmoins il est possible de faire plus simple ; il suffit de choisir le premier lapin blanc (en fait n'importe lequel) puis avant que le reportage ne se finisse, de faire un saut de chapitre grâce à la télécommande de votre lecteur.
Au niveau de l'audio on se retrouve avec une unique bande son en Dolby Digital 5.1 redoutable d'efficacité, un commentaire audio (Carrie-Anne Moss, John Gaeta et Zach Staenberg) et la bande son isolée. On pourra retrouver dans les biographies une pilule rouge «What is the concept» axée sur les effets spéciaux mais malheureusement sans commentaire explicatif. L'autre pilule rouge «What is bullet time» nous fait découvrir le dit effet via son créateur John Gaeta.
Pour peu que l'on veuille bien jouer le jeu, la remise en question de la réalité dans le film est simple et efficace. Nos sens ne sont finalement qu'une interprétation de notre cerveau de signaux électriques. On peut dès lors facilement envisager une interface se logeant dans notre cerveau substituant une réalité par une autre. En extrapolant à l'extrême et en étant un brin paranoïaque on pourrait même se dire que La Matrice fait un signe à l'humanité en créant ce film et que nous sommes véritablement des esclaves. Neo libère moi !