Simon (Corey Jackson) un volontaire quelque peu cynique d’une ligne téléphonique d’aide LGBT, reçoit un appel curieux. Danny (Christian Gabriel) menace en effet de se suicider à la fin de la conversation, prend des médicaments les uns après les autres, et raconte son histoire. Jusqu’à annoncer qu’il doit executer trois autres personnes avant de raccrocher.
Tout d’abord nommé SHADOWS IN MIND, le film changea de titre en cours de route pour devenir CRISIS HOTLINE, quelque peu plus approprié et plus vendeur. Produit de manière indépendante sur un tout petit budget, tourné en 11 jours, le film arrive en DVD ainsi qu’en VOD le 11 juin 2019, sous bannière High Octane Pictures.
Autant le dire d’emblée: pour quiconque verra le visuel du DVD, ill s’avère quelque peu trompeur par rapport au produit fini. Il s’agit beaucoup plus d’un thriller/mystère à connotation relativement sombre plus qu’un film d’horreur ou un slasher. Avec rebondissements finaux et narration sur deux histoires parallèles. CRISIS HOTLINE chasse plutôt sur des terres ambiguës en montrant relativement peu d’éléments. Tout ceci afin de suivre un rythme relativement lent, construisant son suspense au gré des révélations du jeune interlocuteur.
En effet, comme le récent (et bon) suspense DONOVAN REID, le scénario emprunte deux chemins parallèles. D’un côté la course contre la montre de Simon, incrédule puis réalisant que le suicide et les meurtres peuvent êtres réels - de l’autre, le récit de la descente aux enfers (ou pas?) de Danny. l’ensemble pointant vers le final, où les révélations se dévoilent, avec un twist final plutôt bien vu. Les pistes audio des deux progressions en viennent à se confondre, histoire de perdre un peu plus le spectateur. Le procédé n’est cependant pas nouveau, et les plus fans retrouveront la ligne narrative de PSYCHOSE IV, où Norman Bates/Anthony Perkins raconte son enfance et son trauma à une animatrice radio (CCH Pounder). Mais force de reconnaitre le traitement astucieux ici.
Les sujets s’entremêlent au gré de la compréhension graduelle de la situation inextricable dans laquelle Danny se retrouve. De la notion de la relation au temps des applications de smartphones, de celle de la manipulation, de l’amour au XXIe siècle pour les milleniums, de l’impact de la technologie et des errements de cette dernière. D’une idylle éthérée entre Danny et son nouveau petit ami Kyle (un excellent et ambigu Pano Tsaklas) nait un doute et la suspicion d’un côté noir de sa personnalité. Surtout lorsqu’il réalise que ses deux patrons exploitent des sites pornographiques, prennent des drogues relativement dures - éléments auxquels participe Kyle. Loin de toute velléité de conte moral (ou moralisateur). Délibérément morbide, les secrets bien enfouis des intervenants qui font dévisser Danny sont le reflet d’un XXIe siècle dont la partie sombre comprend trahison, toxicité, confiance aveugle - gravitent encore plus vite du fait de ce que la technologie permet de bon - et d’encore plus mauvais.
Le réalisateur/scénariste/producteur Mark Schwab emballe une structure bien policée, aux contours nébuleux - se précisant au gré des échanges. Le choix minimal des décors et du peu d’endroits où se déroulent les diverses actions savent tout autant générer le suspense et la construction méthodique de l’attente. On aime également beaucoup la partition musicale de Paul Burch, entêtante, parfois perçante - idéale pour créer une atmosphère pesante derrière les performances parfois pas toujours au point des acteurs. La musique créé un plus indéniable.
Le choix de centrer la narration sur un couple de garçons n’enlève en rien la nature universelle de comment un homme peut sombrer aussi profondément. Certes, hormis HARD de John Huckert ou encore le très fun HELLBENT, il est plutôt rare de voir un thriller ancré dans une certaine réalité LGBT: des vies recluses, une ligne dédiée aux suicides et autres crises des LGBT, les exagérations à peine voilées de dangers de manipulation, prise compulsive de drogues « récréatives » à son insu, etc. Ce qui constitue une première ici. Certes, les personnages gays sont légion (TV, surtout), encore plus qu’il tua dix ans. Le cinéma indépendant demeure florissant, bien que pour les films de grands studios, cela reste juste impossible à coller en tête d’affiche. Mais la portée du récit inclusif porté par CRISIS HOTLINE va au-delà de cette considération. Le film n’appuie en rien sur ces points, et livre au spectateur un récit auquel chacun(e) peut se rattacher. Danny, au fond, incarne à fois la peur, l'ennui, l'aliénation, l'absurde, la liberté et le néant. Une sorte d'existantialisme désespéré.
