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Critique du film
POLTERGEIST 1982

 

Durant les années soixante-dix, Steven Spielberg est impressionné par MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE, le chef-d'œuvre de Tobe Hooper. Après RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE en 1977, Spielberg le contacte et lui propose un film de science-fiction mettant en scène des extra-terrestres. Le projet n'aboutit pas et Hooper indique qu'il aimerait tourner une histoire de fantômes.

En 1981, alors qu'il réalise LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE, Spielberg lance un projet sur ce thème : POLTERGEIST. Il fait rédiger un premier scénario par Michael Grais et Mark Victor. Puis il le réécrit en ajoutant ses idées et celles de Tobe Hooper. Le projet est produit par le studio MGM, attiré par le nom commercialement porteur de Spielberg. Un long travail de préparation commence, avec une élaboration minutieuse du découpage des scènes à effets spéciaux, auquel participe activement Spielberg.

POLTERGEIST bénéficie d'un bon budget de 10 millions de dollars, ce qui, sans correspondre à une super-production, est très élevé pour un film d'épouvante. La création de POLTERGEIST est particulière : Spielberg, son producteur, passe quotidiennement sur le plateau, visionne tous les rushes et participe même à la réalisation. Hooper ne s’en offusque pas et accepte ses idées. POLTERGEIST est souvent considéré comme un film fait "à quatre mains".

Le film s'offre les services d'ILM, firme de Georges Lucas, alors grande spécialiste des effets spéciaux optiques. Les acteurs choisis sont peu connus avant ce film. Diane Freeling est interprétée par JoBeth Williams, qui n'a que quelques seconds rôles à son actif, dans KRAMER CONTRE KRAMER ou LES CHIENS DE GUERRE par exemple. Tandis que son mari Steve est incarné par Craig T. Nelson. Jusqu'alors cantonné aux fins de génériques et à la télévision, il se trouve propulsé sur le devant de la scène avec POLTERGEIST, suivi par OSTERMAN WEEKEND, dernier long métrage de Sam Peckinpah. Sa carrière se cantonne ensuite plutôt à des seconds rôles. Heureuse exception : sa participation aux Pixar LES INDESTRUCTIBLES et LES INDESTRUCTIBLES 2 où il prête sa voix à Mr. Incredible.

Diana et Steve Freeling vivent avec leurs trois enfants dans une maison, au sein d'un lotissement moderne. Steve, agent immobilier, est chargé de vendre d'autres maisons de ce site à des particuliers. Cette vie tranquille est bouleversée lorsque des événements étranges ont lieu. Leur fillette Carol Anne prétend que des entités habitent à l'intérieur du téléviseur. Des meubles se déplacent inexplicablement...

L'aventure vire au drame lorsqu'au cours d'une nuit d'orage, leur fils, le petit Robbie, est happé par les branches d'un arbre du jardin, mues par une force démoniaque. Le garçon est sauvé in extremis, mais Carol Anne disparaît mystérieusement. L'horreur est à son comble quand les Freeling entendent sa voix dans leur téléviseur. Le couple recourt alors à des spécialistes du paranormal, qui leur expliquent que leur maison est hantée par des "poltergeist", des mauvais esprits agressifs...

Les rapprochements entre POLTERGEIST et d'autres œuvres du réalisateur-producteur Steven Spielberg s'imposent. A la manière des romans de Stephen King, populaires dès la fin des années soixante-dix, le metteur en scène-producteur aime mettre en scène la rencontre entre le surnaturel et des familles américaines tranquilles de la classe moyenne. Cette méthode facilite l'identification des spectateurs et permet l'apologie de certaines valeurs traditionnelles, déjà chères à un Walt Disney, comme la solidarité familiale.

