La carrière de James Gunn s’ouvre sous les auspices sanguinolents de Troma, le jeune homme commençant en effet comme collaborateur de Lloyd Kaufman, en particulier sur la création de TROMEO & JULIET en 1996. Fort de cette expérience auprès du parrain du Gore new yorkais, il s’oriente vers une carrière de scénariste hollywoodien, collaborant à l'écriture de L'ARMEE DES MORTS et de la version live de SCOOBY-DOO au tournant des années 2000.
Il passe à la réalisation avec le film d'horreur HORRIBILIS en 2006, métrage gore assez à part des courants alors à la mode dans le fantastique. Riche en mutations peu ragoutantes, HORRIBILIS ne connaît qu'un succès d'estime. James Gunn se rabat ensuite sur SUPER, comédie trash rapportant les exploits peu glorieux d'une bande de bras cassés se prenant pour des super-héros. Sorti la même année que KICK-ASS au concept proche, SUPER s'avère une très grande réussite, radicale dans son humour noir et son ton désespéré. Il est pour nous le plus réussi des films de James Gunn à ce jour.
En 2008, les studios de production Marvel, pari fou lancé par l'éditeur de Comics, sortent IRON MAN. Grand succès, il annonce l’omniprésence à venir de cette maison sur les grands écrans. Leur politique osée consiste notamment à ne pas recourir à des réalisateurs spécialisés dans le cinéma d'action ou déjà très reconnus. Ils s’adressent plutôt à des metteurs en scène capables, mais n'ayant pas encore connu de succès décisifs, ou même d'opportunité de travailler sur des gros films commerciaux.
Ainsi, les studios Marvel ne recrutent pas des Michael Bay ou des Steven Spielberg, mais plutôt des Joe Johnston, Jon Favreau, Joss Whedon, voire des jeunes réalisateurs comme les frères Russo ou, évidemment, James Gunn pour LES GARDIENS DE LA GALAXIE en 2014. Partant d'un groupe de super-héros secondaire dans l'univers Marvel, Gunn signe une comédie de science-fiction irrévérencieuse et légère, au ton personnel, qui triomphe auprès du public. James Gunn rempile pour LES GARDIENS DE LA GALAXIE VOL. 2, moins réussi, mais toujours placé sous le signe de l'humour décapant, ici rehaussé d'un graphisme psychédélique.
Alors que James Gunn se montre un critique acerbe de Donald Trump sous son mandat présidentiel, les soutiens de ce dernier ressortent des blagues douteuses sur la pédophilie faites par Gunn sur Twitter en 2010. Disney, qui a racheté Marvel Studios en 2009, prend peur et écarte le réalisateur du cycle Marvel en 2018. Mise à l’écart temporaire cependant, tout ce monde se rabiboche l'année suivante et LES GARDIENS DE LA GALAXIE VOL. 3 repart sur de bons rails !
Pendant cette année perdue, James Gunn est contacté par le studio Warner qui lui propose des projets dans son univers de DC Comics. James Gunn se penche sur une relecture des aventures de la Task Force X, alias le « Suicide Squad ». Créée en BD dans les années quatre-vingt, cette équipe de vilains issus de cet univers est recrutée en prison pour mener des missions secrètes et très dangereuses, dans la tradition nihiliste des DOUZE SALOPARDS.
Warner a déjà sorti un SUICIDE SQUAD en 2016, mais le studio traversait alors une grosse panique après les résultats critiques et commerciaux relativement décevants de MAN OF STEEL et BATMAN V SUPERMAN: L'AUBE DE LA JUSTICE de Zack Snyder. Des pétitions s'accumulent sur les réseaux dits « sociaux » pour écarter Zack Snyder de l'univers cinématographique DC qu’il supervise alors artistiquement. Le même genre de pétitions qui réclameront un Snyder's Cut de JUSTICE LEAGUE quelques années après ! Avec Facebook, Twitter et compagnie, il ne faut pas chercher à comprendre…
Le SUICIDE SQUAD de 2016 connaît donc une post-production douloureuse, conflictuelle entre le studio et son réalisateur David Ayer. Le métrage qui en résulte s’avère anecdotique et vite oubliable.
