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Critique du film
LA FIN DU MONDE 1931

 

Le scientifique Martial Novalic découvre qu'une comète va traverser l'orbite de la Terre. Le compte à rebours d'une apocalypse à venir commence. Dans le même temps, son frère, Jean Novalic, se débat dans ses problèmes existentiels.

En 1927, quatre ans avant LA FIN DU MONDE, Abel Gance sort NAPOLEON, une fresque épique et novatrice où le cinéaste expérimente en livrant un spectacle d'avant-garde. Il intensifie l'action avec des montages plus rapides que ce qui se faisait à l'époque. Il utilise des mouvements de caméra complexes qui tranchent avec les plans souvent fixes du cinéma muet. Le film est teinté, ce qui n'est pas spécialement nouveau, mais il utilise surtout un système de projection sur trois écrans en simultané, la Polyvision. Pour son film suivant, Abel Gance va faire preuve d'une grande ambition qui aurait pu donner naissance à une œuvre grandiose. Le film s'ouvre d'ailleurs sur un carton affichant une affirmation peu modeste : "Le premier grand spectacle du cinéma parlant français".

Contrairement à NAPOLEON, Abel Gance s'oriente vers un sujet qui n'a plus aucun rapport avec l'Histoire et se dirige vers la fiction, la science-fiction pour être tout à fait exact. En effet, LA FIN DU MONDE est une adaptation très libre de l'ouvrage éponyme de Camille Flammarion parue à la fin du XIXe siècle. Dans ce livre, l'humanité d'un futur éloigné va être confrontée à une comète qui s'apprête à percuter notre planète. Cette idée, on la retrouve d'ailleurs au cinéma dans un film muet danois de 1916 intitulé VERDENS UNDERGANG (littéralement "La fin du monde"). Le point de départ est similaire et on y retrouve en filigrane des idées semblables. Néanmoins, le film d'August Blom propose avant tout une lutte des classes sur fond d'apocalypse stellaire. La société prolétarienne profite des retombées cosmiques pour se débarrasser des bourgeois fortunés... Abel Gance ne va pas dans cette direction et propose un développement philosophique assez différent.

Dans LA FIN DU MONDE, on va suivre le destin de deux frères. Le premier, Jean Novalic, est un poète. Le second, Martial, est un scientifique. Autant dire qu'ils sont aux antipodes l'un de l'autre. Jean est un homme sensible, guidé par ses émotions, mais aussi tourmenté par la réalité de ce qui l'entoure. Persuadé d'être négatif, il en rejette même la femme qui l'aime. Martial est un pragmatique qui aborde le monde de manière concrète et sans grands sentiments. De façon surprenante, c'est le personnage qui semble le moins idéaliste qui va tendre vers une utopie, celle de rassembler l'humanité sous une bannière commune, nommée ici "La république universelle". A contrario, le rêveur sombrera inéluctablement dans une mélancolie mortifère. Deux tendances opposées que l'on va retrouver à l'échelle de la population mondiale. À l'annonce de l'inéluctable catastrophe, les habitants de la planète vont choisir leur camp. D'un côté, ceux qui profitent de la situation pour réaliser de bonnes affaires ou partir en beauté en assouvissant tous leurs plaisirs. De l'autre, ceux qui sont plus spirituels et se réfugient dans les valeurs morales et bien évidemment la religion. Abel Gance va même jusqu'à nous montrer l'irruption calme et pacifique de religieux dans une orgie où les convives ont leurs épiphanies sur fond d'apocalypse ! Au XXIe siècle, on peut trouver cela un peu gênant ! D'autant qu'une séquence, au début du film, nous montre Abel Gance incarnant le Christ dans une scène biblique à grand spectacle...

Mais il est bon de souligner que LA FIN DU MONDE n'est pas réellement le film voulu par Abel Gance. La version visible aujourd'hui fait aux alentours d'une heure et demi alors que le cinéaste voulait une version au moins deux fois plus longue. En réalité, LA FIN DU MONDE tel que l'on connaît ce film aujourd'hui est le résultat d'une œuvre qui a échappé à son géniteur. En effet, les producteurs coupent le film et mettent fin aux nombreux problèmes rencontrés lors de sa création. Parmi ceux-ci, on notera qu'Abel Gance, qui innovait techniquement, avait l'ambition d'utiliser un tout nouveau système sonore, Gaumont-Petersen-Poulsen, utilisé pour la première fois sur LA FIN DU MONDE. Mais celui-ci n'a posé que des problèmes au moment du tournage. Le cinéaste va réutiliser des effets spéciaux qui déforment l'image, un peu comme ceux qu'il avait déjà utilisés auparavant sur LA FOLIE DU DOCTEUR TUBE en 1915. Aujourd'hui, ces effets, accompagnés d'une distorsion sonore, semblent un peu hors de propos et on peut supposer que cela n'a pas non plus rassuré les producteurs. À l'époque, les Américains découvriront même une version mutilée du film, d'à peine une heure !

Si LA FIN DU MONDE n'est pas le film prévu à l'origine par Abel Gance, on peut tout de même être surpris par l'immobilisme de l'ensemble. En effet, si de nombreux cinéastes avaient réussi avec succès le passage du muet au sonore de façon naturelle, Abel Gance se plante. Novateur jusque-là dans son approche cinématographique, le réalisateur donne l'impression de ne pas pouvoir se débarrasser d'une image statique. Le sonore lui permet surtout de faire de longs monologues pompeux, ce qui finit de donner au film un aspect prétentieux et franchement laborieux. De l'ensemble, la partie la plus marquante n'est finalement pas la représentation des catastrophes annoncées. Si l'on doit retenir un passage, c'est cette curieuse scène christique qui ouvre le film avec un côté grandiloquent et une issue surprenante. Ensuite, le film s'enfonce doucement vers un ennui mortel... Lorsque les catastrophes arrivent, si elles pouvaient éventuellement faire illusion aux débuts du cinéma parlant, elles semblent bien fades et modestes aujourd'hui.

On l'a déjà dit, LA FIN DU MONDE n'est pas le tout premier film de science-fiction mettant en scène une apocalypse annoncée mais il fait en tout cas partie des tout premiers du genre. Pour retrouver des thématiques proches, il faudra attendre deux décennies pour découvrir LE CHOC DES MONDES puis plus tard METEOR. On notera aussi une résurgence de ce thème à la fin des années 90 avec le téléfilm ASTEROID et, bien sûr, ARMAGEDDON et DEEP IMPACT. Ils seront suivis par une flopée de téléfilms et métrages à petits budgets à destination de la vidéo (TYCUS, ALERTE COLLISION...). En conclusion, à moins de vouloir compléter une filmographie sur le sujet, LA FIN DU MONDE n'est peut-être pas le film à voir de toute urgence, et ce, même si la fin du monde approchait !

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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