POLTERGEIST évoque une version négative d'E.T. L'EXTRA-TERRESTRE que Spielberg vient de réaliser. Au lieu d'un gentil alien, les Freeling affrontent des phénomènes nocifs, cherchant à briser l'unité familiale en enlevant Carol Anne. La peinture de cette famille se fait en début de film, sous la forme de séquences de comédies parfois attendries - et aussi parfois noires (l'enterrement du petit oiseau).

Ce mélange maison hantée-horreur-comédie rappelle LA FALAISE MYSTÉRIEUSE de 1944, classique du fantastique américain dont Tobe Hooper revendique l'influence. Une ligne de dialogue de POLTERGEIST fait même référence à l'odeur de mimosa accompagnant la manifestation des fantômes dans ce classique.

La formule du producteur Spielberg implique une modernisation du concept fantastique exploré ici. Nous retrouvons cela aussi bien dans LES DENTS DE LA MER que dans ses productions GREMLINS de Joe Dante ou RETOUR VERS LE FUTUR de Robert Zemeckis. POLTERGEIST propose une vision contemporaine de la maison hantée. Ce n'est plus une vieille demeure gothique, au passé chargé de lourds secrets, comme dans LA FALAISE MYSTÉRIEUSE ou LA MAISON DU DIABLE, mais un anonyme pavillon de construction récente, bénéficiant de tout le confort moderne.

Qu'est-ce donc qu'un "poltergeist" ? Ce terme anglo-saxon évoque des esprits frappeurs agités, manifestant bruyamment aux vivants leurs présences, notamment en faisant bouger ou en cassant des objets de toutes sortes. Ils peuvent se montrer violents et dangereux. Ces spectres extravertis et leurs motivations nous sont décrits par le docteur Lesh, une spécialiste du surnaturel. Hélas, cela donne lieu à des explications bavardes, aboutissant à des conclusions floues.

Les motivations des spectres et leurs origines manquent de netteté et nous sont explicitées à partir d'hypothèses peu convaincantes (les poltergeist sont rendus dangereux par une entité démoniaque ; ils sont attirés par la force vitale de Carol Anne). Les déclarations contradictoires et embrouillées se multiplient, si bien que le scénario de POLTERGEIST se construit sur des fondations fragiles.

A la manière de L'EXORCISTE avec les cas de possession, POLTERGEIST cultive un (mauvais) goût pour le sensationnalisme et la superstition, créant des connections entre son récit et des faits surnaturels "réputés" exister (maison hantée, couverts tordus par des spectres).

La promotion du film ira à fond dans ce sens, Hooper et Spielberg racontant qu'ils croient fermement à l'existence des poltergeist, auxquels ils auraient été eux-mêmes confrontés ! Les sommets de la bêtise racoleuse sont atteints quand, à des fins publicitaires, sera évoquée la "malédiction de la série Poltergeist" à propos des morts tragiques de deux jeunes actrices du film : Dominique Dunne, assassinée en 1982 ; la petite Heather O'Rourke, décédée d'arrêt cardiaque en 1988, à 13 ans.

A la fin des années soixante-dix, le succès des films à tendance "sataniste" (L'EXORCISTE, LA MALÉDICTION) est suivie par la production de nombreuses œuvres anglo-saxonnes mettant en scène des maisons hantées. Signalons ainsi LA MAISON DES DAMNÉS de John Hough, AMITYVILLE, LA MAISON DU DIABLE de Stuart Rosenberg ou SHINING de Stanley Kubrick. Pourtant, à la notable exception de ce dernier, il s'agit de productions modestes, jouant sur une atmosphère inquiétante et sur la suggestion de l'épouvante, l'horreur pure étant cantonnée à quelques scènes-chocs. Certains films de maison malfaisante italiens sont a contrario très portés sur le gore et la violence sanglante : INFERNO de Dario Argento ou L'AU-DELÀ et LA MAISON PRÈS DU CIMETIÈRE de Lucio Fulci.

