Header Critique : NOSFERATU : FANTOME DE LA NUIT (NOSFERATU : PHANTOM DER NACHT)

Critique du film
NOSFERATU : FANTOME DE LA NUIT 1979

NOSFERATU : PHANTOM DER NACHT 

Jonathan Harker, clerc de notaire, se rend en Transylvanie profonde afin de vendre une maison en ville au comte Dracula...

Après plusieurs films courts, le réalisateur allemand Werner Herzog sort son premier long métrage SIGNE DE VIE en 1967. AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU de 1972, première de ses œuvres interprétées par Klaus Kinski, lui apporte une renommée internationale. Il fait ensuite d'autres films remarqués, comme L'ÉNIGME DE KASPAR HAUSER, COEUR DE VERRE inspiré par le folklore populaire bavarois, et LA BALLADE DE BRUNO, tourné en partie aux USA.

En 1978, il retrouve l'acteur Klaus Kinski pour ce NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, remake du NOSFERATU LE VAMPIRE de Murnau. Il s'agit d'une assez coûteuse coproduction franco-allemande, bénéficiant d'un casting prestigieux : Isabelle Adjani (LE LOCATAIRE, POSSESSION), Bruno Ganz (L'AMI AMÉRICAIN et LES AILES DU DÉSIR de Wim Wenders)... Et même l'écrivain-illustrateur Topor (co-créateur de LA PLANÈTE SAUVAGE avec René Laloux) dans le rôle de Renfield.

Werner Herzog appartient à une génération de cinéastes allemands ayant émergé à la fin des années soixante. Ils s'inspirent des idées esthétiques des réalisateurs de la Nouvelle Vague française, tels que François Truffaut (FAHRENHEIT 451) ou Jean-Luc Godard (ALPHAVILLE, UNE ETRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION). Rainer Werner Fassbinder domine ce cinéma allemand dans les années soixante-dix avec une production de plus de quarante longs-métrages en quinze ans, combinée à la réalisation de séries télévisés (dont LE MONDE SUR LE FIL et BERLIN ALEXANDERPLATZ) et à une activité de metteur en scène de théâtre. Sa lucidité et sa force de travail en font le pivot central de ce jeune cinéma allemand. Son décès prématuré en 1982 en annonce le déclin.

A ses côtés, Wim Wenders (LES AILES DU DÉSIR, JUSQU'AU BOUT DU MONDE) impose un cinéma plus doux et plus calme. Volker Schlöndorff aussi se fait remarquer (LE TAMBOUR, LA SERVANTE ÉCARLATE), mais sa carrière est inégale. Tous ces réalisateurs se posent le problème des rapports de l'Allemagne à son passé, et tirent un bilan amer de l'après-guerre et de son "miracle économique", insuffisant à guérir le mal-être d'une génération dont les parents ont grandi sous le Troisième Reich.

En partant de la question du rapport des jeunes Allemands à l'Histoire de leur pays, Werner Herzog invoque, en réalisant ce remake de NOSFERATU LE VAMPIRE, la grande période du cinéma allemand. C'est-à-dire l'entre-deux guerres et notamment un de ses réalisateurs les plus talentueux : Friedrich Wilhelm Murnau (NOSFERATU LE VAMPIRE, LE DERNIER DES HOMMES, L'AURORE).

Herzog choisit de refaire NOSFERATU LE VAMPIRE alors que «Dracula» de Bram Stoker, roman dont il est inspiré, ne l'intéresse pas. Il n'est pas amateur de films d'épouvante et avoue son mépris pour les autres métrages mettant en scène des vampires, à l'exclusion du poétique VAMPYR du danois Carl Dreyer.

NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT reprend fidèlement la trame de NOSFERATU LE VAMPIRE, elle-même assez fidèle au roman de Bram Stoker et donc proche de films comme DRACULA de Tod Browning ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA de Terence Fisher.

Par ses choix plastiques, le film de Herzog reste proche du classique de Murnau. Klaus Kinski propose un vampire renouant avec l'aspect chauve et décharné de Max Schreck. Harker et sa femme habitent une ville parcourue de canaux, dont les façades évoquent les Flandres ou la Hollande du XVIIIème siècle. Des plans reprennent littéralement NOSFERATU LE VAMPIRE (l'horloge macabre, le radeau portant les cercueils, les "caisses" pleines de rats). Ce qui engendre parfois de la lassitude, voire un ridicule involontaire.

En réalisant NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, Herzog n'explore pas seulement le cinéma fantastique allemand des années vingt. Il mêle aussi son style personnel à celui de mouvements esthétiques germaniques du XIXème siècle. Ainsi, Lucy, avec ses longs cheveux noirs, ses robes aux délicats motifs végétaux et sa pâleur intense, évoque l'Art Nouveau allemand et les tableaux de l'autrichien Gustav Klimt. Surtout, le Romantisme Allemand du XIXème siècle et son peintre Caspar David Friedrich, déjà sollicités par Murnau, sont placés au centre de NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT.

