Ayant poignardé sa grande sœur, Michael Myers est enfermé dans un asile psychiatrique dès son enfance. Dix ans plus tard, il s'évade et revient sur les lieux du crime...
Malgré un bel accueil dans certains festivals, ASSAUT, second film de John Carpenter, n'est pas un succès public. Le réalisateur ne se laisse pas démonter. Avec sa compagne Debra Hill, il réunit un budget modeste d'environ 300 000 dollars (trois fois plus qu'ASSAUT) pour bricoler LA NUIT DES MASQUES, alias HALLOWEEN.
Pour le rôle du docteur Loomis, John Carpenter obtient la participation de l'acteur britannique Donald Pleasence (L'IMPASSE AUX VIOLENCES de John Gilling, LA GRANDE ÉVASION de John Sturges, CUL-DE-SAC de Roman Polanski). Carpenter pense d'abord à Peter Cushing, mais celui-ci décline sa proposition.
LA NUIT DES MASQUES est le premier rôle au cinéma de Jamie Lee Curtis, la fille de Janet Leigh (PSYCHOSE) et Tony Curtis (CERTAINS L'AIMENT CHAUD). Sur la base de ce succès, elle fait une petite carrière dans l'horreur (LE BAL DE L'HORREUR, DÉVIATION MORTELLE) puis perce dans la comédie (UN POISSON NOMMÉ WANDA de 1988, TRUE LIES de 1994).
Aux États-Unis, les années soixante-dix marquent une période faste pour le cinéma fantastique en général. Les succès phénoménaux de L'EXORCISTE, LES DENTS DE LA MER et LA GUERRE DES ÉTOILES, notamment auprès du public adolescent, changent la donne à Hollywood. L'épouvante britannique de la Hammer fait vite désuète face aux effets spéciaux révolutionnaires des Américains. Le créneau du cinéma d'épouvante pour adolescent paraît prometteur. Mais dans un premier temps, on assiste surtout à la multiplication de productions plus ou moins dans la lignée de L'EXORCISTE, avec LA MALÉDICTION de Richard Donner, CARRIE de Brian De Palma, EXORCISTE II, L'HÉRÉTIQUE de John Boorman ou AUDREY ROSE de Robert Wise.
Avec LA NUIT DES MASQUES, Carpenter s'inscrit dans la tradition préexistante des films de psycho-killers, comme PSYCHOSE d'Alfred Hitchcock, LE VOYEUR de Michael Powell ou L'ÉTRANGLEUR DE BOSTON de Richard Fleischer. Ces œuvres ont été suivies par des petites productions du même style, mais encore plus choquantes. Comme LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven ou MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper.
Parallèlement, de semblables tueurs psychopathes font leur apparition dans les thrillers racés des italiens Mario Bava (LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP, LA BAIE SANGLANTE) et Dario Argento (L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, LES FRISSONS DE L'ANGOISSE). Carpenter a toujours avoué que SUSPIRIA d'Argento, avec ses meurtres à l'arme blanche et sa musique obsédante, a eu une influence déterminante pour LA NUIT DES MASQUES.
Une grande part de la popularité de la série des HALLOWEEN repose sur la personnalité de son méchant récurrent : Michael Myers. Traumatisé dans son enfance, il a poignardé sa grande sœur une nuit d'Halloween (inoubliable prologue, avec son long plan-séquence en vue subjective traversant toute la maison familiale, puis avec son travelling arrière révélant l'horrible nature du meurtre).
Depuis, Michael est obsédé par ce moment, si profondément ancré en lui que Sam Loomis, son médecin traitant, a renoncé à le guérir. Michael doit beaucoup à Norman Bates (PSYCHOSE), Mark Lewis (LE VOYEUR) et au tueur des FRISSONS DE L'ANGOISSE. Comme eux, il a vécu un traumatisme familial qui a déstructuré sa personnalité. Il commet ses meurtres à l'arme blanche, méthode plus physique qu'une arme à feu. Il attache beaucoup d'importance au cérémonial et à la mise en scène accompagnant ses meurtres.
Nous avons trop souvent lu que Michael Myers n'était qu'une simple machine à tuer, impassible et illogique. En fait, ses actes sont ici conditionnés rigoureusement par son traumatisme. Ainsi, il frappe la nuit d'Halloween, se déguise (le costume et le masque de clown sont remplacés par une combinaison de garagiste et un masque de William Shatner), et semble reconstituer le meurtre de sa sœur quand il s'en prend à Lynda.
Pourtant, il est exact que Carpenter fait progresser ce style de personnage vers une plus grande abstraction. La géniale trouvaille du masque (qui rappelle SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN) et de la combinaison donne à Michael une allure anonyme, inexpressive et impersonnelle.
