Header Critique : MONSTRE EST VIVANT, LE (IT'S ALIVE)

Critique du film
LE MONSTRE EST VIVANT 1974

IT'S ALIVE 

Lenore Davis accouche à l'hôpital d'un bébé monstrueux qui tue ses médecins et s'enfuit dans la nature. Le père, Frank Davis, aide la police à traquer ce monstre...

Avant de tourner son premier film d'horreur LE MONSTRE EST VIVANT, Larry Cohen vient de diriger coup sur coup deux succès en 1973, avec BLACK CAESAR, LE PARRAIN DE HARLEM et sa suite CASSE SUR LA VILLE. Il s'agit de deux œuvres de Blaxpoitation, mettant en scène des héros noirs. Cette vague a été lancée en 1971 avec SWEET SWEETBACK BAADASSSSS SONG de Melvin Van Peebles et LES NUITS ROUGES DE HARLEM de Gordon Parks.

Larry Cohen réalise donc ensuite ce film d'horreur dont il écrit lui-même le scénario. Le rôle principal est tenu par John P. Ryan, acteur plutôt habitué aux seconds rôles. Les effets spéciaux sont de Rick Baker, jeune maquilleur qui vient de travailler sur les précédents films de Cohen et sur le James Bond VIVRE ET LAISSER MOURIR. Il devient plus tard une star des effets spéciaux avec des titres comme LE LOUP-GAROU DE LONDRES de John Landis ou  GREYSTOKE : LA LÉGENDE DE TARZAN de Hugh Hudson.

Tout au long de sa carrière, Larry Cohen se trouve considéré comme l'archétype du cinéaste américain indépendant. Ainsi, il est producteur et scénariste de presque toutes ses œuvres, notamment avec sa compagnie Larco, depuis son premier long-métrage BONE en 1972. Obsédé par son autonomie artistique, il préfère se contenter de budgets modestes et ne pas avoir à supporter les directives d'un grand studio. Ainsi, il garantit sa liberté d'expression politique. Ses films, rattachés à des genres très codifiés, contiennent en effet des réflexions sociales fortes, des situations pessimistes et des remises en cause du mode de vie américain.

Ainsi, BONE est une comédie très sombre sur la désintégration d'un couple bourgeois. THE PRIVATE FILES OF EDGAR J. HOOVER de 1976 raconte les manigances d'un directeur du FBI manipulant les hommes politiques. Dans MEURTRES SOUS CONTRÔLE, un extraterrestre malveillant se fait passer pour Dieu... Les scénarios que Cohen écrit pour les autres ont aussi des arrière-pensées politiques. MANIAC COP de William Lustig, avec son assassin policier et ultra-violent, BODY SNATCHERS d'Abel Ferrara, avec ses extra-terrestres conformistes qui envahissent une base de l'armée américaine...

LE MONSTRE EST VIVANT contient lui aussi un message politique et social. Lenore Davis accouche d'un enfant hideux et dangereux, à cause de la consommation d'un médicament distribué par un grand laboratoire scientifique qui a contourné les contrôles officiels. Des savants cherchent à détruire le bébé-monstre afin d'effacer les traces de leurs erreurs. Larry Cohen s'inspire vraisemblablement du scandale du thalidomide, médicament responsable de nombreuses difformités d'enfants à la naissance, ce qui donna lieu à un scandale mondial retentissant dans les années soixante.

Le titre anglais ("It's alive !" : "Il est vivant !") renvoie au cri triomphal que pousse le Baron FRANKENSTEIN lorsqu'il donne vie à sa créature dans le film de James Whale. Certains dialogues du MONSTRE EST VIVANT font aussi nettement référence à cette œuvre.

Larry Cohen met en garde contre les scientifiques apprenti-sorciers qui, alliés à la puissance économique des grands groupes industriels, influent gravement et impunément sur le devenir de l'humanité. Il s'inscrit dans la tradition alors vivace de la science-fiction politique et pessimiste, d'œuvres comme LA PLANÈTE DES SINGES de Franklin J. Schaffner et ses suites, SOLEIL VERT ou ROLLERBALL. Son mélange d'horreur et de vie quotidienne contemporaine, ainsi que sa vision horrifique de la grossesse et des enfants, évoquent de gros succès récents du film d'épouvante, comme ROSEMARY'S BABY dans lequel Mia Farrow accouche d'un enfant monstrueux, et L'EXORCISTE avec sa petite possédée.

LE MONSTRE EST VIVANT met aussi en scène des personnages émouvants. Au début du métrage, le bébé paraît au spectateur comme à son père un monstre répugnant qu'il faut abattre. Mais à mesure que le film progresse, les points de vue changent. Frank prend l'enfant en pitié, se réconcilie avec sa femme et son autre fils autour de ce nouveau venu. Certes, le bébé se comporte comme un être brutal. Mais c'est par peur et ignorance qu'il agit ainsi.

Dans les bras de son père ou de sa mère, il devient un enfant comme les autres. À force de patience et de compréhension, il grandira comme un être humain normal. Toutefois, la société a d'autres intérêts et suite au battage des médias et à la corruption des chercheurs et des policiers, le bébé court de graves dangers. Cette perception de ce monstre-enfant, à la fois horrible et touchant, dangereux et victime de la science, rappelle encore la créature de FRANKENSTEIN.

Tourné, pour un budget limité, LE MONSTRE EST VIVANT s'illustre par la sobriété de sa réalisation. Celle-ci, précise et neutre, ne donne jamais dans les travellings démonstratifs ou les effets de virtuosité. Avec quelques astuces simples (objectif déformant dans les couloirs de l'hôpital, ou restituant en caméra subjective le point de vue de la créature), Larry Cohen rend son atmosphère inquiétante, aidé aussi, il faut bien le dire, par une musique géniale de Bernard Herrmann.

Néanmoins, la première moitié du métrage, privilégiant la froideur et la suggestion de l'horreur, est un peu lente et ennuyeuse. Les effets spéciaux se montrent inégaux. Si le bébé est parfois très réussi (à la fin), d'autres plans, au début du métrage, sont plus maladroits. LE MONSTRE EST VIVANT convainc mieux dans sa seconde partie, plus émouvante, grâce à l'interprétation très touchante de John P. Ryan et aussi grâce à son excellent final, avec ses poursuites inquiétantes dans les no man's lands industriels d'une grande ville américaine. Son dénouement dans les égouts de Los Angeles renvoie immanquablement au classique DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE dans lequel l'armée chassait les fourmis géantes qui s'y étaient cachées.

LE MONSTRE EST VIVANT est donc une solide petite production, à la fois intelligente et attachante. Mêlant habilement horreur et science-fiction, elle annonce entre autres les premières œuvres de David Cronenberg. LE MONSTRE EST VIVANT connaît un très gros succès commercial aux USA, alors qu'il a coûté très peu d'argent. Larry Cohen lui donne donc deux suites : le réussi LES MONSTRES SONT TOUJOURS VIVANTS et, tardivement, le passable LA VENGEANCE DES MONSTRES. En pleine frénésie des remakes, dans les années 2000, nous voyons apparaître un nouveau LE MONSTRE EST VIVANT, de Josef Rusnak, qui ne marque pas les mémoires.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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