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Critique du film
PHANTOM OF THE PARADISE 1974

 

Brian De Palma connaît un beau succès international avec SŒURS DE SANG en 1973, mélange de suspense et d'épouvante. Il persévère dans ces deux voies durant les années soixante-dix. Avec des moyens plus confortables que pour SŒURS DE SANG, De Palma choisit de tourner aussitôt après un de ses scénarios, mêlant fantastique et comédie musicale : PHANTOM OF THE PARADISE.

Pour ce faire, il s'associe au chanteur-acteur Paul Williams, qui collaborera ensuite à d'autres œuvres musicales comme BUGSY MALONE. Pour PHANTOM OF THE PARADISE, il compose la bande originale et incarne le démoniaque Swan. La belle Phœnix est interprétée par Jessica Harper, qui tient ici son premier rôle au cinéma. Cette apparition et son interprétation de Suzy Banner dans SUSPIRIA en font une actrice chère au cœur des amateurs de cinéma fantastique, bien que sa carrière s'essouffle par la suite. Le fantôme est interprété par William Finley. Ami de longue date avec De Palma, il tient déjà un rôle important dans SŒURS DE SANG. Nous le revoyons ensuite dans des films fantastiques connus (LE CROCODILE DE LA MORT et MASSACRES DANS LE TRAIN FANTÔME de Tobe Hooper), mais sa carrière au cinéma a vite périclité. Beef, le chanteur de rock, est interprété par Gerrit Graham, autre vieil ami de De Palma, resté actif sur le grand écran par la suite (GÉNÉRATION PROTÉUS, CHUCKY, LA POUPÉE DE SANG).

Swan, magnat du disque rock, projette l'ouverture de sa propre salle de spectacle, le "Paradise". Il désespère de trouver une musique digne de cette inauguration. Il repère le travail de Winslow Leach, petit compositeur rédigeant une cantate pop. Swan vole sa musique et refuse de reconnaître que Winslow en est l'auteur. Il s'arrange même pour le faire envoyer en prison. Le musicien floué s'échappe et tente de détruire l'usine de disques de Swan. Le sabotage tourne mal. Leach est accidentellement défiguré et devient aphone. Considéré comme mort par tous, il se rend au Paradise, prêt à être ouvert. Il sabote les répétitions et terrorise les musiciens.

Vêtu d'un combinaison en cuir noir, d'une longue cape et portant un masque d'oiseau, il devient le Fantôme du "Paradise". Swan trouve un accord avec lui : il accepte de faire jouer la musique de Winslow conformément à ses souhaits, en la faisant chanter par Phœnix dont le compositeur maudit admire le talent et la beauté. Pour sceller ce pacte, Swan fait signer à Leach un contrat avec son sang. Swan compte duper le Fantôme...

PHANTOM OF THE PARADISE mêle trois grands mythes classiques du fantastique. Le Fantôme de l'Opéra est le plus sollicité, que ce soit le roman original de Gaston Leroux ou ses adaptations cinématographiques les plus célèbres, comme LE FANTÔME DE L'OPÉRA avec Lon Chaney. De Palma emprunte aussi des éléments au FANTÔME DE L'OPÉRA de Terence Fisher (production Hammer de 1962), duquel provient l'épisode du vol de la partition et l'idée de la vengeance du compositeur.

Le personnage de Swan se trouve à la croisée de deux mythes. Il s'inspire du roman « Le portrait de Dorian Gray » d'Oscar Wilde. Son apparence ne subit pas les affres du vieillissement ni ne reflète la laideur de son âme corrompue. Ils n'apparaissent que sur son portrait (en l'occurrence des images vidéos enregistrées par des caméras qui le filment en permanence).

Swan a obtenu cette faveur, ainsi que l'immortalité, suite à un pacte signé avec le Diable : un pacte faustien, bien sûr ! Quand à Phœnix et Winslow Leach, ils vont aussi vendre leur âme au Diable (ou plutôt à un de ses sbires) pour connaître la célébrité. D'autres éléments classiques du film d'épouvante sont repris. Le numéro de Beef rend hommage à la naissance du Monstre dans FRANKENSTEIN de James Whale. La demeure de Swan a tout du manoir des films d'épouvante gothique.

Toutefois, lorsque PHANTOM OF THE PARADISE est conçu, il n'est plus question d'adapter classiquement les grands mythes de l'horreur. L'époque des films gothiques orthodoxes de la Hammer est révolue. Les nouveaux films d'épouvante plongent dans la réalité contemporaine et la violence graphique, comme ROSEMARY'S BABY de Roman Polanski, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero ou L'EXORCISTE de William Friedkin. Sorti un mois avant PHANTOM OF THE PARADISE, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE synthétise ces idées. La réalité de l'Amérique des années soixante-dix est autrement plus angoissante que Dracula et le professeur Frankenstein.

