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Critique du film
COLOR OUT OF SPACE 2019

 

En 1989, HARDWARE, premier film du Sud-Africain Richard Stanley, paraît prometteur. La carrière du metteur en scène décolle doucement avec l'insolite LE SOUFFLE DU DÉMON, son second métrage. Il se retrouve en 1995 aux manettes d'une nouvelle version de L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU, gros projet avec Marlon Brando et Val Kilmer. Il est renvoyé au bout de quelques jours et remplacé par le vétéran John Frankenheimer.

Richard Stanley se fait alors discret, signant des documentaires confidentiels sur des sujets ésotériques comme le Vaudou ou la fascination des Nazis pour la quête du Graal. Après divers courts-métrages, parfois insérés dans des anthologies comme THE THEATRE BIZARRE, il refait surface avec COLOR OUT OF SPACE en 2019, son premier long-métrage de fiction depuis LE SOUFFLE DU DÉMON vingt-sept ans auparavant ! Tourné au Portugal, cette adaptation de la nouvelle « La couleur tombée du ciel » de H.P. Lovecraft met en vedette Nicolas Cage. Au cours des années 2010, ce dernier s'est orienté vers de nombreuses séries B, souvent fantastiques, exploitant ses excentricités d'acteur. A ses côtés, nous retrouvons Joely Richardson (DROWNING BY NUMBERS de Peter Greenaway, EVENT HORIZON).

Homme dans la force de l'âge, Nathan Gardner a repris la ferme de son père en Nouvelle-Angleterre, avec le projet saugrenu d'y élever des alpagas. Dans ce lieu retiré, il vit une existence tranquille en compagnie de son épouse Theresa et de leurs trois enfants : le petit Jack fasciné par les dinosaures, Benny le passionné d'astronomie et Laviana férue de sorcellerie. Leur vie bascule lorsqu'un astéroïde s'écrase dans leur jardin, à quelques mètres du puits. D'insolites raies de lumière émanent de cet étrange aérolithe...

« La couleur tombée du ciel »  est le second écrit de Lovecraft adapté au cinéma sous les auspices du studio AIP, après « L'affaire Charles Dexter Ward » (LA MALÉDICTION D'ARKHAM en 1963) et avant « L'abomination de Dunwich » (THE DUNWICH HORROR de 1970). En effet, « La couleur tombée du ciel » est transposée par Daniel Haller sous le titre sensationnaliste DIE, MONSTER, DIE ! en 1965. Avec Boris Karloff en vedette, ce métrage est peu convaincant, oscillant entre SF atomique et reliquats gothiques.

En 1982, l'anthologie CREEPSHOW de George Romero adresse un coup de chapeau officieux à la même nouvelle, avec un sketch écrit et interprété par Stephen King. Il incarne un paysan simplet voyant un météore s'abattre près de sa ferme et provoquant des conséquences funestes. Le succès de RE-ANIMATOR en 1985 donne un petit coup de fouet à la popularité de Lovecraft au cinéma. Apparaît donc dans sa foulée LA MALÉDICTION CÉLESTE de 1987, intéressante et relativement fidèle adaptation de « La couleur tombée du ciel », réalisée par l'acteur David Keith, produit par Lucio Fulci et mettant en vedette Will Wheaton, le jeune acteur de STAND BY ME.

Depuis les années 2000, de nombreux courts-métrages adaptant Lovecraft sont réalisés par des passionnés. Le phénomène s'amplifie à partir de 2007, lorsque ses écrits tombent dans le domaine public. Ce qui donne lieu à une abondante production lovecraftienne, synonyme le plus souvent d'amateurisme et de diffusion confidentielle. « La couleur tombée du ciel » se voit ainsi transposée sous la forme de micro-productions comme COLOUR FROM THE DARK du persévérant Ivan Zuccon en 2008, puis DIE FARBE de Huan Vu en 2010. COLOR OUT OF SPACE est la première adaptation de ce texte depuis 1987 à être largement distribuée.

La nouvelle « La couleur tombée du ciel » se déroule dans les années 1920, c'est-à-dire l'époque de sa rédaction par Lovecraft. Elle met en scène une famille de paysans très simples, des fermiers décrits comme descendants directs des puritains ayant colonisé la région au XVIIème siècle. La famille de Nahum le paysan, des personnes rustiques et pieuses, se prend alors un gros morceau d'horreur cosmique dans son jardin, sous la forme d'un météore irradiant qui leur inflige une brutale dégénérescence physique et mentale.

Chez Richard Stanley, la famille est différente. Il s'agit de gens aisés, venant manifestement de la ville. Nathan est un artiste et un entrepreneur original, tandis que son épouse travaille à distance dans la finance. Leur installation dans la ferme paraît un changement de vie idéaliste et un peu hippie. Ce côté hippie se trouve renforcé par la présence d'un ermite vivant aux alentours, un vieux baba-cool gros consommateur de marijuana, interprété par Thomas Chong du tandem comique enfumé Cheech & Chong !