John Carpenter indique, à travers certains signes, que Michael est plus qu'un simple tueur. Il est aussi l'incarnation d'un destin funeste et implacable qu'affronte Laurie (le cours de philosophie, la chanson « Don't fear the reaper » (Ne crains pas la faucheuse) entendue sur un auto-radio). Mais c'est surtout l'indestructibilité de Michael, révélée progressivement au cours du métrage, qui le change en un être surnaturel, dont la présence fait basculer ce thriller dans le fantastique pur.
La plus grande réussite de Carpenter dans LA NUIT DES MASQUES est l'élégance et l'efficacité de sa réalisation, mise en évidence par la grande simplicité du récit. Ainsi, à la manière d'Orson Welles dans CITIZEN KANE, il multiplie les longs plans-séquences et évite soigneusement les coupures de montage superflues (les dialogues ne se font presque jamais en champs/contre-champs).
Pour ce faire, il recourt à des cadrages larges de cinéma, qui lui permettent de placer plusieurs personnages en leur laissant la possibilité de se mouvoir à leur aise. Il utilise aussi de magnifiques travellings latéraux accompagnant les personnages dans leurs déplacements sur les longs trottoirs d'Haddonfield. Les mouvements de caméra ne sont jamais inutilement brusques ou compliqués. Réguliers et implacables, ils n'interviennent que si l'action le réclame (déplacements des personnages dans un bâtiment, anticipation d'une sonnerie de téléphone qui va résonner, apparition d'un personnage à un endroit d'un bâtiment).
Le montage n'est utilisé qu'avec parcimonie. Pour accompagner très sobrement le déroulement de l'action d'une part ; pour créer un effet fantastique aussi simple que terriblement efficace d'autre part (les apparitions-disparitions de Michael Myers). Nous pourrions nous étonner qu'un réalisateur qui se dit influencé par Dario Argento, réalisateur alors baroque, propose une réalisation si sobre.
C'est oublier que Carpenter est aussi un admirateur des réalisateurs de westerns hollywoodiens comme Howard Hawks (RIO BRAVO), grand spécialiste de la mise en scène fluide et discrète. Ici, il s'inspire plus de ce style de cinéma que des réalisateurs d'horreur classiques. D'ailleurs, la fin de LA NUIT DES MASQUES évoque encore les fameuses séquences de siège que Carpenter réussit si bien (ASSAUT, FOG). Laurie est repoussée dans le dernier bastion (le placard) de son fort (la maison) par les indiens (Michael Myers) avant que la cavalerie (Sam Loomis) ne vienne la sauver in extremis !
Il faut évidemment mentionner la légendaire et inoubliable musique de John Carpenter lui-même pour LA NUIT DES MASQUES. Le thème d'ASSAUT était déjà une merveille de composition électronique, efficace et rigoureuse. Ici, il se surpasse en composant quelques thèmes hyper-accrocheurs et angoissants (Carpenter reconnaît l'influence de la musique répétitive de SUSPIRIA par le groupe Goblin).
Il écrit ces morceaux après les premières projections-test (sans musique) de LA NUIT DES MASQUES qui se révélèrent désastreuses. Mais, une fois sa musique incorporée à la bande-son, les réactions du public se sont avérées excellentes. La musique est particulièrement efficace après l'évasion de Michael Myers, alors qu'il ne se passe pas grand-chose à l'écran. La seule présence de ces compositions accompagnant un plan fixe d'une maison rend celui-ci terrifiant. Elles indiquent la présence dangereuse de Myers alors même qu'il n'est pas visible à l'écran et qu'il n'a pas encore commencé à sévir à Haddonfield.
Grâce à sa réalisation impeccable et efficace, LA NUIT DES MASQUES, premier film de la longue saga HALLOWEEN, est une grande réussite du cinéma d'épouvante des années soixante-dix. Au chapitre des petites réserves, regrettons que le traitement grossier des personnages adolescents, bien moins subtil que dans un CARRIE par exemple, semble découler d'une démarche commerciale et cynique qui va faire beaucoup d'émules dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
LA NUIT DES MASQUES connaît un énorme succès commercial, rapportant plus de 40 millions de dollars (sans compter les exploitations en vidéo et à la télévision). Cela reste le plus gros carton de son réalisateur encore aujourd'hui. Il déclenche une vague de slashers très rentables qui vont continuer à sévir tout au long de la décennie suivante, sous la forme de trop nombreuses suites : VENDREDI 13 de Sean S. Cunningham, bien sûr, LE BAL DE L'HORREUR, DOUCE NUIT, SANGLANTE NUIT de Charles E. Sellier Jr., LES GRIFFES DE LA NUIT de Wes Craven.
Même Norman Bates reprend du service avec PSYCHOSE 2 de Richard Franklin en 1983. LA NUIT DES MASQUES, sous l'impulsion de son producteur Moustapha Akkad, connaît plusieurs suites (aujourd'hui, nous attendons – avec beaucoup de patience – le treizième volet !), dans lesquelles Carpenter ne s'impliquera jamais en profondeur. A part pour HALLOWEEN II et HALLOWEEN III : LE SANG DU SORCIER dont il écrit les scénarios.