Header Critique : FRANKENSTEIN JUNIOR (YOUNG FRANKENSTEIN)

Critique du film
FRANKENSTEIN JUNIOR 1974

YOUNG FRANKENSTEIN 

Le docteur Frederick Frankenstein, spécialiste de la chirurgie cérébrale, hérite de la demeure et des biens de ses ancêtres. Il se rend en Transylvanie et découvre les travaux que menait son aïeul Victor...

Mel Brooks tourne son premier long métrage en 1968 avec LES PRODUCTEURS, une géniale satire de l'univers du show business qui lui vaut un Oscar du Meilleur Scénario Original. Deux ans après, LE MYSTÈRE DES DOUZE CHAISES, inspiré par un conte populaire russe, reçoit un accueil moins enthousiaste. Brooks attend alors trois ans pour tourner LE SHÉRIF EST EN PRISON, parodie de western. Son succès et celui de son film suivant, FRANKENSTEIN JUNIOR, font de lui un spécialiste du comique hollywoodien.

Le script de FRANKENSTEIN JUNIOR est rédigé par l'acteur Gene Wilder (déjà présent dans LES PRODUCTEURS et LE SHÉRIF EST EN PRISON), en hommage aux films d'horreur de la Universal qui l'ont impressionné dans son enfance. Il convainc Mel Brooks de réaliser FRANKENSTEIN JUNIOR et les deux hommes rédigent ensemble un scénario définitif.

La Columbia, premier studio intéressé par le projet, se montre réticente devant le budget nécessaire. En fin de compte, FRANKENSTEIN JUNIOR est produit par la 20th Century Fox. Le rôle du professeur Frankenstein est tenu par Gene Wilder, aux côtés duquel nous retrouvons Peter Boyle (OUTLAND), Madeline Kahn (LE SHÉRIF EST EN PRISON, CLUEDO) ou Marty Feldman (comique anglais devenant alors populaire aux USA : LE FRÈRE LE PLUS FUTÉ DE SHERLOCK HOLMES de Gene Wilder en 1975, LA DERNIÈRE FOLIE DE MEL BROOKS).

A la fin des années cinquante, la Hammer relance les mythes traditionnels de l'épouvante hollywoodienne. Cela s'accompagne du retour des parodies de films d'horreur dès la décennie suivante. Aux USA, des séries télévisées se moquent gentiment de l'horreur avec « LA FAMILLE ADDAMS » ou « LES MONSTRES » (toutes deux lancées en 1964). Au cinéma, Roman Polanski tourne en Grande-Bretagne LE BAL DES VAMPIRES qui rigole aux dépends de la Hammer. Si ce film devient avec le temps un des plus populaires de son réalisateur, ce n'est pourtant pas un succès à sa sortie en 1967.

Puis Antonio Margheriti réalise, avec l'aide des New-Yorkais avant-gardistes Andy Warhol et Paul Morrissey, CHAIR POUR FRANKENSTEIN en 1974 et DU SANG POUR DRACULA en 1975, tous deux avec Udo Kier. Ces deux œuvres jouent sur la surenchère d'érotisme, de gore et de très mauvais goût. Il est difficile d'y faire la part entre la comédie et l'épouvante. Une chose est sûre : nous sommes loin des lectures rigoureuse des mythes fantastiques de l'Universal des années 1930-1940 ou de la Hammer des années 1950-1960 !

De même, la comédie musicale « The Rocky Horror Show » commence à parodier le mythe de Frankenstein à Londres dès 1973. Elle sera portée au cinéma avec THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW de Jim Sharman, qui deviendra avec les années le plus fameux des films-cultes. Citons encore le merveilleux PHANTOM OF THE PARADISE sorti à la Toussaint 1974, splendide adaptation du roman de Gaston Leroux « Le fantôme de l'opéra », rehaussée par Brian De Palma d'une esthétique baroque typique des années soixante-dix et de belles chansons pops de Paul Williams. C'est dans ce contexte que s'inscrivent la conception et la sortie de FRANKENSTEIN JUNIOR.

Gene Wilder veut y rendre hommage aux classiques tournés par la Universal dans les années 1930-1940. Il ne  porte pas son attention sur le contenu des films de la Hammer comme FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! et LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN. Il avoue que ses influences principales sont FRANKENSTEIN et LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN, réalisés par James Whale, et interprétés par Boris Karloff (le Monstre) et Colin Clive (le savant).

