Header Critique : FIANCEE DE FRANKENSTEIN, LA (THE BRIDE OF FRANKENSTEIN)

Critique du film
LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN 1935

THE BRIDE OF FRANKENSTEIN 

La première moitié des années 30 à Hollywood déploie une richesse impressionnante en matière de cinéma fantastique. Aux premières réussites de la Universal (DRACULA, FRANKENSTEIN, LA MOMIE, L'HOMME INVISIBLE...), les compagnies concurrentes répondent par d'autres chefs-d'œuvre qui assoient la domination du cinéma américain en matière d'épouvante : DOCTEUR JEKYLL & MR HYDE, LA MONSTRUEUSE PARADE, LA CHASSE DU COMTE ZAROFF, L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, KING KONG... Pourtant, en 1935, Universal connaît des difficultés économiques. Elle décide alors de donner une suite à FRANKENSTEIN, son plus gros succès fantastique.

Ce sera LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN qui réunit le cœur de l'équipe de son prédécesseur : James Whale est à nouveau le réalisateur (entre L'HOMME INVISIBLE et LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, il réalise ONE MORE RIVER, un drame sentimental) ; Jack Pierce améliore le maquillage du Monstre et crée celui de la Fiancée ; les excellents Colin Clive et Boris Karloff reprennent respectivement le rôle du professeur Frankenstein et de sa Créature. Mais il y aussi de nouveaux venus. Ernest Thesiger joue le professeur Septimus. L'actrice Elsa Lanchester (vue peu avant dans LA VIE PRIVEE DE CHARLES VIII aux côtés de son époux Charles Laughton) incarne un double-rôle : non seulement elle interprète la Fiancée monstrueuse (au générique, son nom est remplacé par un "?", comme pour Boris Karloff dans FRANKENSTEIN), mais elle joue aussi le rôle de Mary Shelley dans le prologue.

En effet, LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN s'ouvre sur un astucieux préambule. Il est notoire que Mary Shelley inventa l'argument de «Frankenstein ou le Prométhée moderne» pour divertir Percy Shelley et Byron un soir d'orage. Ici, après s'être étonné qu'un conte aussi horrible ait pu être inventé par une jeune femme, Byron lui réclame la suite des aventures du Baron et de sa Créature. Elle accepte et narre LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN. Remarquons au passage, que ce titre entretient une ambiguïté : il est fréquent que les spectateurs mal informés confondent le professeur Frankenstein et son anonyme Créature. Or ici, si il est bien question d'une Fiancée, il s'agit de celle du Monstre et non de celle de Frankenstein !

A la fin de FRANKENSTEIN, la Créature périt dans l'incendie spectaculaire d'un moulin tandis que le professeur survit, gravement blessé. Pourtant, nous apprenons ici que le Monstre n'a pas succombé dans ce drame et qu'il est même en bonne forme puisqu'il commence le film en massacrant deux villageois !

Henry Frankenstein renonce un temps à ses travaux impies qui le révulsent désormais. Pourtant, un nouveau personnage apparaît. Le professeur Septimus, un autre savant décidé à concurrencer la création divine, veut le mettre à l'œuvre sur un projet blasphématoire : la création d'une femme. Mauvais, dénué des scrupules qui hantent Frankenstein, ce personnage méphistophélique le force au moyen d'un chantage à reprendre le bistouri. Si Frankenstein travaillait à partir de matières préexistantes (des cadavres) pour concevoir une vie nouvelle, Septimus emploie une méthode proche de la génétique actuelle. A partir d'une "graine", il crée des humains de petite taille. La scène dans laquelle il présente ses petites créatures est une merveille d'humour fantastique.

Si dans FRANKENSTEIN le savant et sa créature se partagent équitablement les péripéties, c'est maintenant la seule Créature qui est la Star. Ses aventures ordonnent le récit. Aidé par un Boris Karloff au sommet de son talent, LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN humanise en profondeur le Monstre. Nous pensons évidemment à la rencontre entre la Créature et un ermite aveugle. Dans cette séquence, inspirée par un épisode du roman de Mary Shelley délaissé par le premier film, ce vieillard, incapable de connaître la laideur physique du Monstre, l'accueille avec des mots de réconfort, lui offre l'hospitalité et lui sert un bon repas. Le Monstre passe alors du statut de bête immonde auquel l'ont confiné ses précédentes rencontres à celui d'être humain. Il apprend le langage des hommes, prend conscience des vertus de l'amitié et de la musique. Enfin, il intègre la différence entre le bien et le mal. Nous assistons à l'épanouissement d'une âme belle et simple.

