Header Critique : CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS (UNHEIMLICHE GESCHICHTEN)

Critique du film
CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS 1919

UNHEIMLICHE GESCHICHTEN 

CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS de Richard Oswald est un film à sketchs, antérieur de quelques mois au classique fondateur LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI de Robert Wiene. L'avant-première du film de Richard Oswald a lieu en 1919, puis son exploitation commerciale commence en 1920. La première de LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI prend place dès le début de 1920.

Richard Oswald (Ornstein de son vrai nom) a été un réalisateur très prolifique, qui commence à tourner dès 1914. Sa force de travail lui permet, dans ses années les plus fastueuses, d'aligner plus de dix titres (en 1915 ou 1917). Très tôt, il aborde des sujets fantastiques. Ainsi, à partir de 1914, il participe à une série sur LE CHIEN DES BASKERVILLE, aussi bien en tant qu'acteur que réalisateur. Il tourne aussi une version de LES CONTES D'HOFFMANN en 1916, dans lequel il donne un de ses premiers grands rôles à Werner Krauss, issu de la troupe de théâtre de Max Reinhardt, grande figure de l'art expressionniste.

De la même troupe vient aussi Conrad Veidt, acteur principal de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS. Ses traits anguleux, son regard intense et sa longue silhouette en ont fait un des acteurs internationaux les plus emblématique de son époque. Parmi la spectaculaire liste de chefs-d'œuvre auxquels il a participé, nous ne citerons pour mémoire, que quelques titres chers aux amateurs de fantastique : LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI (il est le somnambule Cesar), LE CRIME DU DOCTEUR WARREN inspiré à Murnau en 1920 par "Docteur Jekyll & Mr. Hyde", LES MAINS D'ORLAC réalisé par Robert Wiene, LE VOLEUR DE BAGDAD produit par Alexander Korda... Veidt partage le haut de l'affiche de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS avec Reinhold Schünzel (vu dans d'autres classiques comme L'OPERA DE QUAT'SOUS de Pabst en 1931, LES BOURREAUX MEURENT AUSSI tourné aux USA par Fritz Lang, ou LES ENCHAINES d'Hitchcock...) et la danseuse Anita Berber, qui joua souvent dans des films d'Oswald (PROSTITUTION de 1919, LUCRECE BORGIA en 1922...) avant de mourir à 29 ans.

Accroché chez un antiquaire, trois tableaux représentent respectivement une prostitué (Anita Berber), le Diable (Reinhold Schünzel) et la Mort (Conrad Veidt). Un beau jour, ces trois figures s'animent, sortent de leurs cadres et rossent le libraire ! Celui-ci s'enfuit, laissant sa boutique à la merci de ces étranges visiteurs. Le Diable, la Mort et la Prostitué décident de lire des histoires macabres choisies parmi les livres ornant les étalages... Ce charmant prologue pose l'argument de départ de ce film à sketchs, composé de cinq histoires dans lesquelles nous retrouvons les acteurs Conrad Veidt, Anita Berber et Reinhold Schünzel, à chaque fois dans des rôles différents.

Adaptation d'un texte d'Anselma Heine, le premier récit s'appelle "L'apparition". Un homme remarque dans un parc un couple en train de se disputer violemment. Il les sépare et s'éloigne en compagnie de la femme. Celle-ci lui révèle que son mari est un fou sadique qui en veut à sa vie. Elle demande à l'homme de la protéger. Il accepte et lui offre une chambre d'hôtel pour se reposer. Le lendemain matin, la chambre en question est vide et aucun registre ne mentionne la venue de cette femme... Le bon samaritain a-t-il subi une hallucination ? Ce premier récit est dans doute le plus réussi de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS. Certes, la mise en scène, l'emploi des décors et des éclairages, classiques et théâtraux, déçoivent l'amateur d'expressionnisme allemand. Mais ce parti-pris stylistique n'étonne pas, la "bombe" LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI n'explosant qu'après la sortie de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS. Nous avons néanmoins affaire à une histoire fort macabre, au dénouement vertigineux et lugubre, qui ne dépareillerait pas parmi les épisodes de LA QUATRIEME DIMENSION.