Des éléments renvoient aussi au troisième film du cycle Universal : LE FILS DE FRANKENSTEIN de Rowland V. Lee, avec Karloff et Basil Rathbone. Wolf Frankenstein, le descendant du professeur Frankenstein, y héritait du manoir familial et retrouvait l'inquiétant serviteur Ygor. Les paysans du village étaient inquiets à l'idée de voir les expériences reprendre. Ce point de départ est très proche de celui de FRANKENSTEIN JUNIOR et, de plus, Gene Wilder adopte délibérément l'aspect de Rathbone dans ce film. Le transfert de cerveau vu à la fin de FRANKENSTEIN JUNIOR évoque LE SPECTRE DE FRANKENSTEIN d'Erle C. Kenton, quatrième titre de la saga Universal.

Le film de Mel Brooks impressionne par son rendu fidèle de l'atmosphère si particulière des œuvres d'horreur de la compagnie Universal. Évidemment, l'image est en noir et blanc. Ce qui entraîne des difficultés techniques (les laboratoires de Hollywood ne développent alors pratiquement plus que des films en couleurs) et un certain mécontentement chez la 20th Century Fox qui juge ce choix commercialement risqué. Surtout, la photographie de Gerard Hirschfeld (NEW YORK NE RÉPOND PLUS, MORTS SUSPECTES) restitue incroyablement bien le mélange de raffinement décoratif hollywoodien et d'éclairages expressionnistes hérités du cinéma allemand des années vingt qui constituent l'éblouissante singularité de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN.

Les décors sont eux aussi rendus de façon convaincante : petite ville mitteleuropa et cimetière lugubre comme dans FRANKENSTEIN, forêt embrumée héritée du LOUP-GAROU de George Waggner... Le laboratoire du docteur Frankenstein est fidèlement restitué, notamment grâce au prêt des fabuleux équipements électriques de FRANKENSTEIN et LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN, soigneusement conservés par Kenneth Strickfaden, leur concepteur.

Si FRANKENSTEIN JUNIOR est bien une comédie fantastique et multiplie les références aux œuvres de la Universal, il est aussi pourvu d'un très solide récit. Tout en s'inscrivant dans la lignée des œuvres précédentes inspirées par le roman « Frankenstein », il enrichit leur thématique. Il s'agit plus d'un intéressant pastiche que d'une parodie tournant en ridicule les péripéties de « Frankenstein ».

Le personnage de Frederick Frankenstein suit une progression intéressante. Au début du métrage, il enseigne dans une université moderne, refuse qu'on lui rappelle sa trouble ascendance et va jusqu'à changer son nom pour occulter ses origines. Mais au cours de son voyage en Transylvanie, laquelle a gardé son aspect intemporel de FRANKENSTEIN, il finit par accepter son identité et poursuit avec succès les travaux de son ancêtre, au mépris des conceptions bourgeoises et prudentes de la science.

Ainsi, Frankenstein-Gene Wilder parcourt le trajet qui sépare le Frankenstein-Colin Clive de la Universal, rongé par les remords et la culpabilité, et le Frankenstein-Peter Cushing de la Hammer, calme et sûr de son bon droit. Ce nouveau Frankenstein sait aussi faire preuve de compassion envers sa Créature (contrairement au savant de la Universal, qui la renie, et à celui de la Hammer qui ne la considère que comme un cobaye de laboratoire). Il va jusqu'à se livrer à une expérience dangereuse pour donner à son Monstre la possibilité de mener une vie acceptable. Ainsi, la Créature et son créateur sont enfin réconciliés, tandis que les préjugés étroits sont vaincus dans un Happy End jamais osé auparavant dans le cadre du mythe de Frankenstein. Gene Wilder, possédé par son rôle, à la fois drôle et touchant, trace de manière brillante l'itinéraire inédit de ce savant fou.

