Header Critique : POUPEES DU DIABLE, LES (THE DEVIL DOLL)

Critique du film
LES POUPEES DU DIABLE 1936

THE DEVIL DOLL 

Tod Browning tourne LES POUPEES DU DIABLE juste après LA MARQUE DU VAMPIRE de 1935. Ce dernier ne connaît qu'un petit succès, mais c'est pourtant un point positif pour Browning qui vient de traverser une période difficile. Ses deux films antérieurs, LA MONSTRUEUSE PARADE et le drame FAST WORKERS, ont été de coûteux échecs commerciaux. Quant à son projet de long métrage LOUSIANA LOU, au scénario écrit par le prix Nobel de littérature William Faulkner, il lui a échappé pour se voir confié à George B. Seitz (le métrage s'appelle LAZY RIVER et sort en 1934).

Le petit succès de LA MARQUE DU VAMPIRE encourage donc Browning à revenir au cinéma de l'étrange, genre avec lequel il a connu ses plus grands succès. En s'inspirant du roman «Brûle, sorcière, brûle» de Abraham Merritt, il rédige un nouveau scénario : THE WITCH OF TIMBUKTU dont le récit se déroule entre la Guyane et Paris. Son intrigue implique la sorcellerie vaudou. Browning est aidé dans son écriture par Guy Endore (auteur du célèbre roman «Le loup-garou de Paris» et co-scénariste de LA MARQUE DU VAMPIRE) et même par Erich Von Stroheim (réalisateur de grands classiques hollywoodiens du muet tels que FOLIES DE FEMMES ou LES RAPACES, mais mis au placard par les studios au début des années trente).

Ce nouveau projet fantastique part donc sur de bonnes base pour Tod Browning. Néanmoins, après une première moitié des années trente consacrant le triomphe de l'horreur hollywoodienne, la censure se réveille. Aux USA, le code Hays, destiné à limiter la représentation de la violence et de l'érotisme au cinéma, est appliqué scrupuleusement à Hollywood à partir de 1934. La Grande-Bretagne, gros marché pour le cinéma américain, voit sa censure se montrer très sévère avec les produits horrifiques hollywoodiens. Browning doit réviser sa copie et retirer de son script toute référence aux rites vaudous. Il les remplace par les expériences d'un savant fou.

Pour ce film, finalement appelé THE DEVIL DOLL (LES POUPEES DU DIABLE en français),Tod Browning retrouve le grand acteur Lionel Barrymore qu'il a déjà dirigé à plusieurs reprises, par exemple dans LA MORSURE de 1927 et LA MARQUE DU VAMPIRE. Nous reconnaissons aussi Maureen O'Sullivan, actrice devenue mythique pour avoir été la Jane de TARZAN L'HOMME SINGE dans le cycle MGM mettant en scène ce héros sous les traits de Johnny Weissmuller.

Le récit de LES POUPEES DU DIABLE est complexe, mêlant l'épouvante et roman policier. Le français Paul Lavond, ruiné par des banquiers indélicats, est accusé d'un forfait qu'il n'a pas commis par les mêmes canailles. Le pauvre homme est envoyé en Guyane, dans le sinistre bagne de l'Île du Diable, dont il s'échappe néanmoins en compagnie d'un dénommé Marcel. Ce dernier s'avère un savant fou dont la femme, Malita, poursuit les expériences à quelques lieues de là, dans un laboratoire construit en pleine jungle.

Marcel a mis au point un système capable de réduire un animal ou un être humain au sixième de sa taille normale. Hélas, l'homoncule ainsi créé est dénué de toute volonté et de toute intelligence autonome. Il peut cependant être dirigé par l'esprit d'un être humain normal. Dès lors, les personnes réduites à une taille minuscule par cette technique deviennent des marionnettes contrôlées par la volonté de Marcel et de sa compagne démente. Marcel compte employer cette méthode pour réduire toute l'humanité à l'échelle 1/6ème et devenir maître d'un monde devenu "parfait". Las ! Le chercheur exalté meurt d'épuisement quelques temps après avoir fait toutes ces révélations à Paul Lavond ! Celui-ci promet à la veuve du scientifique de réaliser le plan de son cher Marcel si elle accepte de l'accompagner à Paris et de l'aider à se venger des trois banquiers responsables de sa ruine et de son déshonneur...

Comme son titre l'indique, LES POUPEES DU DIABLE a pour argument fantastique la présence d'êtres humains miniaturisés. Des curiosités semblables apparaissent déjà l'année précédente dans une superbe séquence de LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN au cours de laquelle le sinistre docteur Pretorius montre fièrement au professeur Frankenstein des petits personnages vivants, créés ex nihilo. Toutefois, il s'agit d'une scène isolée de ce classique. En 1940, Ernest B. Schoedsack réalise DR. CYCLOPS dans lequel un savant fou réduit quatre personnes à la taille de jouets. De tels sujets reviennent avec les années 1950, grande époque de la science-fiction américaine et de ses mutations nucléaires. Nous pensons bien sûr aux aventures de L'HOMME QUI RETRECIT de Jack Arnold, dans lequel un humain, soumis à un nuage radioactif, voit sa taille décroître sans cesse... LES POUPEES DU DIABLE traite ce thème avec une originalité : les personnes ainsi rétrécies perdent toute intelligence et toute autonomie. Ils ne sont que des instruments soumis à la volonté de leurs créateurs.