Nous savons l'importance des voyages et des paysages naturels imposants dans le cinéma de Werner Herzog. Déjà dans AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU, ce réalisateur écrase ces personnages avec des montagnes et des forêts immenses, tandis qu'un fleuve inexorable les entraîne vers leur perte. Ici, il tourne à nouveau dans des sites grandioses, dans les montagnes de Bohème, sur les plages de la Mer du Nord ou dans le désert mexicain. Il en ramène des images hallucinantes, baignées de lumières bleues et pourpres.

Ses paysages sont riches, comme chez Friedrich, d'une puissante portée symbolique et spirituelle, encore mise en valeur par la splendide musique méditative du groupe Popol Vuh. A ce titre, le voyage de Jonathan Harker vers le château de Dracula est digne des meilleurs films de Werner Herzog.

NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT se singularise en explicitant le thème du vampire malheureux, être solitaire et mélancolique portant son immortalité comme une malédiction. Sa nature de prédateur monstrueux le coupe du monde des humains. Cela n'était présent qu'en filigranes dans les plus célèbres films de vampire l'ayant précédé. Kinski est impeccable dans ce rôle à la hauteur de sa démesure. Il interprète un Dracula fragile, délicat et douloureux, à l'antipode de ses performances extraverties d'AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU ou COBRA VERDE de Herzog.

Face à lui, Adjani est tout aussi parfaite dans le rôle hallucinée de Lucy Harker, incarnation des idéaux romantiques, caractérisée par son amour absolu pour Jonathan et sa spiritualité toute individuelle, non institutionnalisée par une église. Trouvant son inspiration dans la contemplation de la mer infinie, elle se dresse contre le rationalisme urbain du docteur Van Helsing, ici héritier des philosophes français des Lumières.

NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT s'achève dans une ville rongée par la peste, sur un festin macabre se tenant parmi les rats apportés dans les cercueils de Dracula. Herzog, comme l'historien de cinéma Siegfried Kracauer, voit dans le vampire porteur d'épidémie de NOSFERATU LE VAMPIRE l'annonciateur de Hitler et de sa peste brune. En faisant triompher Lucy dans NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, alors que les scientifiques sont impuissants à empêcher l'action malfaisante du comte Dracula, Herzog considère qu'un rationalisme rigoureux est impuissant à neutraliser les tyrans. La révolte romantique et ses idéaux absolus peuvent les vaincre, au moins temporairement.

Ainsi, Herzog suit la même position que, par exemple, LUDWIG, REQUIEM POUR UN ROI VIERGE de 1972, film de Hans-Jürgen Syberberg, autre réalisateur allemand, qui voyait dans le "roi fou" Louis II de Bavière le héros romantique par excellence, martyrisé par les forces sociales (industriels, bourgeoisie) qui vont amener Hitler, son antithèse, au pouvoir.

Le style de Herzog ne colle pas toujours bien à une adaptation littérale du roman «Dracula». Alors que ce livre demande une adaptation nerveuse, riche en rebondissements frappants (comme NOSFERATU LE VAMPIRE ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA), NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT se complaît dans une lenteur contemplative et mélancolique. Si elle fonctionne à certains moments (le voyage dans les montagnes, les promenades sur la plage, le festin des pestiférés), elle provoque parfois un certain ennui. Ce film aurait gagné à prendre plus de libertés par rapport aux scénarios habituels inspirés de «Dracula», afin d'obtenir un récit mieux adapté au style de Herzog.

Néanmoins, NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT reste un film singulier, une œuvre contenant des images d'une beauté absolument stupéfiante et abordant la mythologie des vampires d'une façon plus douce et retenue que les habituelles productions horrifiques. Les performances d'Isabelle Adjani et de Klaus Kinski y sont sidérantes.

Aussitôt après cette œuvre, Herzog retrouve Kinski pour tourner WOYZECK d'après la pièce de Georg Büchner et il ne fera plus jamais de films d'épouvante. Il fera néanmoins l'acteur dans un certain nombre d’œuvres fantastiques, comme UN DIEU REBELLE de Peter Fleischmann, le faux-documentaire INCIDENT AU LOCH NESS et, plus étonnant encore, en méchant trafiquant de Bébé Yoda, dans la première saison de «THE MANDALORIAN» sur Disney+ en 2019 !

Notons l'existence d'une suite, pas très officielle et à la gestation chaotique, avec NOSFERATU À VENISE de 1986, d'Augusto Caminito, interprétée à nouveau par Klaus Kinski.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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