Surprenantes MUTATIONS. A plus d’un titre, d’ailleurs. D’abord son réalisateur : Jack Cardiff. Un immense directeur de la photographie, probablement l’un des tous meilleurs au monde. Ayant oeuvré sur des productions prestigieuses. Et qui d’un coup se voit confier les rênes d'un film d’horreur sur des hommes-plantes tueuses. Une sortie quelque peu tronquée par ses distributeurs, dont Columbia, à travers le monde, et un long-métrage resté inédit en France - sauf par le biais de la VHS, avec une mémorable jaquette chez American Video. Un DVD Zone 1 assez complet, déjà chroniqué sur le site, rendait hommage à cette oeuvre quelque peu hors du commun. Il s'agit désormais de la sortie française en Blu Ray et DVD chez Rimini de monter la barre qualitative un peu plus haut.
Le professeur Nolton (Donald Pleasence) enseigne la génétique dans une université londonienne. Mais en dehors de son job, il travaille surtout sur des cobayes humains afin de les croiser avec des gênes de plantes. Dans un but qui ne sera pas toujours clarifié... mais qui apparait peut-être servir à rendre un faciès plus humain à Lynch (Tom Baker), faisant partie d'un cirque ambulant de phénomènes de foire (ou "freaks" en VO), et qui lui fournit des jeunes victimes fraîchement enlevées.
Appelé à l"origine THE FREAKMAKER, ce projet horrifique britannique indépendant en dérouta plus d'un lors de sa diffusion. Dans une période où le cinéma horrifique britannique était plus versé dans les horreurs de Dracula, Frankenstein et autres films sur la sorcellerie ou le paganisme, le film sort du lot de par son sujet. Entre un distributeur ne sachant pas très bien quoi en faire, un sujet au traitement décalé - il n'y a qu'à voir la séquence générique muette, aux effets photographiques accélérés de plantes naissant et s'épanouissant. Le récit va se scinder en deux parties distinctes : les recherches du professeur émérite incarné par un Donald Pleasence à la tranquilllité et la bonhommie apparentes inquétantes. Et la communauté de "Freaks", effectuant des spectacles de foire, dus à leurs particularités physiques. Le lien ? Un des leurs qui se refuse à son état de difformité du visage (un lointain cousin de Leo G. Carroll dans TARANTULA et préfigurant inévitablement ELEPHANT MAN). Il reste persuadé que le bon professeur peut lui trouver une solution de guérison, et de sacrifier plusieurs jeunes spécimens, qui seront transformés en horribles mutants génétiques. On assiste de ce fait à un hommage appuyé à LA MONSTRUEUSE PARADE, via la communauté des participants au spectacle et des lignes de dialogue reprises, tout comme des clins d'œil à certaines scènes. Mélangé à une intrigue suggérant quelque peu L'IMPASSE AUX VIOLENCES pour la recherche sans fin de cobayes pour des expériences, et son inévitable attrait d'étudiants comme centre de gravité économique pour le public. Puisque de jeunes victimes féminines aux corps dénudés serviront d'alibi exploitatif pour l'occasion... On nage en plein dans les années 70, entre expérimentations visuelles, narratives et, donc, exploitation. Logique.
Si vous êtes familier avec cette curiosité (que l'on vous conseille) qu'est DES INSECTES ET DES HOMMES, vous pourrez retrouver la maestria visuelle de Ken Middleham, notamment pour la fantastique scène prégénérique de plantes poussant en accéléré (technique dite de photographie "time-lapse", ou photogaphie par intermittence). un procédé qui sera repris par Terrence Malick dans les MOISSONS DU CIEL, qui fera appel à Ken Middleham pour ce faire. A noter que Middleham effectua également la photographie des insectes pour PHASE IV. Un grand monsieur, donc. Et comme directeur photo, ce n'est pas Jack Cardiff qui assure le travail, mais Paul Beeson. Un technicien déjà bien affuté, puisqu'étant responsable de celle pour LE PEUPLE DES ABIMES, aux tonalités déjà bien particulières, ainsi que pour LE MESSAGER DU DIABLE là encore au ton coloré spécifique, ou encore le bizarre ALERTE SATELLITE 02. Donc l'homme de la situation pour donner à ces mutations un genre hors norme. Et cela s'avère un choix parfait au vu du résultat final.
On pourra reprocher au film un côté bicéphale dont le rythme aura quelque peu de mal à assurer une certaine régularité. L'interprétation toute en douceur et de calme de Donald Pleasence assure au mythe du savant fou une digression intéressante dans son parcours de recherche abracadabrantesque. Mais le film s'avère plus réussi dans la description de la communauté de "freaks", mélange d'acteurs et de véritables "phénomènes de foire", un terme quelque peu dévoyé et dénué de sens aujourd'hui. Mais de loin, la plus humaine décrite dans le film - à fortiori en voyant la duplicité assurée par Michael Dunn, parfait dans son rôle de Monsieur Loyal, déchiré entre l'aide apportée pour la fourniture des jeunes corps pour les expériences, et sa trahison au groupe.
Que quelqu'un ait pu penser que le sujet et le film soient commercialement viables dépasse quelque peu l'entendement. Même si l'on remarque clairement des stigmates propres aux années 70. Subversion des genres et ses mélanges, nudité gratuite, public étudiant, ambiance horrifique, effets spéciaux graphiques, atmosphère macabre, savant fou... Mais ce mélange parfois bancal dévoile une identité autre. Un ton à part, généreux envers sa communauté de freaks qui révèle une humanité plus grande. Et définitvement, des mutants parmi les plus curieux jamais mis à l'écran. On pense inévitablement à LA GRIFFE DE FRANKENSTEIN d'Antony Balch, mélangé dau CERVEAU QUI NE VOULAIT PAS MOURIR de Joseph Green - avec une ambition plus artistique qu'exploitative. Bien que la fine ligne de démarcation entre les deux soit ici très, très floutée. Malgré ces scories, MUTATIONS reste un long métrage horrifique attachant, au visuel parfois déroutant - une indéniable curiosité qui mérite un œil averti - voire même deux, bien sortis de leur globes oculaires.