Ces personnages miniaturisés servent donc à Paul Lavond pour accomplir sa vengeance. Au cours de la séquence la plus fameuse de LES POUPEES DU DIABLE, Lachna, miniaturisée, commet un cambriolage et assassine un des ennemis de Lavond. A l'aide de trucages très bien réglés (superpositions) et de décors construits à une échelle démesurée, Browning propose une scène fantastique admirable. L'argument de départ, très imprégné de science-fiction (un savant fou veut utiliser son invention pour dominer le monde), se trouve rapidement détourné pour donner lieu à une histoire de vengeance, dans laquelle la police française est incapable d'élucider les crimes et les disparitions mystérieuses.

Pour passer inaperçu, Paul Lavond, recherché par la police après sa fracassante évasion du bagne, a l'idée farfelue mais efficace de se faire passer pour une vielle marchande de jouets appelée madame Mandelip, travaillant dans une discrète et charmante petite boutique. Bien souvent, dans les films de Browning, le déguisement joue un rôle important. Les criminels y aiment à se déguiser en des êtres inoffensifs et pitoyables afin d'endormir la vigilance de la société. Ainsi, dans les œuvres de Browning, l'acteur Lon Chaney joue des malfaiteurs se faisant passer pour un manchot (L'INCONNU), pour un brave prêtre paralytique (L'OISEAU NOIR) ou, tout comme Barrymore dans LES POUPEES DU DIABLE, pour une vieille femme (LE CLUB DES TROIS : la "vieillarde" promène dans un landau, incognito, un nain cambrioleur !)...

Dans LES POUPEES DU DIABLE, les séquences fantastiques ne sont pas fréquentes. Nous sommes loin de L'HOMME QUI RETRECIT, succession ininterrompue de trucages époustouflants. Ici, ces passages spectaculaires alternent avec des moments mélodramatiques, notamment en dépeignant les relations complexes de Paul Lavond avec sa mère et sa fille Lorraine, qu'il a du abandonner dans la pauvreté au moment de son incarcération.

Lorraine refuse de pardonner à son père et ne veut pas croire qu'il a été emprisonné pour une faute qu'il n'a pas commise. Il ne fait aucun doute pour elle qu'il s'agit d'un vaurien. Paul la rencontre alors qu'il est déguisé en Madame Mandelip, sans que sa fille ne se doute que cette fragile vieille femme est en fait son père, dissimulé sous une mise peu orthodoxe. Si nous pouvions craindre que ces séquences dramatiques s'imbriquent mal au reste du métrage, tout cela passe en fait bien, grâce à la magistrale interprétation de Lionel Barrymore, parvenant sous la défroque de madame Mandelip, à osciller entre le pathétique au cours des passages dramatiques d'une part, et une cruauté réjouissante dans les séquences de meurtre d'autre part. Toutefois, le rythme du film souffre de ces changements de ton et certains éléments de science-fictions s'avèrent poussifs, notamment le personnage de la très exaltée Malita.

Nous retrouvons en tout cas une approche réaliste du fantastique, trait typique de certaines œuvres de Tod Browning. Il refuse ici le recours à des atmosphères étranges, contrairement aux cinémas fantastiques expressionniste allemand ou gothique hollywoodien (que Browning aborda toutefois au cours de certains passages de DRACULA ou de LA MARQUE DU VAMPIRE). Ici, le fantastique ne vient pas tant du style de la réalisation, très neutre, que de la façon dont le récit et la mise en scène dégagent l'étrange et le mystère des éléments les plus anodins de la réalité. Vous croyez rencontrer une inoffensive vieille parisienne ? Il s'agit d'un redoutable évadé en cavale qui se travestit pour déjouer les soupçons. Vous pensez passer devant la charmante vitrine d'un magasin de jouets ? Sa réserve cache un laboratoire où se déroulent des expériences inhumaines. Votre regard s'attarde sur une poupée représentant une petite parisienne ? Il s'agit d'une tueuse miniature prête à accomplir les volontés démentes de ses maîtres. Un jouet de clown attire votre attention par son allure coquasse ? Paul Lavond a dissimulé dans cette babiole les bijoux qu'il vient de voler ! Chez Browning, il n'est pas nécessaire de distordre la réalité pour en dégager le fantastique : il s'y trouve déjà à l'état pur pour celui qui sait la regarder avec les yeux de son imagination grands ouverts.

LES POUPEES DU DIABLE est donc une réussite dans la carrière de Tod Browning, à laquelle nous reprochons juste quelques hésitations dans son ton. Ce film est rentable, mais les résultats financiers paraissent insuffisants au patrons de la MGM. Qui plus est, Irving Thalberg meurt prématurément en 1936. Ce puissant producteur, Golden Boy d'un Hollywood en plein essor, a toujours soutenu Browning dans cette compagnie, y compris lors de la sortie très controversée de LA MONSTRUEUSE PARADE. Tod Browning réalise encore MIRACLES FOR SALES (1939), un film se déroulant dans le milieu des prestidigitateurs. Mais il est ensuite renvoyé de la MGM à laquelle il a pourtant offert bien des succès dans la seconde moitié des années 1920, grâce à ses nombreuses collaborations avec l'acteur Lon Chaney.

Browning quitte Beverly Hills et se retire à Malibu. Après la mort de son épouse, il vit solitaire et amer tandis que l'histoire du cinéma l'oublie. Il meurt d'un cancer en septembre 1962, alors même que ses films sont redécouverts aux USA, mais aussi en France, avec le travail de cinéphiles comme Jean-Claude Romer qui dédie une étude à son œuvre dans la revue surréaliste «Bizarre» cette même année.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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