Cette période de félicité ne dure pas et le Monstre doit à nouveau fuir. Comme dans le roman de Mary Shelley, l'éveil de sa conscience s'accompagne de douloureuses révélations. Il assume qu'il n'aura jamais sa place parmi les hommes et le drame de la solitude le menace. Il exige de Frankenstein qu'il lui crée une compagne. Affligée des mêmes origines que lui, elle saura le comprendre et acceptera sa présence et son amitié.

Cette "Fiancée" est une nouvelle réussite spectaculaire du maquilleur Jack Pierce. Autant le Monstre est lourd, lent, autant sa compagne est fine et parcourue de tics électriques. Contrairement aux prévisions de la Créature, cet être aussi le repousse. Il comprend alors, grâce à sa courageuse lucidité, qu'il doit retourner de lui-même parmi les morts et rétablir ainsi l'ordre naturel bousculé par les recherches de FRANKENSTEIN. A sa toute fin, il verse une ultime et émouvante larme d'adieu à la vie.

LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN est une merveille visuelle. Bénéficiant d'un budget encore plus élevé que son prédécesseur, il dispose d'une large variété de somptueux décors de studios : forêt enchantée au milieu de laquelle coule une cascade délicate, vaste village, chambre à coucher très hollywoodienne de Henry Frankenstein, lugubre crypte... Et bien sûr, le splendide laboratoire de Frankenstein, désormais garni d'une splendide collection d'arcs électriques, de tubes luminescents, d'antennes imposantes et de lourdes manettes de contrôle. La photographie est en permanence somptueuse et élégante, tout comme la réalisation fluide de James Whale. La séquence de la création de la Fiancée recourt à toute une batterie de cadrages et d'éclairages expérimentaux très réussis, inspirés par les mouvements artistiques d'avant-garde de l'entre deux-guerre (Bauhaus, expressionnisme cinématographique, constructivisme...).

LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN est certainement une des plus grandes réussites du cinéma fantastique américain des années 1930, et vraisemblablement le chef d'oeuvre de la compagnie Universal et du réalisateur James Whale. Mariant maîtrise de la forme et sensibilité du propos, il offre à Boris Karloff son plus beau rôle. Malheureusement, il marque aussi le commencement d'un certain déclin créatif de la part d'Universal qui, constatant la bonne rentabilité de l'œuvre, s'oriente vers la facilité en multipliant les suites de DRACULA (LA FILLE DE DRACULA...), FRANKENSTEIN (LE FILS DE FRANKENSTEIN...) ou LA MOMIE (LA MAIN DE LA MOMIE...).

Financièrement judicieuse, cette orientation entraîne un appauvrissement artistique de ces cycles. De plus, l'application au cours des années 1930 du sévère code de censure américain dit "code Hays", combinée a une censure protectionniste sévissant en Grande-Bretagne (grande part de marché des films d'épouvante américains), décourage les grandes compagnies américaines, comme Universal, de produire des films d'horreur entre 1936 et 1939.

Après LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, James Whale ne travaille plus pour le cinéma d'épouvante. Il commence par réaliser COKTAILS ET HOMICIDES (1935), une comédie macabre. Puis, pendant la seconde moitié des années 1930, il œuvre dans des genres variés, comme le film historique (L'HOMME AU MASQUE DE FER [1939], DAVID GARRICK [1936]), la comédie musicale (SHOWBOAT [1936]), les drames judiciaires (FEMMES DELAISSEES [1938]), le film d'aventures (L'ENFER VERT [1939]), ou même une adaptation hollywoodienne de Pagnol (FANNY [1938]). Il persévère aussi dans le genre qui l'a lancé au début de sa carrière : le drame de guerre. Ainsi, Whale réalise APRES (1937) (suite de la célèbre fresque Universal A L'OUEST RIEN DE NOUVEAU (1930) de Lewis Milestone), et THEY DARE NOT LOVE (1941) à propos de la Seconde Guerre Mondiale. Dans ce dernier film apparaît un certain Peter Cushing, appelé à devenir le plus célèbre des professeurs Frankenstein de l'histoire du cinéma grâce à la série des films Hammer amorcée par FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE ! à la fin des années cinquante ! James Whale est définitivement écarté des studios en 1949 et se suicide en 1957.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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