D’un point de vue technique, il apparait évident que le directeur photo Dante Yore et le réalisateur ont souhaité prolonger les implications du titre original. D’où une série de clairs-obscurs qui parsèment le film, avec de très gros plans sur les visages, et un arrière plan souvent flou. Peu de couleurs, mais toujours placées à des moments cruciaux (la lampe verte à 36mn48, par exemple). Tourné implicitement de nuit pour la majeure partie, la photographie et la mise en scène tentent de reproduire cette zone grise dans laquelle se trouve le héros. Entre vérité et mensonge, entre manipulation et piège, entre choisir et subir, entre vie et mort. D’ailleurs, rien n’indique que Danny n’est en fait pas déjà passé à l’action. Donc un jeu d’ombres qui se précise au fur et à mesure dans une ambiance blafarde, cafardeuse, à l’image des éléments qui se dessinent. On note une belle différence entre les intérieurs désolés et solitaires du centre d'appels, tout comme de l'appartement de Kyle, la maison de Lance Christian. Quelque chose de trop propre - en contraste avec la pauvre pièce bordélique de Danny. Tout est fait pour assurer une dynamique du champ visuel, même lors de plans statiques (les moments entre Kyle et Danny, par exemple) ou en extérieur (leur ballade en forêt). On pousserait presque à sentir un style proche d'Edgar G. Ulmer, utilisant tous les éléments à disposition afin de masquer au maximum l'inexistence du budget - et de maximiser les effets à l'écran. Un exercice minimal de paranoïa dans un univers aseptisé. Des influences visuelles venant aussi de THE NIGHT OF, la mini-série de Steven Zaillian (scénariste de HANNIBAL, entre autres) ou celles, indiquées dans le commentaire, de THE LEFTOVERS.
Là où on est moins convaincu: quelques éléments de jeu ou dialogues qui paraissent bien peu naturels. Si la fébrilité d’un jeune nerd introverti, peu expérimenté, embauché dans une boite de la Silicon Valley sied à merveille à Christian Gabriel, il n’en délivre pas moins maladroitement des lignes de dialogues parfois assez surréalistes. De le voir et l’entendre s’exclamer sur l’intérieur de la maison de Lance (August Browning) et Christian (Christopher Fung) prête quelque peu à rire vu l’intérieur en question - et d’autant que cette ligne de dialogue revient à plusieurs reprises. Dommage aussi d’assister à quelques stéréotypes (argent = méchants= drogue = pervers, entre autres). une identification plus aisée, mais des personnages au final trop faciles à détester.
Egalement, la lenteur de l’action tend, malgré quelques surprises, à ne pas générer de tension suffisante. Certaine scènes fonctionnent cependant plutôt bien -comme les atermoiements moraux de Kyle sur sa duplicité, et la révélation finale. Enfin, le budget relativement bas ne permet pas de miracle quant au dépassement de la considération d’un produit de série B. Le soin global apporté à l’ensemble (photo, cadre, éclairages) a quand même beaucoup de mal à faire oublier le côté assez cheap de l’ensemble et le peu de tension rend le final (qui aurait dû être bien plus dérangeant) relativement insipide. Dommage, car on aurait aimé être un peu plus mal à l’aise que cela - surtout compte tenue de l’épouvantable nature des secrets (dé)couverts.
D’un point de vue des enjeux humains, CRISIS HOTLINE réussit le portrait d’une déshumanisation des rapports et d’une réalité en forme de labyrinthe. Une certaine subtilité, l’art du contexte, une ambiance quelque peu hypnotique via un cadrage et une photographie étudiés. Sur le plan du thriller, si on ne nie pas un suspense intelligemment construit et un rendu néo-noir, avec le plan final remettant en question l’ensemble, l’efficacité n’est hélas pas toujours de mise - cela reste (trop) sage.
