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Critique du film
BRAINDEAD 1992

 

Nouvelle-Zélande, 1957. Dans un zoo, une femme est mordue par un spécimen très rare de singe-rat. Elle en tombe malade et son fils de 25 ans, Lionel, doit prendre soin d'elle. Peu après, elle se change en un monstre cannibale, dégénéré et très contagieux...

BRAINDEAD est envisagé par le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson juste après son premier long métrage, BAD TASTE de 1987. L'idée était de proposer un film de zombies très Gore, dans la tradition du ZOMBIE de George A. Romero. Malgré les bons résultats de BAD TASTE, Peter Jackson ne parvient pas à rassembler un financement suffisant et il se reporte sur un projet moins onéreux : LES FEEBLES de 1989, relecture trash du «MUPPET SHOW».

Après avoir cherché des partenaires en Espagne, au Japon ou aux États Unis, Peter Jackson rassemble enfin les trois millions de dollars nécessaires pour BRAINDEAD, son troisième long-métrage. Le scénario est écrit avec Fran Walsh, sa compagne, et Stephen Sinclair, lesquels participeront plus tard à l'écriture du SEIGNEUR DES ANNEAUX.

Cette fois, Peter Jackson ne se charge plus des effets spéciaux : il les délègue à Richard Taylor, qui deviendra son collaborateur de prédilection en la matière. Il recrute des comédiens néo-zélandais : Timothy Balme, dont c'est la première apparition au cinéma, tient le rôle de Lionel. Sa mère est incarnée par Elizabeth Moody (L'ÉPOUVANTAIL DE MORT) et l'infect oncle Les est joué par Ian Watkin (DEATH WARMED UP). Nous trouvons aussi Diana Penalver, une actrice espagnole recrutée pour satisfaire des producteurs de cette nationalité. Malgré le désistement de ces derniers, Jackson conserve le personnage tel quel.

La santé du cinéma d'épouvante au début des années quatre-vingt-dix est préoccupante. Après une explosion de sa production et de sa popularité au cours des années soixante-dix et quatre-vingts, l'heure est au reflux. Les réalisateurs les plus populaires du genre connaissent des difficultés. John Carpenter se fourvoie dans LES AVENTURES D'UN HOMME INVISIBLE, luxueuse comédie fantastique dont l'insuccès le condamne à trois années de placard. George A. Romero connaît un bide avec LA PART DES TÉNÈBRES et se trouve lui aussi réduit à l'inactivité, durant sept années.

Sam Raimi se prend une claque avec les recettes insuffisantes de L'ARMÉE DES TÉNÈBRES, troisième volet de sa série des EVIL DEAD. Quant à Tobe Hooper , il sombre dans l'enfer du téléfilm et de la série Z (SPONTANEOUS COMBUSTION, TOBE HOOPER'S NIGHT TERRORS). David Cronenberg glisse vers un cinéma fantastique d'auteur de moins en moins grand public avec des titres comme FAUX-SEMBLANTS ou LE FESTIN NU. Relative exception, Wes Craven s'en sort mieux : malgré des déceptions (SHOCKER, FREDDY SORT DE LA NUIT), il décroche un honorable succès avec LE SOUS-SOL DE LA PEUR.

En Europe, les grandes cinématographies des trente glorieuses s'effondrent face à la concurrence de la télévision privée, de la vidéo et des blockbusters hollywoodiens. Ainsi, le cinéma anglais, grand pourvoyeur d'Horreur dans les années soixante, décline à partir des années soixante-dix et se trouve presque annihilé à la fin des années quatre-vingts.

La production italienne, si imaginative et audacieuse en terme de fantastique dans les années soixante et soixante-dix, connaît le même sort tandis que les pouvoirs publics négligent de protéger l'art cinématographique qui a tant fait pour le prestige de cette nation durant l'après-guerre. Lamberto Bava et de nombreux autres réalisateurs se rabattent vers la télévision. Lucio Fulci est rongé par des problèmes de santé et sa production décline jusqu'à cesser après LE PORTE DEL SILENZIO de 1991. Même Dario Argento, Super Star du suspense dans son pays, connaît des difficultés et s'exile vers les USA, sans grand succès (TRAUMA).

