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Critique du film
TESIS 1996

 

La fin des années quatre-vingts voit la percée d'un nouveau cinéma espagnol avec, en chef de file, Pedro Almodovar (FEMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERF de 1988 par exemple). Marqué par un style coloré et exubérant, ennemi des hypocrisies, ce réalisateur s'avère aussi le parrain cinématographique d'Alex de la Iglesia, lequel livre ACTION MUTANTE en 1993, un inégal film de science-fiction parodico-trash.

Le cinéma de genre espagnol commence alors une renaissance, renaissance dont TESIS, thriller horrifique d'Alejandro Amenábar, est un des premiers symptômes. Ce réalisateur, né au Chili, réalise quelques court-métrages à suspense avant TESIS, mais ce dernier est son premier long-métrage.

Parmi les acteurs principaux, nous reconnaissons Ana Torrent, fameuse actrice-enfant du cinéma espagnol, vue au cours des années soixante-dix dans L'ESPRIT DE LA RUCHE de Víctor Erice et CRIA CUERVOS de Carlos Saura. TESIS est aussi un des premiers films avec Fele Martinez (DARKNESS de Jaume Balaguero) et Eduardo Noriega (OUVRE LES YEUX d'Alejandro Amenábar, L'ÉCHINE DU DIABLE de Guillermo del Toro). Ils sont appelés à devenir des visages familiers du cinéma ibérique.

Une jeune femme prépare une thèse sur la violence dans le domaine audiovisuelle. Elle met la main sur une cassette vidéo de Snuff Movie. Apparemment, des enseignants et des élèves de son université sont impliqués dans cette affaire.

TESIS est un thriller traitant du sujet des Snuff Movies. On entend par Snuff Movies des films mettant en scène de véritables tortures et meurtres, perpétrés délibérément et uniquement pour les mettre sur pellicule à des fins de "divertissement". Ce terme "Snuff Movie" a été lancé en 1971 dans un livre d'Ed Sanders. Cet ouvrage traitait de la rumeur voulant que le Serial Killer Charles Manson et ses complices filmaient des assassinats (ce qui n'est pas exact).

Puis, le film américain SNUFF de 1976 connut un beau succès grâce à une rumeur fantaisiste lancée par son distributeur : il contiendrait de véritables images de meurtres commis pour être inclus dans le métrage. Il s'agit en fait d'un épilogue Gore, mais non Snuff, rajouté vite fait par le producteur, ce qui ne rehausse guère le niveau de ce film très laborieux.

Cette rumeur déclencha un scandale aux États-Unis et la police mena une enquête tandis que la presse se régala de rumeurs infondées, colportées notamment par les bigots ennemis du porno. Le grand public était alors convaincu qu'en Amérique du Sud se tournaient des Snuff Movies destinés à des spectateurs sadiques qui les payaient une fortune...

Par la suite, de nombreux thrillers et films d'horreur font référence aux Snuff Movies. Le premier d'entre eux précède même la rumeur puisqu'il est le classique et passionnant LE VOYEUR de l'anglais Michael Powell : à Londres, un sadique assassine des jeunes femmes et filme leur agonie à l'aide d'une caméra portable.

Parmi les œuvres racoleuses produites en Europe en surfant sur le scandale de SNUFF, citons BLACK EMANUELLE EN AMÉRIQUE du multi-récidiviste Joe D'Amato : la belle journaliste interprétée par Laura Gemser enquête sur les Snuff Movies. Les séquences pseudo-Snuff de ce film sont restées célèbres !

Avec HARDCORE de Paul Schrader, ce sont désormais les thrillers d'Hollywood qui s'intéressent à ce sujet : un homme d'affaires (George C. Scott) recherche sa fille disparue en enquêtant sur le milieu du cinéma pornographique. Dans VIDEODROME de David Cronenberg, le directeur d'un réseau télévisé capte une chaîne diffusant des Snuff Movies étranges. Le thriller à gros budget 8MM de Joel Schumacher, avec Nicolas Cage, raconte une enquête à propos d'un petit film horrible tourné en 8 millimètres.