Le Monstre, de son côté, est présenté de manière fort respectueuse. Jamais FRANKENSTEIN JUNIOR ne le tourne méchamment en dérision. Au contraire, retenant la leçon humaniste de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN, il en fait un personnage maladroit et émouvant. Comme le Monstre-Karloff tentait de saisir les rayons de lumière venant d'une fenêtre dans FRANKENSTEIN, la Créature-Peter Boyle essaie d'attraper les notes de musique s'envolant d'un violon.

Montré dans un music-hall, couvert de chaînes comme le KING KONG de Schoedsack et Cooper, il est persécuté par ses geôliers et traqué comme une pauvre bête à la manière du FRANKENSTEIN des origines. C'est donc le portrait digne, fidèle aux caractères pathétiques des Monstres de la Universal que nous proposent Mel Brooks et Gene Wilder. Toutefois, et contrairement aux classiques de l'âge d'or, cette Créature ne tue jamais, ce qui lui permet de ne pas périr dans une fin de film expiatoire telle que celles de FRANKENSTEIN ou de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN.

FRANKENSTEIN JUNIOR est néanmoins avant tout une comédie, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose pour un film d'épouvante. Même LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN et L'HOMME INVISIBLE du grand James Whale contiennent des scènes d'humour. Ygor interprété par un hallucinant Marty Feldman, rebondissant en permanence sur les attitudes et les dialogues de ses partenaires, apporte la plus grande charge comique. Les gags hésitent entre des jeux de mots (souvent intraduisibles, comme le rapprochement entre les heurtoirs d'une porte (knockers) et les seins d'Inga) et, parfois, de la vulgarité, néanmoins plutôt retenue pour un film de Mel Brooks.

Certaines scènes classiques du cinéma fantastique sont habilement parodiées : la présentation de KING KONG au public devient un numéro de claquettes, l'inspecteur Krogh interprété par Lionel Atwill dans LE FILS DE FRANKENSTEIN est savoureusement parodié par Kenneth Mars. Surtout la bouleversante séquence de l'aveugle de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN est détournée en une scène particulièrement drôle au cours de laquelle le brave ermite (pour lequel Gene Hackman fait une petite apparition) rend insupportable ses bonnes intentions par ses maladresses chroniques.

Pourtant, certains éléments comiques et jeux de mots tombent un peu à plat (la séquence de la petite fille). Et comme souvent chez Mel Brooks, nous sourions plus que nous ne rions aux éclats. De même, le film ralentit un peu dans sa seconde moitié.

Néanmoins, grâce à son remarquable script, FRANKENSTEIN JUNIOR reste un bon film, un hommage touchant et réussi à l'âge d'or du cinéma fantastique de Hollywood, parvenant à apporter un regard neuf et intéressant sur la mythologie du docteur Frankenstein. Sorti pour les fêtes de Noël 1974, il connaît un énorme succès, confirmant le triomphe du SHÉRIF EST EN PRISON distribué en février de la même année. Mel Brooks devient donc un spécialiste du pastiche et de la parodie (Hitchcock est tourné en dérision dans LE GRAND FRISSON, le Space Opera en prend pour son grade avec LA FOLLE HISTOIRE DE L'ESPACE).

Le filon se tarit avec le temps. Lorsque Mel Brooks revient à la parodie de film d'épouvante avec DRACULA, MORT ET HEUREUX DE L'ÊTRE en 1995, l'accueil est très mitigé. Il s'agit pourtant d'une relecture intéressante et assez respectueuse de « Dracula », méritant le coup d’œil

Gene Wilder, de son côté, va aussi réaliser divers pastiches (LE FRÈRE LE PLUS FUTÉ DE SHERLOCK HOLMES) et proposera une nouvelle comédie horrifique avec NUIT DE NOCES CHEZ LES FANTÔMES en 1986 : il s'agit en fait d'une parodie, assez ratée hélas, des thrillers gothiques classiques des années 1920-30, dans la tradition de LA VOLONTÉ DU MORT et d'UNE SOIRÉE ÉTRANGE.

Le succès de FRANKENSTEIN JUNIOR déclenche quant à lui une vague de comédies d'horreur dans le monde entier, et notamment en Europe avec PLUS MOCHE QUE FRANKENSTEIN, TU MEURS interprété par Aldo Maccione, DRACULA PÈRE ET FILS avec Bernard Menez et Christopher Lee ou LES CHARLOTS CONTRE DRACULA.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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