Il existe une règle plutôt imparable. Si vous ne savez pas comment installer l'action : démarrez votre film par un plan aérien d'une ville. C'est joli, ça ne mange pas de pain et ça meuble. Par contre, c'est généralement annonciateur d'un certain manque d'originalité. Mauvaise pioche avec ENRAGES qui commence exactement de cette manière.
Ancien journaliste, producteur télé puis patron de boite de production, Eric Hannezo signe avec ENRAGES son premier long-métrage pour le cinéma en tant que réalisateur. Il s'agit du remake franco-canadien de l'un des derniers films de Mario Bava. Réalisé dans le courant des années 70, ce thriller tendu fut d'ailleurs pendant longtemps quasiment invisible avant d'être redécouvert il y a quelques années. CANI ARRABBIATI, le film original, avait la particularité de se dérouler quasi-intégralement dans et autour d'une voiture où un enfant malade, une femme et un cinquantenaire sont retenus prisonniers par quatre malfrats en cavale. Reprenant cette structure centrale, ENRAGES va donc mettre en avant quatre malfrats (Guillaume Gouix, Laurent Lucas, Franck Gastambide et François Arnaud) qui, après un hold-up sanglant, prennent en otage une jeune femme (Virginie Ledoyen) avant d'obliger un homme (Lambert Wilson) à les conduire à la frontière alors que ce dernier transportait sa fille malade à l'hôpital. A première vue, cela semble plutôt similaire à l'original !
Vous qui avez apprécié le côté réaliste et sec du film de Mario Bava, laissez vos espérances à l'entrée du cinéma - si d'aventure vous avez envie de vous y rendre un jour. Hormis ce crime de lèse-Bava, tout est fait par les auteurs pour s'éloigner un maximum du récit claustrophobe d'origine. ENRAGES a eviscéré le ton de CANI ARRABBIATI au profit d'un actionner français lambda. Pourtant, le début demeure une vraie réussite. Générique excitant, léché, quasi james-bondien, attaque sanglante en plein coeur d'une ville, rythmé par une musique pulsante, directement inspirée des tempos transalpins, à mi-chemin entre du Bixio, Frizzi, Tempera ou autres Cipriani avec une touche électro XXIe siècle du plus bel effet. Un rythme en pleine tête, des scènes d'action lisibles... une très belle entrée en matière. Excitant, quoi ! Après... On commence à tiquer avec la prise d'otages au sous-sol d'un centre commercial, avec un Lucas en roue libre. Et dès la cavale, le film part graduellement en sucette. Tourné au Canada, mais évacué de tout accent local et de tout repère au pays de tournage, le film souhaite manifestement s'affranchir de la référence propre à la géographie du lieu. A moins qu'il n'accepte mal sa paternité. Cela n'est pas très clair. Dommage, car le soin évident apporté au cadre en Scope, aux éclairages -tendance gothique rouge flamboyant en intérieur nuit certes gratuit mais très joli à voir- rendent l'ensemble professionnel, travaillé et très agréable à l'oeil et à l'oreille vue la projection cannoise (18 mai 2015) qui mettait en évidence un mixage multidirectionnel surprenant, allié à des basses puissantes.
Le scénario prend des détours curieux et offre des scènes venues de nulle part mais surtout ne servant en rien. Elles font glisser le film vers du n'importe quoi, tendance TRUANDS ou LA HORDE. Cependant, cela ne s'avère pas assez outrancier ou rentre-dedans pour sortir le film du lot. Un buggy suit la voiture pendant l'espace de deux scènes. Un Buggy jaune ? Pourquoi pas une trottinette ou un vaisseau spatial ? Replacée dans son contexte, la scène fait plutôt éclater de rire et tue le peu de tension. On doute que cela soit voulu, tout de même... Idem pour l'arrivée à la grotesque «Fête de l'Ours» ? La Fête de l'Ours ? Cela aurait pu être celle de la choucroute ou la foire au slip que le résultat eut été le même. On comprend le souhait de faire rebondir l'action et de donner à voir un élément hors-norme pour le dernier tiers, une dimension presque THE WICKER MAN. Mais, non, franchement, le grotesque prend le dessus et pas pour le meilleur. Cela permet néanmoins de revoir la trop rare Gabrielle Lazure sur un écran... et de constater que le référentiel fonctionne toujours aussi bien dans le cinéma de genre français (comprendre ici BREAKING BAD, entre autres).