Rimini propose un coffret/fourreau avec un triptyque donnant accès au livret sur la partie gauche, le Blu ray et le DVD sur chaque autre volet. Un bel objet, plutôt adroitement décoré de photos du films et autre design spécifique pour cette édition. Un menu principal qui offre le lancement du film, un accès chapitré toujours bienvenu, les versions et sous-titres optionnels ainsi que la partie suppléments.
Pour ceux qui connaissent déjà le DVD américain chroniqué sur le site, un changement assez net. Puisque nous avons ici un master au format 1.33:1 vs un format 1.85:1 sur le DVD. La différence demeure assez nette puisque la section bonus offre le film annonce au-dit format 1.85:1 - dans une définition nettement moins bonne. Il n’y a qu’à voir les copyrights des éléments, le master cinéma du film date de 2017 et celui du film annonce de 2005. Reste à connaître les intentions originelles de Jack Cardiff. Pour quel format le film a-t-il été pensé ? Rien dans cette édition n’apporte de réponse, hormis le désir du producteur. Ce sera donc en fonction des goûts de chacun sur la version « dé-mattée », à savoir en 1.33:1, vs la version 1.85:1, dont vous pourrez retrouver les captures d’écran sur la critique du DVD présente sur le site. Ceci posé, en effectuant des comparaisons d'une copie à l'autre, non seulement la définition s'avère très largement supérieure au DVD, idem pour l'éclat des couleurs, le côté plus naturel du rendu, mais également la version dé-mattée offre au final plus de détails du cadre dans sa globalité. Evidemment sur le haut de l'image, mais également sur les différents bords de celle-ci. Ainsi la scène du bain à 79mn01, où le cadre sur le mur à droite révèle plus de détails, où à gauche, un second robinet apparaît, la serviette sur la droite étant là aussi révélée dans son entièreté, idem pour la table dans le bas gauche du cadre, visible aux 3/4 dans ce Blu ray vs 1/4 sur le DVD. On pourra pointer quelques défauts inhérents à ce format brut, dont certaines erreurs de tournage que le cache 1.85:1 aurait pu masquer mais de notre côté, il n'y a pas de doute : ce master est le meilleur pour la vision du film.
Le film est d'une durée complète de 91mn57 pour le Blu Ray (1080p, BD 50) et de 87mn50 pour le DVD (DVD 9). Un très beau sens du détail, qu’il s’agisse des visages, des contours, des décors. Voir à 67mn34, la clarté des détails sur la couleur bleue, le transistor. Ou à 68mn47, l’éclat des couleurs, la précision des contours du décor, ou la scène du cri à 69mn57 - pour voir à quel point l’actrice ne prend visiblement pas bien soin de ses dents (!). Pour le traitement des couleurs et les teintes naturelles de peau, il suffit de jeter un œil à 74mn30 pour voir à quel point les dégradés de rouge apparaissent clairement, tout comme les différents points de couleurs sur l’écran, le drapé bleu sur la scène pour la fête d’anniversaire… On sent un vrai travail qui ne dénature pas l’origine 35mm du film. Avec en prime une photographie extérieure qui rend à merveille l’ambiance automnale londonienne. On pourra pointer quelques traces de poussières et autres effets pellicule (vers la 67e minute), mais ce sera bien tout ce qu'on pourra reprocher à une copie d'une belle stabilité et aux noirs réussis.
L’éditeur précise en amont que les 13 premières minutes n’ayant pas été disponibles, la VF se lancera donc avec la version originale sous-titrée français avant d’enclencher sur la VF, Une piste audio anglaise curieusement beaucoup plus sourde. Des dialogues parfois difficiles à identifier par moments, mais une absence de souffle. Les sous-titres français peuvent être activés depuis le menu ou depuis votre télécommande. Bizarrement (si on arrive à passer le doublage français assez criard et une voix haut perchée pour Donald Pleasence), on ne saura trop vous conseiller de jeter vos deux oreilles sur la version française. Egalement DTS HD MA 2.0, aux dialogues plus clairs, avec la musique se détachant nettement et les effets et bruitages beaucoup plus intuitifs. La contrepartie restant un souffle proéminent le long de son audition.
En suppléments, un documentaire d’environ 25mn, avec intervention de Robert D. Weinbach, scénariste, producteur, de Jack Cardiff mais également de Brad Harris, sur l’élaboration du film, la direction prise par la production, et l’hommage évident à LA MONSTRUEUSE PARADE de Tod Browning et le respect des acteurs engagés pour l’occasion. Très instructif.
Le film annonce est au format 1.85:1 en VO sans sous-titres. Il demeure regrettable cependant de ne pas voir portés sur cette édition les autres bonus disponibles sur le précédent DVD (commentaire audio, etc.). Il reste le livret écrit par Marc Toullec, intitulé « De la Chlorophylle dans les veines », qui ne présente cependant pas beaucoup d’intérêt - faisant souvent office de redite par rapport au documentaire, n’apportant que trop peu d’éléments de contextualisation. Oubliable.
Au final, une bonne surprise de voir débarquer cette série B méconnue, qui sort clairement des sentiers battus, avec un soin évident porté à la photographie et au ton général. Frustrant de ne voir qu’une partie des suppléments disponibles sur le marché, mais d’avoir une HD disponible sur notre territoire pour un tel film tient du miracle compte tenu du marché actuel. D'autant qu'il s'agit d'une première mondiale en HD à ce jour.