Le célèbre chirurgien Dr Dumurrier (Jean Sorel) tient une clinique avec son frère (Alberto de Mendoza). En proie à des difficultés financières, il n'est pas plus heureux dans son couple. Sa femme Susan (Marisa Mell), amère et malade, lui rend la vie difficile. Il entretient une liaison avec Jane (Elsa Martinelli), une assistante photographe. Lors d'un voyage à Reno, il apprend la mort de Susan, tout comme il reçoit une importante somme d'argent via une assurance vie. Un coup de fil anonyme le fait se rendre dans un night club avec Jane... il découvre alors une strip-teaseuse nommée Monica (Marisa Mell), version blonde de sa femme disparue.
Lucio Fulci enchainait pas mal de succès dans les années 60, notamment via ses comédies avec le duo Franco Franchi et Ciccio Ingrassia. 1969 représente une année charnière, lui permettant coup sur coup deux films atypiques : LIENS D'AMOUR ET DE SANG et UNA SULL'ALTRA, sorti en France le 19 août 1970 sous le doux nom à peine racoleur de PERVERSION STORY, avec un certain succès d'ailleurs, puisque 347 988 spectateurs se rendront dans les salles. Bien moins qu'en Italie cependant, où le long métrage généra environ 850 Millions de lires, soit presque 2.5 millions de spectateurs.
Le film fut distribué sous différents noms dans de nombreux pays et dans diverses versions plus ou moins sexy en fonction des censures existantes. Il reste cependant curieusement inédit chez nous en DVD ou Blu ray - on serait tenté de pointer, une fois encore, des soucis de droits ou de prix ? Heureusement il reste d'autres pays permettant de visionner le film dans les meilleures conditions. Tout d'abord édité en DVD par Severin avec le montage français, puis par X-Rated en Allemagne. L'éditeur US Mondo Macabro coiffe cependant tout le monde au poteau et apporte sa pièce à l'édifice en proposant un Blu Ray sous le titre non pas US de ONE ON TOP OF THE OTHER mais de PERVERSION STORY.
Si le film est tourné directement après le succès des premiers sexy-gialli comme L'ADORABLE CORPS DE DEBORAH (déjà avec Jean Sorel, qui allait être protagoniste de plusieurs d'entre eux), on sent les prémices d'un nouvel avatar des DIABOLIQUES de Henri-Georges Clouzot dans la dramaturgie. Et Fulci s'inspire assez outrageusement aussi du SUEURS FROIDES d'Alfred Hitchcock, jusqu'à se rendre sur les lieux même du film, à savoir San Francisco. Même héros en proie au doute, dualité de la femme brune/blonde, manipulations... les auteurs tentent toutefois d'épicer le tout avec les éléments modaux de cette fin de décade 60/70, libérée partiellement d'une censure envahissante. On y retrouve donc une bonne dose de sexe, de l'homosexualité féminine, des cadavres en décomposition...
Fulci cimente alors les fondements de son oeuvre à venir, puisqu'il ne reviendra que très brièvement à ses origines de comédies. La distorsion de la réalité, la sexualité débridée et le jeu sur les apparences, annoncent clairement LE VENIN DE LA PEUR de 1971, tout comme L'EMMUREE VIVANTE. La dimension de la peur naissante, un onirisme évident dans la mise en images de fantasmes et sexualité morbides. Le tout se complète avec l'allure terriblement androgyne d'Elsa Martinelli.
Le tournage in situ donne au long métrage un cachet international que peu d'autres de ses films possèdent. L'ambiance se situe à mi-chemin entre allures de Mod et inspirations Pop. Fulci bénéficie de moyens plutôt importants : tournage en extérieurs, plans d'hélicoptère, tournage à l'intérieur de la véritable prison fédérale de San Francisco (jusque dans le couloir de la mort !). Un ton réaliste, avec une caméra proche des visages et des expressions, afin de traquer au mieux le moindre fléchissement du suspense. Tout en prenant bien soin de se moquer ouvertement du système dans lequel les personnages se trouvent engoncés : les obligations de Dumurrier de recourir à un stratagème afin de récupérer de l'argent pour sa clinique, l'appât facile du gain, l'accès aux plaisirs, la mise à mort par la justice... les limites de l'archétype capitaliste américain ?