Lorsque James Gunn arrive aux manettes de THE SUICIDE SQUAD (toute la différence est dans le pronom THE !), les choses se sont arrangées pour Warner avec les succès de WONDER WOMAN, AQUAMAN ou JOKER (sans oublier la réussite artistique, bien que plus discrète, de SHAZAM!). Le studio adopte une relation plus sereine avec ses metteurs en scène œuvrant sur les films DC, leur accordant plus de liberté et de confiance.
Tout auréolé des succès des GARDIENS DE LA GALAXIE, James Gunn laisse libre cours à son imagination et son humour noir pour THE SUICIDE SQUAD. Il a même le droit à un classement R (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés aux USA), lui permettant d'avoir la main lourde sur la violence et les gros mots, à l'instar des DEADPOOL.
James Gunn reprend certains acteurs de SUICIDE SQUAD, comme Margot Robbie dans le rôle de la psychopathe dépigmentée Harley Quinn. Mais aussi Viola Davis dans celui de la superviseuse peau de vache Amanda Waller, ou Joel Kinnaman dans celui de Rick Flag. Dans le rôle du tireur d'élite Bloodsport, Idris Elba remplace le Deadshot de Will Smith et apporte une incarnation assez différente de ce type de personnage, plus débonnaire et désabusée. Comme à son habitude, James Gunn offre des petits rôles à ses anciens complices, comme Michael Rooker ou Nathan Fillion. Ou encore Sylvester Stallone qui à l'instar de Vin Diesel dans LES GARDIENS DE LA GALAXIE, hérite d’un rôle numérique et peu loquace, celui de King Shark l'homme-requin !
Le colonel Rick Flag est envoyé en mission secrète sur l'île de Corto Maltese, dictature sud-américaine. Il mène une compagnie de super-vilains recrutés en prison contre des promesses de remises de peine. Tous ignorent qu’ils ne sont qu'une diversion permettant à un autre escadron suicide de s'infiltrer dans l'île en vue de récupérer un fichier ultra-secret. Ce dernier concerne l’opération « étoile de mer », dédiée à des expériences secrètes menées par les Etats Unis et mettant en jeu un organisme extraterrestre...
James Gunn ne fait pas de THE SUICIDE SQUAD une suite de SUICIDE SQUAD. Son équipe reprend des éléments du précédent métrage (Rick Flag et Harley Quinn en particulier), donnant une identité commune au diptyque. Mais certains événements de SUICIDE SQUAD se voient ignorés.
Et l'équipe recrute de nouveaux vilains folkloriques. Comme King Shark, homme-requin peu futé ; Polka Dot Man, alias l’homme-confetti, super-héros dépressif et traumatisé par sa mère, dont le pouvoir bizarre consiste à arroser ses adversaires de pastilles explosives ; Ratcatcher II, jeune fille commandant aux rats ; et Peacemaker, campé par John Cena, guerrier d'élite au service de la paix dans le monde pour lequel cette fin justifie absolument tous les moyens, y compris la violence la plus extrême !
THE SUICIDE SQUAD s’ouvre sur un très gros plan des traits burinés de Michael Rooker, nous introduisant de plain-pied dans l'univers personnel de James Gunn ! Puis nous sommes parachutés dans un prologue absurde et ultra-sanglant, donnant le La de ce qui va suivre. C’est-à-dire celui d'un spectacle rigolo et sanglant, cousin évident de DEADPOOL et particulièrement de DEADPOOL 2, apogée dans le genre du comic trash cinématographique.
THE SUICIDE SQUAD se distingue par une approche à mi-chemin du film de super-héros et du film de guerre. Ses héros n'ont que des super-pouvoirs plutôt farfelus, voire pour certains pas vraiment de super-pouvoirs à l'exception de leurs talents pour le combat et le maniement des armes.
