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Critique du film
LA NUÉE 2020

 

Virginie Hebrard, jeune agricultrice opiniâtre, se démène pour tenir sa ferme et élever ses deux enfants. Faisant le pari de l'avenir, Virginie tente d'élever des sauterelles. Riches en protéines et faciles à élever sur des surfaces modestes, ces dernières constituent pour l'agricultrice le futur nutritif de la planète. Elle découvre par accident que ses sauterelles développent un goût particulier pour le sang humain, lequel dope leur croissance et leur fertilité. Riche de ce secret malsain, Virginie rentre dans un cercle vicieux...

Dans le pseudo-documentaire MONDO CANE, parmi les attractions insolites proposées au spectateur, nous trouvions un restaurant d'insectes dans lequel un public pointu se nourrissait de toutes sortes de ces mets croustillants et juteux. Mais comme les années passent, ce qui n'était qu'une lubie de certains ou une spécialité de pays précis devient une option de plus en plus viable pour tous. L'avenir alimentaire de l'humanité s'avère de plus en plus compliqué au gré de sa croissance numérique et de son appétit débordant.

Tel est le point de départ de LA NUÉE, « film de genre français » comme on dit, qui mélange drame social rural et science-fiction dénonciatrice. En effet, si le cinéma de genre hexagonal a connu une croissance marquée en quantité dans les années 2000, celle-ci s'est bien souvent cloisonnée à l'horreur la plus directe, en particulier après la réussite influente de HAUTE TENSION en 2003.

LA NUÉE se veut un cinéma fantastique dépassant son genre. A la manière de l'anticipation pessimiste des années 1970, il met en garde contre les dérives sociales et environnementales. Comme dans un SOLEIL VERT, la question de la survie alimentaire de l'humanité est mise en lumière. Comme dans les réussies PHASE IV ou LES INSECTES DE FEU, la civilisation des insectes est perçue comme une menace susceptible d'engloutir l'humanité. Comme dans le grotesque L'INEVITABLE CATASTROPHE, des essaims d'insectes sèment la destruction autour d'eux.

Le réalisateur Just Philippot, dont c'est le premier long-métrage après quelques courts-métrages remarqués, place, sans doute sans le savoir, son film dans une tradition de fantastique française rustique, dénonçant les égarements d'une agriculture polluante. Nous pensons bien sûr au sympathique LES RAISINS DE LA MORT de l'attachant Jean Rollin, avec ses vignes gorgées de pesticides transformant les fermiers en morts-vivants. Ou encore à LA REVANCHE DES MORTES-VIVANTES, dans lequel les résidus polluant de l'industrie laitière donnent aussi lieu à une épidémie zombiesque des plus tartignoles !

Certes, nous allons là un peu loin dans les rapprochements thématiques. LA NUÉE est un film sérieux, ambitieux, pouvant se targuer de qualités faisant souvent défaut aux représentants de la « french horror » contemporaine. Ici, pas question d'aligner la trente douzième référence à John Carpenter ou la treize millième citation de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE. Plutôt que de singer maladroitement le cinéma américain, LA NUÉE met au service du fantastique les qualités traditionnelles du meilleur cinéma français : une écriture de scénario et de dialogues soignée, une direction d'acteurs de qualité, créant un contexte et des personnages crédibles et vivants.

Ici, pas de dialogue hurlé ou de personnages grimaçants et caricaturaux, mais une interprétation tout à fait remarquable, en particulier de la part des acteurs principaux, à commencer par Suliane Brahim, admirable dans le rôle complexe de Virginie, obsédée par la réussite de son entreprise agricole envers et contre tout. Les dialogues et les situations sonnent justes, les émotions des personnages sont directes et crédibles, quand bien même elles sont riches comme celle de Laura, adolescente assistant impuissante à la plongée de sa mère dans une obsession malsaine.

LA NUÉE a donc beaucoup d'atouts dans son jeu, laissant même espérer un cinéma « de genre » français rentrant dans l'âge adulte, sachant concilier influences internationales et spécificités nationales. Pourtant, il déçoit et rate en partie le coche. Just Philippot fait le choix d'un fantastique retenu, trop retenu, nous présentant un film tournant autour de l'aspect horrifique de son sujet sans oser s'y plonger. Il évite certes le ridicule et le grotesque. Mais il laisse aussi le spectateur sur sa faim.

Ainsi, la première évasion d'un essaim dans l'exploitation de Virginie devrait marquer le début de l'escalade horrifique de LA NUÉE. Mais elle reste sans conséquence, anodine, et le métrage rétro-pédale au lieu de démarrer,  nous montrant la famille se réconcilier à coup de sorties à la plage. Le métrage repart dans de l'exposition redondante, génératrice d'un ennui rébarbatif.

De même, si la question sociale et écologique est abordée en long et en large, le rapport aux insectes reste simple, ne dépassant pas l'aspect vampirique exposé au début. Nous ne trouvons pas le mysticisme insolite de PHASE IV, ou l’ambiguïté des INSECTES DE FEU ou de LA MOUCHE, dont la version 1986 est pourtant assumée comme une influence directe par les auteurs de LA NUÉE.

Manque de moyens matériels ? Timidité face au fantastique et l'imaginaire, ces dimensions de la fiction que la France a bien du mal à aborder sans arrière-pensées ? Toujours est-il que LA NUÉE, malgré toutes ses bonnes intentions, malgré de belles qualités d'écriture et la conviction de ses acteurs, hésite, ennuie et ne parvient pas à se racheter par son final apocalyptique, trop mitigé, trop tardif.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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