Marisa Mell. Sublime Marisa, ici au sommet de son art de la séduction. La pellicule tombe littéralement amoureuse d'elle et de ses déplacements à l'écran. Son regard félin, son corps fluide et son jeu ambivalent. Fulci se repose quasi entièrement sur son personnage comme moteur du récit - même si celui du Dr Dumurrier semble tenir le devant de la scène. Rien d'original cependant, Hitch ayant effectué le même choix avec Kim Novak dans SUEURS FROIDES. Même si en matière d'identité trompeuse, Joseph H. Lewis posa quelques jalons avec LE CALVAIRE DE JULIA ROSS, optant cependant pour une narration reposant sur un fondement inversé. On repère de ce fait l'influence du Film Noir, une des composantes d'inspiration du Giallo, avec sa caractéristique de femme fatale qui influe sur le récit. Intéressant d'ailleurs à plus d'un titre puisque le Giallo possède une narration bien propre, avec une avalanche de cadavres parsemant le récit. Ici, la première tentative de suspense de Fulci offre un récit qui sert plutôt les personnages et leur psychologie complexe plutôt qu'une trame prétexte à enfiler les morts. Encore, l'autorité directe du Film Noir. Tout comme des éléments proéminents du Giallo devinrent le meurtre, le sexe et la duplicité des personnages - bel exemple ici avec PERVERSION STORY, arrivant avec quelque peu d'avance sur la trilogie animalière de Dario Argento, même si ce n'est pas spécifiquement un Giallo dans le cas présent.
Fulci opte également pour des outrances visuelles complexes, comme le précise Jean Sorel dans l'un des suppléments. Notamment avec la caméra placée sous une vitre représentant la surface d'un matelas où s'ébattent les deux amants, par transparence interposée. Une esthétique avant-gardiste à bien des égards. Loin cependant d'une mise en scène adaptée à la distorsion de ses personnages - comme dans LE VENIN DE LA PEUR et ses grands angles en contre-plongée écrasant littéralement ses personnages, par exemple. Hormis ces deux plans précités, la caméra reste plutôt sage, captant les extravagances vestimentaires, comme le strip tease de Marisa Mell, de manière curieusement sobre, malgré l'armada gratuite de jeunes femmes dénudées parcourant l'écran dans un décor lui aussi pop-décadent et coloré.
Le gros défaut du film reste dans son choix initial : marcher sur les traces de ses illustres prédécesseurs - pas un mal en soi, quasiment tous les auteurs le font. Mais en se focalisant plus sur l'érotisme pop-lesbien mâtiné d'angoisse latente. Sur le dernier quart, les personnages n'ont plus rien à apporter et Fulci enchaine les coups de théâtre qui défient la logique. La séquence dans le couloir de la mort apparait cependant comme la meilleure élaborée, à l'issue totalement incertaine. Malgré un emballage savant, de sexualité débordante, et le fait de coller aux thèmes bien en vogue en 1969, la mécanique tourne quelque peu à vide. Maintenant, sans aucun doute : PERVERSION STORY possède un style immanquable et des idées de mise en scène que Fulci reprendra et approfondira dans ses oeuvres futures. Le macabre, l'inquiétant, l'image choc, des personnages marionnettes, le visuel audacieux - donc à ne pas manquer, assurément.
Mondo Macabro apporte PERVERSION STORY pour la première fois en HD au monde. Un Blu Ray 50 GB, en 1080p, codé région A, au format 1.85:1 et d'une durée complète de 107mn54. Menu fixe relativement sobre, avec un accès au film, chapitres (au nombre de 12) et suppléments. Le choix des pistes audio arrive après la sélection « play film » mais celui des sous-titres devra s'effectuer depuis votre télécommande.