CRISIS HOTLINE est disponible depuis le 11 juin 2019 sur un DVD 9 Zone 1 de chez High Octane Pictures, d’une durée complète de 92mn31 (92mn17 hors Générique de l'éditeur), au format 1.85:1 avec 16/9e. Un menu permettant l’accès aux chapitres, options sonores ainsi qu’à la partie suppléments - et bien sûr le lancement du film. Un habillage assez habile: les accès aux chapitres et autres supplements, s'effectent par l'ntermédiaire de l'écran d'un smartphone animé. Ingénieux.
Tourné en Red 6K on observe de ce fait très peu défaut, une compression correcte et un niveau de détail médian. Le rendu visuel reste assez curieux. D’un côté la volonté du réalisateur et du directeur photo de bénéficier d’un halo d’ombres, en relation directe avec le titre original. Tourné de nuit dans des décors réels par instants, une sorte de gris permanent qui reigne sur l'ensemble du film. Ce qui pourra gêner les habitués aux Blu Rays éclatants et explosant de couelurs et de détails. Les choix artistiques des auteurs se confrontent à une définition parfois médiocre. Très dommage.
Une piste audio anglaise en Dolby Digital 2.0 qui fait le job, avec des dialogues largement audibles et qui laissent perméables la quasi omniprésence de la composition musicale parfois inquiétante. Avec la possibilité d’actionner des sous-titres anglais optionnels, un excellent point pour les amateurs sourds et malentendants. D'après le réalisateur, un mix 5.1 est disponible et a été joint à High Octane - qui a malheureusement opté pour le 2.0, quelque peu moins immersif à notre goût. Mais cela reste dans une honnête moyenne.
Une très belle surprise concernant les bonus. Ils sont en effet légion pour une édition DVD indépendante: une excellente nouvelle, car ils apportent une lumière non négligeable sur le travail effectué derrière la caméra.
Tout d’abord une série d’entretiens avec les acteurs principaux du film (hormis hélas Christian Gabriel et Corey Jackson), sur leurs interprétations de chaque personnage, leur travail avec le réalisateur et le directeur photo, le rattachement du sujet à une vision LGBT ou plus large… des motivations claires et un attachement au projet évident. On y retrouve donc Pano Tsaklas, August Browning, Christopher Fung, Mike Mizwicki et le directeur photo Dante Yore qui revient extensivement sur les méthodes choisies, les références sur la tonalité voulue. A noter qu'il vient de signer la photo de MEGALODON et de réaliser son premier long métrage d'horreur, FEAR PHARM.
L’autre gros plus provient du commentaire audio du film, entretien croisé entre le co-producteur Tim Sika et le scénariste/producteur/réalisateur Mark Schwab. Un dialogue enjoué, bourré d’informations précieuses sur l’élaboration du film, le travail nocturne délicat, les choix artistiques et la direction d’acteur. Le choix des acteurs, la technique utilisée (Steadycam, etc.) mais également les scènes de sexe. Une première pour l'auteur, puisque le scénario était beaucoup plus graphique à la base - et qu'il réalisa surtout qu'elles étaient excessivement complexes à mettre en lumière, en scène. Ce qui donne par ailleurs un érotisme très, très léger, beaucoup plus discret que dans la majeure partie des produits destinés au public LGBT. Un bon point. Autre élément intéressant, sur la notion de chorégraphie des corps et des mouvements (la scène de lit vers la 31e minute), où le jeu assez naturel des deux garçons parviennent à faire oublier qu'il s'agit d'une mise en scène chorégraphiée. Même la fin était beaucoup plus graphique initialement. Tournée véritablement au ralenti, et adoucie, un choix délibéré de Mark Schwab - jusqu'à la référence à NEIGE SUR BEVERLY HILLS, ou le choix d'utiliser une autre caméra que la Red Dragon pour l'un des plans finaux.
... un excellent échange qui suit ce qui se déroule à l'écran. Notamment sur Corey Jackson en conversation permanente avec un haut-parleur... et il ne rencontra jamais Christian Gabriel. En fait, la dynamique entre les deux intervenants du commentaire est parfaite, car en cas de "blanc" trop prolongé, Tim Sika relance l'ensemble en posant les bonnes questions à Mark Schwab qui sait repartir sur de nouvelles bases. Jusqu'au bout des 92mn, un exercice brillament réussi, qui apporte les éclairages nécessaires sur une telle aventure.