La seconde histoire, "La main", est une création originale de Robert Liebmann, scénariste de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS, qui travaille ensuite sur d'autres films célèbres comme L'ANGE BLEU de von Sternberg ou le fantastique LILIOM tourné en France par Fritz Lang. Dans ce récit, deux séducteurs convoitant une même femme la jouent aux dés. Le perdant n'accepte pas sa défaite et étrangle le vainqueur. Des années plus tard, l'assassin reste hanté par la vision de la main crispée de sa victime agonisante, victime qui revient finalement se venger en tant que fantôme... Histoire de fantômes extrêmement classique, "La main" reste agréable à suivre, notamment grâce aux interprétations de Veidt et Schünzel et à un dénouement étonnant, au cours duquel l'usage de certains éclairages par le haut annonce les trouvailles formelles à venir du cinéma allemand.

Le troisième récit est le très fameux conte de Poe "Le chat noir", souvent porté à l'écran avec plus ou moins de fidélité. Citons par exemple sa version comique dans L'EMPIRE DE LA TERREUR de Roger Corman, ou le très réussi segment "Le chat noir" réalisé par Dario Argento dans DEUX YEUX MALEFIQUES. Ici, un ivrogne maltraite son épouse et son chat noir. Sa femme et l'animal de compagnie disparaissent un jour sans explication. Dans le village, tous soupçonnent le mauvais mari de les avoir tués... Mise en scène sans éclat d'un récit célèbre, "Le chat noir" s'avère quelconque. Malgré des interprètes savoureux, ce sketch manque de tonus et de surprises.

Le passage suivant est plus intéressant. Il s'agit d'une adaptation de "Le club des suicidés" de Robert Louis Stevenson, œuvre qui connaît ensuite d'autres transpositions comme A VOS ORDRES MADAME avec Robert Montgomery ou le plus récent THE SUICIDE CLUB produit par Roger Corman en personne. Un homme découvre un club privé et tente d'y être accepté. Mais il réalise vite que ce cercle se livre à des activités macabres. Le soir, chacun pioche au hasard dans un jeu de carte et celui qui tire l'as de pique doit mourir à minuit ! Certes, la réalisation reste fade, mais les qualités de l'histoire et des acteurs rendent ce sketch encore acceptable.

Enfin, "Le spectre" est écrit par Richard Oswald lui-même. Au XVIIIème, siècle, une femme se juge délaissée par son mari, trop occupé par ses travaux d'études. Un homme est accueilli à leur demeure après un accident de calèche. Décidé à séduire l'épouse, il s'attribue des exploits imaginaires. Le mari part à un rendez-vous et laisse le séducteur seul avec sa femme. Des fantômes se manifestent... Ce sketch joue cette fois sur le ton badin de la comédie fantastique, pour un résultat tout à fait sympathique...

CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS est, au final, un film agréable, mais dont la mise en scène souffre d'une certaine platitude. Les épisodes, pourtant courts, durent toujours trop longtemps. La comparaison avec d'autres classiques du film à sketch d'alors (LE CABINET DES FIGURES DE CIRE ou LES TROIS LUMIERES de Fritz Lang) se montre cruelle. Il n'en reste pas moins que ses trois acteurs principaux tirent l'ensemble vers le haut. Oswald tourne encore d'autres sujets fantastiques par la suite, notamment au début des années 1930 où il conçoit des remakes parlants de films célèbres, comme LE CHIEN DES BASKERVILLE en 1929, ALRAUNE en 1930 avec Brigitte Helm. Et même UNHEIMLICHE GESCHICHTEN en 1932, remake de CAUCHEMARS ET HALLUCINATIONS, cette fois avec Paul Wegener ! Juif, Oswald fuit l'Allemagne nazie en 1934 et tourne des films en France ou aux USA, sans connaître de réel succès. Après la guerre, il retourne en Allemagne où il meurt en 1948.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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