La durée peut surprendre pour les amateurs, car si elle s'apparente à la plus longue jamais connue pour le film, il s'agit en fait d'une version composite. Le film est sorti en effet sous plusieurs versions dans différents pays, avec des durées diverses. L'éditeur a donc effectué une recomposition de l'ensemble des plans via différentes sources internationales (ce qui se voit à l'oeil nu, ne serait-ce que le générique de début vs le générique de fin) pour aboutir à une version jamais sortie auparavant. Ce qui provoque une querelle de puristes : était-ce ce qui était prévu par Fulci initialement ? Probablement non, mais cela permet de voir l'intégralité (ou tout du moins celle avancée) de ce qui a été tourné, mis bout à bout. Donc reste au spectateur/amateur le soin de choisir si cela lui sied (ou non). Il faudra probablement attendre un autre éditeur (français, anglais le plus probablement) afin de bénéficier des véritables versions sorties dans leur format et durée d'époque.
Pour le reste, la copie s'avère agréable à l'oeil malgré quelques disparités. Pas de trace notable de poussières et autres griffures, tout comme la réduction de bruit minimale, conservant le grain initial. Des contrastes réussis, notamment sur les scènes en pénombre qui révèlent de jolis noirs profonds. Les couleurs pop éclatent bien à l'écran, tout comme les teintes de peaux lors de gros plans restent naturelles.
Garni de sous-titres anglais optionnels, deux options : le doublage anglais et italien. Clairement, l'audio anglais en DTS HD MA Mono sur un canal prend le dessus. Clarté des dialogues, absence de souffle, et la composition de Riz Ortolani possède un aspect quasi velouté (la scène d'amour à 9mn06), où l'ensemble des instruments se détachent parfaitement de la composition orchestrale. Les bruitages apparaissent plus limpides (19mn54, par exemple). La piste italienne (également DTS HD MA 1.0) demeure plus brute, avec des dialogues se détachant parfois difficilement de l'ensemble des effets et bruitages ambiants. Un souffle léger le long des presque 108mn.
Au rayon Bonus, un entretien très enrichissant avec Jean Sorel (en français et sous-titré anglais), devisant de manière enjouée et extrêmement précise sur l'ambiance de cette fin des années 60 en Italie et du tournage. Toujours aussi séduisant et charmeur, il sait capter l'attention avec ses anecdotes, très lucide sur ses choix, le travail avec Fulci et l'ambiance pendant la durée des prises. Notamment sur la scène finale, entièrement tournée à l'intérieur de la prison d'état de San Francisco - principalement dans le véritable couloir de la mort, jusque dans la chambre à gaz. Un témoignage prolixe et passionnant ! (En français et sous-titres anglais)
Arrive le tour d'Elsa Martinelli, plus réservée, et qui admet directement ne pas aimer les films d'horreur. Mais qui rappelle la chronologie des événements pour son choix du film, le tournage.. et des idées bien arrêtées sur le rôle du réalisateur ! Elle égrène avec précision ses souvenirs de tournage avec Jean Sorel et Marisa Mell et sa capacité à se glisser dans des personnages à l'opposé de ce qu'elle est. Notamment via les apports de costumes et coiffures. (En italien et sous-titré anglais)
Enfin, un segment très prenant (en anglais non sous-titré) par le critique Stephen Thrower qui revient de manière importante sur les fondements de la carrière de Fulci, les influences pour les scénario, les différentes versions, Marisa Mell et son double rôle... Belle présence d'esprit analytique et ne se résumant pas à un résumé encyclopédique, comme c'est hélas trop souvent le cas.
Enfin, le film annonce en anglais (pas nettoyé) et tous les films annonces plus extraits du catalogue de l'éditeur (11mn10, aux qualités diverses).