Bref, la vie n'est plus rose pour les maîtres de l'horreur ! Le genre est sur le déclin, même si l'espoir d'un renouveau gothique se profile, avec l'arrivée de BRAM STOKER'S DRACULA de Francis Ford Coppola, la même année que BRAINDEAD.

A l'époque, ce qui plaît au public, ce n'est plus l'horreur fantastique, mais le thriller glauque (LE SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme est couvert d'Oscars, SEVEN de David Fincher va faire un malheur), ou les films d'action pétaradants (PIÈGE DE CRISTAL, TERMINATOR 2, SPEED).

L'idée qu'a Peter Jackson de réaliser, dans sa Nouvelle-Zélande isolée, un film d'horreur Gore dans la tradition de l'épouvante des années quatre-vingts paraît donc curieuse. Voire anachronique. Le bougre tourne avant tout pour se faire plaisir, pour concrétiser les films qu'il veut voir, et rendre hommage aux cinéastes qu'il admire.

Comme sources de BRAINDEAD, Peter Jackson cite deux titres-phares de l'horreur des années quatre-vingts : EVIL DEAD de Sam Raimi et RE-ANIMATOR de Stuart Gordon. Deux films bricolés pour une bouchée de pain, par des inventeurs bourrés d'humour, compensant les lacunes de leurs budgets par une liberté de ton fracassante et par de sidérantes trouvailles techniques et narratives.

Comme ces deux œuvres, BRAINDEAD adopte un rythme soutenu et de nombreuses inventions Gore, hilarantes et inédites. Ainsi, RE-ANIMATOR et BRAINDEAD sont parmi les premiers à se soucier de la vie sexuelle des zombies. Dans le film de Peter Jackson, deux morts-vivants copulent et donnent naissance à un bébé monstrueux !

BRAINDEAD n'est pas vraiment un film qui fait peur. Jackson en revendique le caractère de comédie et se réclame des séquences sanglantes, pleines d'humour noir, des Monty Python. En effet, dès leurs débuts à la télévision, ces trublions anglais proposaient des sketchs à l'humour provocateur et macabre, tel celui sur les méthodes répugnantes d'un croque-mort dans le «Royal episode 13» ; ou l'orgie gore, avec bras arrachés et jets de sang, de «Sam Peckinpah's Salad Day».

Autre scène Gore fameuse des Monty Python : le démembrement de l'insolent chevalier noir qui provoque le Roi Arthur dans MONTY PYTHON : SACRÉ GRAAL ! BRAINDEAD y fait référence de manière détournée : ici, un prêtre adepte du Kung Fu qui arrache successivement bras et jambes d'un rocker mort-vivant !

Comme RE-ANIMATOR, l'humour de BRAINDEAD trouve aussi sa source  dans l'ultra-violence des meilleurs cartoons américains des années quarante et cinquante : ceux de Tex Avery et de Chuck Jones. Les personnages se découpent en morceaux, s'électrocutent, se frappent à coup de masse, explosent en manipulant des bâtons de dynamite, font des chutes vertigineuses...

Sur les photographies du tournage de BRAINDEAD, Peter Jackson porte des T-shirts aux effigies de Titi le Canari ou du Coyote malchanceux. Un zombie coupé en deux porte ses jambes sur ses épaules, un autre passe dans une essoreuse à linge, l'oncle Les joue du hachoir en accéléré... Lionel, armé d'une tondeuse à gazon, réduit en pulpe rougeâtre une armée de zombies.

Nous rencontrons aussi un sens de l'humour très graphique provenant du burlesque américain des années vingts, tel les films de Charlie Chaplin (LES TEMPS MODERNES) ou de Buster Keaton (LE MÉCANO DE LA GÉNÉRAL). Les acteurs rivalisent de grimaces et d'acrobaties, Timothy Balme se roule par terre et grimpe des escaliers quatre à quatre.