Si la rumeur des années soixante-dix voulait que ces films soient tournés en Amérique du sud, depuis la chute du mur de Berlin, ce sont les pays de l'Est qui inspirent les scénaristes de ce style de Films Noirs. Dans TÉMOIN MUET d'Anthony Waller, une jeune fille muette assiste par accident au tournage d'un Snuff Movie à Moscou, et se retrouve traquée par les coupables de ce crime.

TESIS s'inscrit donc dans ce courant de films traitant du Snuff Movie. Pourtant, il se présente aussi comme une réflexion sur le rapport de l'homme et de la société aux images et à la violence. En cela, il rejoint deux autres films remarqués, tournant autour de cette thématique et sortis peu après : SCREAM de Wes Craven et FUNNY GAMES de Michael Haneke.

Dans sa thèse, Angela défend l'idée que la violence, si fréquente dans les images que nous regardons, rend la société plus dure et déréglée. Elle se pose en ennemi de la brutalité mais, dès l'ouverture de TESIS où elle tente, fascinée, d'observer le cadavre d'un suicidé sur une voie de métro, Amenábar dénonce l'hypocrisie du personnage. La fascination pour le morbide est une composante de la face sombre des êtres humains. Les images proposées par notre société sont violentes car ce spectacle nous fascine.

Cette théorie du spectacle de la violence, poussée jusqu'au bout, mènerait à la réalisation des Snuff Movies. Amenábar met donc en question la responsabilité des médias (surtout des journaux télévisés) et des systèmes de production de films. Entre l'hypocrisie angélique et la folie meurtrière, il faut trouver un chemin dans le complexe monde des images.

TESIS illustre ces théories à travers une solide réalisation évoquant les meilleurs thrillers américains. De nombreuses scènes proposent un suspense d'une grande efficacité, en jouant sur l'ambiguïté des apparences, à la manière de SOUPÇONS ou de L'OMBRE D'UN DOUTE d' Alfred Hitchcock. Ainsi, Angela et les spectateurs ne sauront jamais trop à quoi s'en tenir à propos de personnages aux comportements ambivalents, tels que Chema et Bosco. L'interprétation est globalement correcte, tandis que de vrais et efficaces morceaux de tensions nous sont offerts, comme l'exploration des passages secrets de l'université.

Nous regrettons cependant que le film soit un brin trop long. L'aspect caricatural du script est aussi embarrassant, avec des personnages schématiques comme le collectionneur de films Gore et de pornos, ou le professeur qui pense la production cinématographique de manière purement économique.

Le plus gênant reste la manière dont TESIS s'appuie sur le sujet du Snuff Movie (un fantasme collectif et sensationnaliste) pour imposer de manière malhonnête ses théories sur la consommation des images et le voyeurisme. Les dernières images de TESIS, stigmatisant cette attitude, rappellent d'ailleurs le tout dernier plan de FENÊTRE SUR COUR de Hitchcock. Cette façon d'utiliser un sujet aussi racoleur pour proposer une "vision" alarmiste de la société relève alors d'une manipulation peu sympathique.

TESIS contient quelques passages inégaux et quelques invraisemblances comme lorsque Chema et Angela discutent à très haute voix dans le hall de leur université de leurs soupçons concernant un de leur professeur ! Mais TESIS reste un thriller efficace et de bonne facture.

TESIS connaît un bel accueil en Espagne. En 1996, LE JOUR DE LA BÊTE d'Alex de la Iglesia avait raflé six Goyas à cette cérémonie annuelle du cinéma ibère, dont la récompense du meilleur réalisateur. En 1997, TESIS récolte carrément le Goya du meilleur film !

Cela confirme et installe l'importance du cinéma de genre, et plus précisément du cinéma d'horreur, dans le paysage espagnol pour les années à venir. Alejandro Amenábar sera le fer de lance de cette vague, avec notamment son film suivant, le classique paranoïaque OUVRE LES YEUX, et surtout LES AUTRES interprété par Nicole Kidman. Surfant sur la renaissance du film de fantômes classique consécutive aux succès du japonais RING et de l'américain SIXIÈME SENS, LES AUTRES de 2001 connaîtra un retehtissement mondial et constituera un pinacle de cette vague de cinéma d'horreur espagnol.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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