Header Critique : CHASSEUR DE SORCIÈRES (WITCH HUNT)

Critique du film
CHASSEUR DE SORCIÈRES 1994

WITCH HUNT 

Le détective privé Philip Lovecraft travaille à Hollywood, dans les années cinquante, alors que la pratique de la magie noire y est courante. Une actrice le charge de surveiller son mari, un producteur qu'elle soupçonne d'infidélité. Pendant ce temps, un sénateur, Larson Crockett, lance une campagne contre l'usage de la magie dans le milieu du cinéma..

En 1994, la chaîne câblée américaine HBO donne une suite à son téléfilm DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT de 1991. Cette suite se nomme CHASSEUR DE SORCIÈRES et est, elle aussi, un téléfilm. Mais elle bénéficie d'un générique impressionnant, évoquant plus une œuvre pour le cinéma qu'une production pour le petit écran. Le réalisateur est Paul Schrader (HARDCORE, LA FÉLINE, MISHIMA), qui a alors du mal à imposer ses projets aux producteurs de cinéma.

Le détective Lovecraft est interprété par Dennis Hopper (EASY RIDER, APOCALYPSE NOW, BLUE VELVET), qui remplace donc Fred Ward. Son adversaire est joué par Julian Sands (CHAMBRE AVEC VUE, WARLOCK). La superbe photographie est dirigée par le français Jean-Yves Escoffier, le complice de Leos Carax, qui fait alors ses premiers pas à Hollywood. La musique est composée par Angelo Badalamenti (FREDDY 3 : LES GRIFFES DU CAUCHEMAR, «TWIN PEAKS») en personne.

Comme son nom l'indiquait, DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT mêlait des éléments du Film Noir et du fantastique. Il s'inspirait spécifiquement de l’œuvre de l'écrivain Howard Philip Lovecraft. Mais dans cette suite, il n'y a plus grand chose de lovecraftien. Nous n'y trouvons plus de Necronomicon ou d'invocation de Grands Anciens.

L'univers de l'écrivain ne motive guère Paul Schrader et il exige de nombreux remaniements dans le scénario, retirant notamment des séquences d'effets spéciaux et d'action. Nous retrouvons quand même l'excellente idée de mélanger détectives et sorcellerie, cocktail qui faisait une grande part du charme de DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT.

Pour Paul Schrader, cette intrigue est prétexte à réaliser un portrait amer et agressif d'Hollywood et de son histoire. Nous croisons des starlettes arrivistes et des producteurs aussi ignares que répugnants. Ces derniers ramènent à la vie William Shakespeare, d'une manière rappelant «L'affaire Charles Dexter Ward» de Lovecraft. Et ce afin de lui faire rédiger des scripts standardisés, ce qui évoque les années passées à Hollywood par le prix Nobel de littérature William Faulkner.

Des comédiens utilisent la magie pour améliorer leur apparence et se plier aux canons de la beauté hollywoodienne, de la même manière que les acteurs actuels font de la chirurgie esthétique. Tout cela rappelle BARTON FINK des frères Coen, sorti peu avant CHASSEUR DE SORCIÈRES, et sa peinture kafkaïenne de l'après-guerre à Hollywood.

D'autre part, Paul Schrader, à travers le portrait du sénateur Crockett, s'en prend à l'hypocrisie puritaine de la classe politique américaine, prompte à accuser Hollywood de représenter un danger moral pour le pays. Ce personnage renvoie au sénateur McCarthy, tristement célèbre pour avoir orchestré à Hollywood, de 1950 à 1954, l'épisode de la "chasse aux sorcières" (auquel le titre CHASSEUR DE SORCIÈRES fait expressément référence). Les réalisateurs, acteurs et techniciens sympathisant de trop près avec la cause communiste se voyaient mis sur une liste noire, ce qui les empêchait de trouver du travail et les contraignait à la pauvreté ou à l'exil. Tout cela s'était fait dans une atmosphère malsaine de suspicion et de délation.

Paul Schrader s'en prend aussi, plus largement, à la manière dont les hommes politiques américains et autres autorités morales et religieuses, désignent régulièrement, de manière démagogique et hypocrite, Hollywood comme cause et symptôme d'une déliquescence morale de l'Amérique. Nous pensons alors aux campagnes amorcées par le Vatican au début des années trente, qui ont abouti à la mise en place du code Hayes. Et aussi aux associations familiales républicaines conservatrices qui, dans les années quatre-vingts, à force de lobbying, ont renforcé de manière drastique le poids de la censure du MPAA sur les films d'horreur.

A ce titre, la fin du meeting de Crockett, lorsque celui-ci est victime d'un sortilège, mérite une explication. Le sénateur tombe au sol et un personnage hirsute et hurlant sort de son corps, à la manière d'un improbable Alien. Puis cette créature insulte copieusement le public, en les traitant d'hypocrites et en se moquant des "vertus" américaines. En fait, ce personnage est l'acteur Eric Bogosian (l'interprète du sénateur Crockett), lui-même satiriste contestataire et réputé, qui se produit à l'époque dans des One Man Show politiquement incorrects.

Grâce à la liberté qu'on lui a laissé sur CHASSEUR DE SORCIÈRES, Paul Schrader a pu fournir une œuvre politiquement forte et cohérente, qu'on peut rapprocher d'INVASION LOS ANGELES de John Carpenter. Dans l'ensemble, la réalisation et la photographie, inspirées par les peintures d'Edward Hopper, sont raffinées et élégantes. Elles aboutissent à un résultat plus satisfaisant que les téléfilms habituels, ou que DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT.

Le rythme est lent, mais le récit est solide et n'ennuie pas le spectateur. L'ensemble peut paraître parfois statique et bavard, surtout comparé aux meilleures scènes de DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT. L'interprétation est aussi inégale : si Julian Sands est parfaitement convaincant en ignoble sorcier, Dennis Hopper paraît moyennement concerné par les aventures qu'il traverse, et nous fait regretter l'affable Fred Ward.

Moins nerveux et sympathique que DÉTECTIVE PHILIP LOVECRAFT, CHASSEUR DE SORCIÈRES est néanmoins une œuvre très intéressante, moins inégale que son prédécesseur et mieux réalisée, proposant un discours mordant et intransigeant sur la société américaine et Hollywood.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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