Ces références à la contre-culture des années soixante ne sont pas innocentes. Richard Stanley s'inspire de visions hallucinogènes pour retranscrire les manifestations de la Couleur extraterrestre. Entre ces influences « stupéfiantes » et des effets optiques recherchés sur les couleurs et les reflets de lumières, il aligne des visions étonnantes et abondantes. Ce mélange d'un psychédélisme coloré et de l'indicible horreur lovecraftienne aboutit à une imagerie originale, soutenue par la musique fascinante de Colin Stetson. Cela assure la réussite cinématographique indéniable de COLOR OUT OF SPACE. Les scènes au cours desquelles la couleur elle-même attaque ses victimes s'avèrent des moments uniques et forts, soulignant l'invention singulière du métrage.

COLOR OUT OF SPACE reprend à son compte l'horreur cosmique chère à Lovecraft. À savoir une épouvante trouvant sa source dans la science-fiction et l'astronomie. La « Couleur » est une entité nettement extraterrestre. Des plantes étranges font leur apparition. Les animaux se transforment monstrueusement, comme ce chat rejoignant la description très lovecraftienne d'un animal littéralement « retourné ». La faune et la flore de COLOR OUT OF SPACE évoquent une nature en mutation, comme on la trouve dans des zones irradiées telles que Hiroshima ou Tchernobyl.

Ces mutations ne sont pas que physiques. Le comportement des animaux et des humains se trouve aussi altéré par le proximité de la couleur vivant dans le puits de la ferme. Ainsi, COLOR OUT OF SPACE explore la hantise de la folie, thème profondément lovecraftien.

Les deux parents de l'écrivain ont connu des hospitalisations pour des raisons de santé mentale, ce qui l'a évidemment fortement marqué. L'angoisse et le désespoir de voir ses proches sombrer dans la démence tient un rôle important dans la nouvelle « La couleur tombée du ciel ». Le fermier Nahum constate impuissant que les membres de sa famille perdent la raison les uns après les autres. Il doit se résoudre à les enfermer dans le grenier de sa maison, laquelle résonne alors de leurs cris déments.

Quant à la peur de perdre soi-même la raison et l'incertitude de son propre équilibre psychique, elles découlent de cette même appréhension de la folie.

Elles sont aussi la conséquence de l'horreur cosmique évoquée plus haut. Alors que dans la vision classique et monothéiste des choses, l'humanité est mise au centre de la création, les connaissances croissantes de l'astronomie la renvoient à une place marginale, minuscule rapportée aux dimensions spatiales et temporelles de l'univers. La civilisation humaine se croyait tout : elle découvre qu'elle n'est rien. Elle se trouve alors confrontée au terrible vertige métaphysique de ce constat.

Dans le texte, nous trouvons encore l'idée d'une décadence effrayante, thème là-aussi typiquement lovecraftien. Décadence de la société des premiers colons puritains arrivés en Amérique du Nord, illustrée par cette famille de fermiers qui connaît un déclin accéléré sous l'influence du météore. Déclin que Lovecraft se plaît à illustrer en détails.

Dans COLOR OUT OF SPACE, nous retrouvons ces idées, comme les personnages affichant des comportements de plus en plus saugrenus, hystériques, voire dangereux lorsque par exemple Theresa tranche ses propres doigts.

Le rôle de Nathan donne alors à Nicolas Cage l'opportunité de dispenser quelques uns de ses fameux pétages de plombs et autres roulements d'yeux hallucinés dont il s'est fait une spécialité. Hélas, de façon contre-productive. Le comédien nous rappelle parfois trop que nous regardons un film « avec Nicolas Cage ». Cela brise l'immersion et c'est d'autant plus dommage qu'il est entouré d'une troupe de comédiens homogène et compétente.

L'horreur n'est pas que psychologique, elle est aussi sanglante, visuelle, avec des effets spéciaux monstrueux réussis, exposant des mutations spectaculaires pour lesquelles Richard Stanley se rappelle de THE THING, grand métrage lovecraftien officieux, et en particulier de sa scène du chenil.

A côté de la réussite formelle de COLOR OUT OF SPACE, il reste quand même une sensation d'étirement, le texte original se trouvant rallongé, le dénouement générant une impression de répétition dans ses péripéties, ou abusant un peu trop du numéro démentiel de Nicolas Cage.

Si son écriture et sa longueur appellent quelques reproches, COLOR OUT OF SPACE reste une adaptation personnelle et originale de « La couleur tombée du ciel », la transposition la plus réussie à ce jour de ce texte. Il déploie une imagerie gore renvoyant aux grands noms des effets spéciaux des années quatre-vingt, et la rehausse d'une direction artistique et d'une photographie travaillées, générant ainsi une atmosphère singulière.

A sa sortie, COLOR OUT OF SPACE connaît un accueil critique favorable, même s'il ne sort pas en salles en France. Richard Stanley annonce alors préparer deux autres adaptations de Lovecraft. Mais en 2021, Scarlett Amaris, co-scénariste du film et ancienne compagne du metteur en scène, déclare avoir subi des violences physiques répétées de sa part durant leur relation. La compagnie Spectrevision qui a produit COLOR OUT OF SPACE se désolidarise alors du réalisateur, dont les projets cinématographiques retombent au point mort.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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