POLTERGEIST change la donne en multipliant les séquences à effets spéciaux, qu'ils soient mécaniques (maquillages, plateaux pivotants, maquettes) ou optiques (apparitions des spectres, éclairs). POLTERGEIST veut être au film de fantômes ce que LA GUERRE DES ÉTOILES et RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE ont été à la science-fiction : des productions ambitieuses et innovantes, bénéficiant de budgets importants et jouant la carte du spectaculaire.

Cette débauche de trucages est à la fois une force et une faiblesse de POLTERGEIST. Techniquement très réussis pour la plupart, ils composent un spectacle visuel époustouflant, sans équivalent avec les propositions antérieures en matière de films de fantômes. Mais l'abondance de ces passages ennuie, d'autant plus qu'ils ne provoquent pas l'effroi et ne reposent pas sur un récit convaincant.

Pourtant, il y a des moments d'horreur efficaces dans POLTERGEIST. Certains sont d'une subtilité inquiétante, tel ceux au cours desquels Carol Anne contemple, fascinée, l'écran du téléviseur couvert de parasites. Surtout, le dénouement du métrage, presque son épilogue, est une grande réussite. Monté à toute allure, martyrisant sans ménagement les Freeling, accumulant les péripéties cauchemardesques sans interruption, il ne laisse aucune chance à la famille désemparée, littéralement crachée hors de la demeure. Il n'est alors plus question de courage parental pour échapper aux esprits. Seule la fuite éperdue permet la survie. Ce moment inouïe de panique reste le paroxysme de POLTERGEIST.

Cette œuvre bénéficie de réelles qualités, notamment grâce à son interprétation, sa superbe partition signée Jerry Goldsmith, sa réalisation soignée et ses excellents effets spéciaux. Hélas, elle souffre d'un scénario peu consistant et d'hésitations dans son ton, allant de la comédie légère à l'épouvante la plus dure, en passant par des passages évoquant des films familiaux édifiants ou, a contrario, une noirceur cauchemardesque. Tout cela en fait une œuvre intéressante, mais aussi inégale et bancale.

POLTERGEIST connaît un gros succès au box-office américain. Pourtant, les conditions particulières de sa réalisation entraînent la circulation de rumeurs préjudiciables à Hooper. Certains affirment qu'il a été renvoyé par MGM et que Spielberg a réalisé le film seul. D'autres fois, on a sous-évalué la part de travail de Hooper sur le film.

De plus, ce réalisateur s'est mal entendu avec la MGM. Il considère que le studio s'est mal conduit à son égard, notamment au cours de la promotion du film dans laquelle le rôle de Spielberg dans l'élaboration de POLTERGEIST est mise exclusivement en avant, à ses dépends. Spielberg soutient alors Hooper et, finalement, le conflit se règle par un procès. MGM se trouve condamnée pour ne pas avoir respecté les droits de Hooper en tant que réalisateur du film.

Ensuite, Hooper quitte le monde des Majors pour réaliser le spectaculaire mélange de science-fiction et d'épouvante LIFEFORCE, sa première collaboration avec la firme indépendante Cannon pour laquelle il travaillera régulièrement jusqu'en 1993.

La MGM donnera deux suites peu réussies à POLTERGEIST : POLTERGEIST II de Brian Gibson et POLTERGEIST III de Gary Sherman. Dans les deux cas, ni Spielberg, ni Hooper ne sont impliqués. Une série télévisée «POLTERGEIST, LES AVENTURIERS DU SURNATUREL» apparaît en 1996, distribuée par MGM : très inspirée par «AUX FRONTIÈRES DU RÉEL», elle met en scène des investigateurs luttant contre les forces du mal. Elle n'a que très peu de rapports avec les trois films POLTERGEIST.

Enfin, en 2015, Sam Raimi produit un remake POLTERGEIST avec Sam Rockwell, surfant sur la mode lancée par les INSIDIOUS et autres THE CONJURING, eux-mêmes influencés par le POLTERGEIST original et ses spécialistes de l'occulte combattant les forces du mal. Mais cette relecture sort dans l'indifférence.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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