Film d'action violent et comédie gore bariolée, THE SUICIDE SQUAD n'oublie pas la science-fiction. Mais il verse dans une science-fiction placée sous le signe du Japon des années cinquante : l'extraterrestre clé du métrage s’avère une étoile de mer de taille humaine, pourvue en son centre d'un gros œil. Bref, il s’agit d’une réplique des aliens vus dans le sympathiquement pop LE SATELLITE MYSTERIEUX, petit classique du genre ! Les influences internationales et inattendues de James Gunn se retrouvent aussi dans des clins d'œil surprenants à la BD européenne et sud-américaine. Outre le renvoi transparent à Corto Maltese, nous relevons une référence à l’amusante petite Argentine Mafalda.
Nous retrouvons la liberté et l'originalité de James Gunn dans la gestion de son récit, gestion libre, parfois anarchique. Ainsi, THE SUICIDE SQUAD offre un parcours inattendu à Harley Quinn. Parallèlement aux aventures du commando principal, cette super-vilaine traverse des péripéties personnelles, lui permettant de se voir mieux développée que dans SUICIDE SQUAD ou le désastreux BIRDS OF PREY ET LA FANTABULEUSE HISTOIRE DE HARLEY QUINN. Schizophrène, sa perception de la réalité est décalée, peuplée de dictateurs princes charmants et de super-vilains chevaleresques aux accents exotiques. Et elle est aussi une psychopathe faisant peu de cas de la vie humaine.
L’anarchisme de la narration de THE SUICIDE SQUAD constitue une force du métrage, mais aussi une faiblesse. Car si James Gunn multiplie les gags surprenants et les rebondissements inattendus, son spectacle s’avère d’un intérêt et d’une drôlerie inégaux. Le parcours de Harley Quinn, réussi en lui-même, participe de la lenteur de THE SUICIDE SQUAD, lequel dépasse allègrement les deux heures. Certaines séquences s’étirent, comme le massacre dans le camp de guérilleros qui laisse au spectateur le temps d'extrapoler sa chute. Certains gags, comme ceux liés à King Shark, sont plus drôles dans les intentions qu'à l'écran.
S'il s'éloigne de certaines conventions du cinéma de super-héros qui sature les écrans depuis vingt ans, THE SUICIDE SQUAD n'échappe pas à d'autres. Comme cette grosse scène explosive d'évasion et de destruction de la tour où se déroule le projet Etoile de Mer.
THE SUICIDE SQUAD constitue pour nous une déception relative, James Gunn ne retrouvant ni la légèreté ludique des GARDIENS DE LA GALAXIE, ni l'intransigeance de métrages comme HORRIBILIS ou SUPER. Dans la catégorie des films de super-héros classés R, il ne retrouve pas non plus la drôlerie culottée d’un DEADPOOL 2, l'ultra-violence d'un PUNISHER : WAR ZONE ou la noirceur de KICK-ASS et autres LOGAN.
Tout cela étant dit, THE SUICIDE SQUAD reste un divertissement agréable, bien tenu par les interprétations de John Cena et Idris Elba, la confrontation Peacemaker/Bloodsport structurant efficacement l’évolution de ce groupe de mercenaires malgré eux. Certains passages sont mémorables, en particulier un très efficace final placé lui aussi sous le signe de la science-fiction japonaise, servi par de très bons effets spéciaux et valant largement le visionnage sur très grand écran. James Gunn reste fidèle à ses thématiques, en particulier celle de la relation père-enfant, saillante aussi bien dans LES GARDIENS DE LA GALAXIE et sa suite que dans THE SUICIDE SQUAD.
Amusant divertissement à la liberté de ton sympathique, THE SUICIDE SQUAD n'accomplit pas son potentiel, mais reste une récréation agréable dans la carrière de James Gunn, trublion aux aventures créatives hollywoodiennes toujours intéressantes. En France, THE SUICIDE SQUAD connaît une vraie sortie en salle, tandis qu'aux Etats Unis il sort simultanément sur les grands écrans et le réseau de streaming HBO Max appartenant à Warner.