A y regarder de près, ENRAGES se rapproche de LA HORDE. Même scénariste mais il s'agit ici d'un traitement plus soft, avec des dialogues moins balourds et de meilleurs comédiens. Mais la pauvre Virginie Ledoyen se voit réduite à néant : on ne lui donne rien à faire et elle est dotée de lignes de dialogues d'une banalité affligeante. La scène d'échappée en pleine forêt part d'un postulat de base positivement ridicule. il faut quand même assister à la mise en scène pénible et des dialogues entre Franck Gastambide et François Arnaud, laissant le champ libre à la donzelle pour s'enfuir. Ahurissant ! Ainsi, les quatre kidnappeurs ne font jamais peur. Bon, on va dire trois puisque Lucas débarrasse le plancher assez vite. Pourquoi ? Ben parce que ! Un peu comme l'ensemble du scénario qui gonfle de manière artificielle le squelette original de Bava. Après tout, pourquoi pas ? Mais cela donne surtout au film un aspect plus superficielle et inutile. Sans parler des flash-backs rougeoyants, là aussi, sans grand intérêt, qui plombent le rythme et n'apportent rien d'autre que la position de mentor du personnage interprété par Laurent Lucas. Mais là aussi : en retirant ce protagoniste et ces satanés flash-blacks, le film peut tenir debout sans peine. Conclusion : il aurait mieux fallu tailler dans le gras pour se débarrasser de toute scène dont le récit pouvait se passer et se concentrer sur son moteur propre. Ce qui faisait la force et la particularité du film de Mario Bava !
En clair : aucune tension palpable, zéro sentiment de mise en danger. George Eastman faisait de Trentadue, son personnage, un pervers de première, à la fascination morbide. A l'instar du film, tout le côté dérangeant initial est adouci. Ici, son alter ego est juste pathétique, monolithique... Le désir pour le personnage de Virginie Ledoyen demeure aussi fort qu'une envie de cheeseburger allégé. Là aussi, toute la perversité, la peur du viol s'évacue au profit de quelque chose de bien propret. Les auteurs s'adressent visiblement à un autre public vue la direction prise. Lequel, on ne comprend pas bien, mais Mario Bava a pris le chemin de la sortie au profit d'une vision très EuropaCorp, au final. Ce n'est pas le retournement de situation qui rattrape forcément l'ensemble.
Le grand gagnant demeure Guillaume Gouix, talent multiforme montant du cinéma français. Epatant dans POUPOUPIDOU, émouvant dans HORS LES MURS, il apporte à son personnage de Sabri une force furieuse tranquille, rare au cinéma. Il tire indéniablement le film vers le haut et galvanise le récit contrebalancé par un Lambert Wilson en mode calme. Pour le reste, ENRAGES apparait comme un long-métrage opportuniste, déguisé en bande-dessinée/pulp qui s'assume mal. Pas assez jusqu'au-boutiste, risible (le nombre de morts égrainé à la radio !), faisant la part belle à l'action pour masquer un scénario mal ficelé. La caméra a beau jouer le jeu du choc, se donner un air badass à la mode, rien n'y fait. L'ennui prend place. Tout comme la désolation d'un produit qui aurait pu être intéressant, mais qui se sacrifie à une mode de film d'action sans grande âme ni personnalité. On voit par ailleurs assez mal comment le film pourra s'en sortir correctement en salles et tenir sur la distance. Il devrait diviser les amateurs mais laissera très probablement froid le grand public.