La scène la plus proche du cinéma burlesque muet est celle du jardin d'enfants, au cours de laquelle Lionel poursuit l'horrible petit bébé zombie. Les séquences romantiques, réussies, laissent aussi planer un parfum de cinéma muet, notamment par leur illustration sonore au piano. Et aussi au travers des minauderies timides de Lionel lors de la visite du zoo, qui rappellent un Charlot.

BRAINDEAD rend encore hommage au cinéma d'aventures traditionnel. Ainsi, son action débute sur l'"île du Crâne", comme le mythique KING KONG de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. Œuvre dont Peter Jackson fera son remake avec le KING KONG de 2005 ! Comme dans le classique de 1933, un explorateur sans scrupule ramène d'une île sauvage un singe qui sème la terreur et le chaos dans un pays civilisé. Sauf qu'ici, il ne s'agit pas d'un gorille géant, mais d'un singe-rat, porteur d'un virus transformant humains et animaux en zombies.

Cela permet à BRAINDEAD de faire quelques clins d’œils au folklore de la magie noire antillaise, folklore dont provient le concept de zombie. De même, l'animation image par image de certains monstres (le singe-rat, le bébé) renvoie aux effets spéciaux poétiques de Willis O'Brien (KING KONG) et de son successeur Ray Harryhausen (LA VALLÉE DE GWANGI).

L'enchaînement frénétique de péripéties et de séquences mouvementées au cours de la seconde moitié de BRAINDEAD évoque les plus belles réussites du cinéma d'action, telles KING KONG à nouveau, mais aussi LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE ou, évidemment, ZOMBIE, parfait mariage entre le film d'action et le Gore.

La trame de BRAINDEAD n'est pas sans rappeler un certain «Seigneur des Anneaux» de Tolkien ! Léon, jeune homme effacé, rencontre une magicienne qui voit en lui un héros et lui remet un talisman magique pour lutter contre la corruption qui s'étend sur un pays paisible ! Ce n'est pas si étonnant si on se souvient que Peter Jackson a aussi envisagé, après BAD TASTE, un film mêlant aventures et Heroic Fantasy, projet pour lequel il revendiquait déjà l'influence de Tolkien.

BRAINDEAD se révèle un monument du cinéma Gore, un mélange hyper-efficace d'aventures et d'horreur, où nous admirons la perfection du découpage des séquences d'action, le rythme extrêmement soutenu des péripéties et les saisissantes inventions techniques et humoristiques.

Nous admirons encore les très nombreux plans d'effets spéciaux Gore, pratiquement tous impeccables. Par son invention, sa liberté formelle, son humour délirant, son efficacité et sa fluidité impeccable, BRAINDEAD dépasse ses modèles RE-ANIMATOR et EVIL DEAD. Il peut sans rougir, être comparé à ZOMBIE, la référence ultime du genre zombiesque !

Il reçoit d'ailleurs un bon accueil critique raflant notamment le Grand Prix de l'ultime édition du Festival du Film Fantastique d'Avoriaz en 1993. Une récompense remise par Christopher Lee, futur Saroumane du SEIGNEUR DES ANNEAUX !

Si BRAINDEAD marque l'apogée d'un certain cinéma d'horreur Gore des années quatre-vingts, il en annonce aussi la fin. DELLAMORTE DELLAMORE de Michele Soavi arrive ensuite, mais il s'agit là aussi d'une œuvre sans descendance. Quelques réalisateurs isolés résistent, tel Brian Yuzna (LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS 3, LE DENTISTE), mais ces œuvres se voient de plus en plus confinées aux rayons des vidéo-clubs, comme des produits de second choix.

Après BRAINDEAD, Peter Jackson surprend son monde. Conscient d'avoir atteint un point de non-retour, il bifurque avec CRÉATURES CÉLESTES de 1994 vers un drame criminel réussi, qui lui vaut un Lion d'Argent au Festival de Venise et une reconnaissance plus large de son talent.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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