Dès lors, les oripeaux du gothisme sont rangés au placard, ou alors servis sur le mode de la parodie (LE BAL DES VAMPIRES de Polanski, mais  aussi FRANKENSTEIN JUNIOR de Mel Brooks, qui arrive sur les écrans deux mois après PHANTOM OF THE PARADISE). De Palma parvient à un mélange équilibré entre un cadre contemporain (le milieu de la pop musique) et l'illustration de mythologies fantastiques identifiables. Ces mythes sont parfois traités avec une distance, mais leur universalité et leur richesse sont bien mises en valeur.

Ainsi, la légende Frankenstein est illustrée par un spectacle musical, mais elle renvoie aussi à la création de la pop star Beef, inventée de toutes pièces, comme un Monstre, par son producteur Swan. Les orgues de Lon Chaney dans LE FANTÔME DE L'OPÉRA version 1925 sont remplacées par un studio tapissé de claviers électroniques et de synthétiseurs. L'amour malheureux de Winslow Leach pour Phœnix n'est pas moins touchant que celui d'Erik pour Christine.

Le milieu de l'opéra cède ici la place à celui de la pop music du début des années soixante-dix. Swan est l'incarnation des managers et des éminences grises qu'on trouve derrière les grandes célébrités du rock. Nous pensons à Brian Epstein pour les Beatles ou au colonel Parker pour Elvis. Ou encore à Allen Klein, manager des Rolling Stones qui avait réussi à leur voler contractuellement les droits de leurs albums des années soixante. En présentant le service d'ordre de Death Records comme une bande de bikers brutaux, PHANTOM OF THE PARADISE renvoie à nouveau aux Rolling Stones, qui ont engagé en 1969 des membres des Hell's Angels pour assurer la sécurité à un de leur concert géant près de San Francisco. Concert qui dégénéra en diverses bagarres, un spectateur étant poignardé par un de ces motards.

Surtout, le personnage de Beef est la synthèse de nombreuses rock stars excentriques de l'époque : David Bowie, Freddie Mercury, Alice Cooper, Ozzy Osbourne, Jimi Hendrix, Screaming Jay Hawkins... Sa mort spectaculaire sur scène est une révélation pour Swan. Il comprend que ce genre de scandales violents et tragiques est partie intégrante du show et que les spectateurs en raffolent. Nous pensons bien sûr aux décès prématurés de vedettes comme Hendrix, Brian Jones, Jim Morrison ou Janis Joplin. Bref, à autant de moments sanglants avec lesquels s'est écrite la légende du rock'n roll.

Brian De Palma signe une réalisation foisonnante, d'une richesse étonnante. Son style n'est pas encore autant cristallisé que dans des œuvres à venir comme CARRIE ou PULSIONS. Toutes les expérimentations sont encore permises. Certains de ses procédés les plus célèbres sont déjà présents : travelling circulaire panoramique à 360 degrés, split-screen (déjà employé dans le documentaire DYONISUS et dans SŒURS DE SANG)...

Certaines astuces sont plutôt contemporaines (objectif à très courte focale, le split-screen...), mais d'autres images, définitivement rétros, évoquent le cinéma classique hollywoodien de l'entre-deux guerres (les unes des journaux, les incrustations de Phœnix quand Leach rédige sa cantate, les poursuites burlesques en accéléré).

Les compositions musicales, elles aussi, concilient avec habileté un classicisme sciemment désuet et une modernité tapageuse. Les chansons s'inspirent du Music Hall, de la musique classique, de ballades romantiques, du Glam Rock, de la Surf Music... Comme le film, cette superbe bande-originale est un patchwork multipliant les emprunts à des éléments épars de la culture populaire du XXème siècle, formant un tout original, riche, inspiré et enthousiasmant.

Rencontre-choc entre la modernité de son époque et les classicismes l'ayant précédée, PHANTOM OF THE PARADISE reste un film fantastique unique, la plus belle réussite de son réalisateur, tout en étant relativement isolé dans son œuvre. A sa sortie, ce n'est pas un succès public aux USA. En France, il décroche le Grand Prix du troisième Festival du Film Fantastique d'Avoriaz. Avec les années, il finit par conquérir un public de plus en plus large, dans des séances pour fans, notamment en Grande-Bretagne ou en France.

Il est souvent rapproché de THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW, autre excellente comédie musicale à caractère horrifique, qui connaît un sort semblable (passé inaperçu à sa sortie en 1975, il finit par conquérir un public d'inconditionnels). Toutefois, PHANTOM OF THE PARADISE est plus fin, plus romantique et plus effrayant que son concurrent, qui joue à fond la carte de la parodie bouffonne. Le film de De Palma est resté cher aux amateurs de cinéma fantastique comme un chef-d’œuvre indémodable.

Sortis sur les écrans sur une période d'une petite année, la trilogie informelle PHANTOM OF THE PARADISE, FRANKENSTEIN JUNIOR et THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW constitue un enterrement de luxe pour le cinéma gothique qui s'éteint alors, laissant la place à une nouvelle vague de réalisateurs et de films.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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