Header Critique : UNE SOIREE ETRANGE (THE OLD DARK HOUSE)

Critique du film
UNE SOIREE ETRANGE 1932

THE OLD DARK HOUSE 

Un soir de tempête, trois voyageurs égarés en plein pays de Galles trouvent refuge dans une demeure sinistre, habitée par une étrange famille : les Femm...

FRANKENSTEIN, réalisé par James Whale et interprété par Boris Karloff, est un triomphe à sa sortie. Pour un budget de 300.000 dollars, il en rapporte... cinq millions au cours de sa première exploitation ! C'est une excellente affaire pour sa compagnie productrice, Universal, qui connaît alors des difficultés financières. Ses dirigeants comprennent qu'ils ont avec Karloff une vedette de l'horreur doublée d'un acteur mature et compétent. Rapidement, ils lui cherchent un nouvel emploi dans le cinéma d'angoisse. Les scénaristes d'Universal parmi lesquels Robert Florey lui proposent des rôles de loup-garou, d'homme invisible ou de momie.

De son côté, James Whale enchaîne rapidement, mais sans conviction, sur IMPATIENT MAIDEN en 1932, mélodrame sentimental interprété par un couple de jeunes premiers vedettes à la Universal : Mae Clarke et Lew Ayres. Whale encourage Universal à se procurer les droits de «Benighted», un roman de J.B Priestley. Des scénaristes en tirent le script d'UNE SOIREE ETRANGE que Whale réalise lui-même.

Boris Karloff y interprète Morgan, un inquiétant valet muet. Nous remarquons aussi, parmi les voyageurs égarés, l'acteur britannique Charles Laughton dont c'est le premier rôle à Hollywood : il deviendra vraiment une Star avec LA VIE PRIVEE D'HENRI VIII d'Alexander Korda, l'année suivante. Nous notons aussi les présences de Gloria Stuart (futur jeune première de L'HOMME INVISIBLE) et d'Ernest Thesiger (inoubliable Docteur Prétorius de LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN).

UNE SOIREE ETRANGE s'ouvre sur un prologue d'un grand classicisme. Par une terrible nuit de tempête, trois amis se perdent dans une région isolée du Pays de Galles. Des trombes d'eau s'abattent sur leur voiture, rendant la route impraticable. Les flancs des collines, fragilisés par les eaux, manquent de s'effondrer sur eux. Lorsqu'ils voient apparaître une demeure solitaire, à une fenêtre de laquelle brille une faible lumière, ils se précipitent pour demander refuge. La porte est ouverte par Morgan, un majordome muet et défiguré...

A partir de là, UNE SOIREE ETRANGE se décline comme un habile mélange de drame et de frissons, plongé dans une ambiance angoissante. Les voyageurs sont présentés dans des séquences, forts bien interprétées (Charles Laughton est formidable), nous révélant leurs véritables caractères, leurs doutes et leurs ambitions. Toutefois, contrairement à FRANKENSTEIN, Whale introduit ici de l'humour dans son œuvre, notamment avec les réactions des voyageurs face à leurs découvertes dans le manoir. Ce réalisateur continuera dans cette voie avec L'HOMME INVISIBLE et LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, où épouvante, drame et comédie feront bon ménage.

Le récit d'UNE SOIREE ETRANGE consiste avant tout en la révélation progressive des habitants et des secrets hantant cette "maison de la mort". Il y a d'abord le valet Morgan, énorme brute au visage bestial et strié de cicatrices. Supportant mal l'alcool, il devient incontrôlable après quelques gorgées de liqueur. C'est évidemment Boris Karloff, encore admirablement maquillé par Jack Pierce, qui incarne ce personnage monstrueux.

Puis, nous sommes introduits auprès des inquiétants maîtres de maison, Horace et Rebecca Femm, qui sont frère et sœur. Elle est une bigote inquiétante et menaçante, tandis que, sous des apparences guindés, son frère semble rongé par une angoisse indicible. D'autres personnages de cette famille, cachés dans la maison, nous seront présentés, tel le patriarche centenaire Roderick (on pense évidemment à la nouvelle «La chute de la maison Usher» d'Edgar Poe). Progressivement, l'humour s'atténue tandis qu'UNE SOIREE ETRANGE s'enfonce lentement dans une troublante atmosphère de démence.

Si son récit ne contient pas d'éléments aussi nettement fantastiques qu'un DRACULA ou un FRANKENSTEIN, UNE SOIREE ETRANGE s'inscrit dans la tradition du cinéma horrifique par l'ambiance de sa sinistre demeure. Les splendides décors gothiques et poussiéreux de cette bâtisse sont encore l'œuvre de Charles D. Hall, déjà convié pour LE KID de Chaplin, LE FANTOME DE L'OPERA muet ou FRANKENSTEIN. Il avait aussi conçu une fameuse maison lugubre pour LA VOLONTE DU MORT de Paul Leni, autre classique de l'épouvante.

Dans le même sens, les images raffinées, jouant sur un noir et blanc sombre et inquiétant, sont le fruit du travail magnifique effectué par le très grand chef-opérateur Arthur Edeson (LE VOLEUR DE BAGDAD avec Douglas Fairbanks, FRANKENSTEIN, L'HOMME INVISIBLE, mais aussi LE FAUCON MALTAIS de John Huston, titre fondateur du Film Noir). L'oppression ressentie par les voyageurs est encore rendue par une attention particulière portée sur certains détails étranges : tels ces cris d'enfant derrière une porte lourdement verrouillée, la mystérieuse silhouette qui surprend Margaret tandis qu'elle joue à faire des ombres chinoises sur un mur... Certaines trouvailles horrifiques sont fabuleuses : le geste incroyablement brutal de Morgan, ivre, se jetant sur une fenêtre pour en briser la vitre ; ou encore l'apparition géniale de la main immobile en haut de la rampe de l'escalier. De même, lorsque Rebecca harcèle Margaret, la réalisation a recours, pour créer un sentiment d'étrangeté, à des effets expérimentaux innovants et efficaces (montage serrés, reflets déformants, modification de la texture sonore).

L'angoisse culmine dans la conclusion du métrage, lorsque le plus dangereux membre de la famille Femm est libéré dans la demeure et sème la terreur. La tension, la violence et la cruauté de ces séquences d'affrontement sont remarquables. Personnage ambigu et inquiétant, ce sadique est aidé par Morgan, particulièrement menaçant envers Margaret dans une scène célèbre au cours de laquelle il s'approche d'elle, la saisit et lui caresse la joue, fasciné : Karloff est décidément toujours aussi excellent !

Malgré toutes ses qualités, UNE SOIREE ETRANGE est légèrement moins bons que les autres films d'horreur de James Whale à la Universal. La mise en place des personnages et de l'intrigue est peut-être un peu trop lente et théâtrale, et le récit n'a pas la force des grands mythes du cinéma fantastique illustré dans ses autres films. Tout cela n'enlève rien à la rigueur et à l'invention de la mise en scène de James Whale, ni au talent formidable de tous ses interprètes. Par son ambiance terrifiante, UNE SOIREE ETRANGE reste un grand classique très influent, notamment dans le domaine du cinéma de "maison hantée". William Castle en tournera un remake avec THE OLD DARK HOUSE en 1963.

Après UNE SOIREE ETRANGE, James Whale tourne un autre film d'horreur fameux, L'HOMME INVISIBLE, sans Boris Karloff cette fois. Ce dernier va notamment interprété la même année 1932 le redoutable docteur Fu Manchu dans LE MASQUE D'OR pour la MGM, avant de créer le rôle d'un nouveau monstre terrible pour Universal : LA MOMIE.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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