Il y a des mauvais films qui restent fun parce que fascinants de par leur essence même. Il existe en outre d'autres mauvais films où même le 36ème degré ne les sauvera pas du naufrage général. Puis certains longs métrages où le seul neurone qui puisse rester après sa vision se suicide sur place. Des sous-catégories à l'infini, en fait. Et il y a un cas à part : une atrocité celluloïdale qui défie le sens commun. C'est TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER (NIGHT TRAIN TO TERROR pour la V.O). Disponible en VHS avec sa sublime jaquette accrocheuse, il disparut corps et bien, n'existant que dans le souvenir vague des bissophiles les plus acharnés. L'éditeur US Vinegar Syndrome le ressuscita en 2013. L'éditeur Le Chat qui fume prend le relais sur le territoire français dans sa collection «Exploitation» pour nous livrer cette improbable chose filmique.
Dans un train à destination de Las Vegas garni d'un groupe de chanteurs/danseurs en folie, Dieu («Dieu» au générique final mais en fait Ferdy Mayne) et Satan («Lu Sifer», pseudonyme de Tony Giorgio) discutent de trois cas spéciaux en se demandant bien qui va pouvoir récupérer les âmes en jeu. Ceci sous l'oeil goguenard du contrôleur (Gabriel Whitehouse). Sur ce canevas assez simple de fil rouge qui peut rappeler les meilleures heures des films à sketch genre ASYLUM ou HISTOIRES D'OUTRE-TOMBE, le spectateur va progressivement constater que sa mâchoire basse le lâche en visionnant un authentique naveton estampillé 80's. Mais pas n'importe lequel. Une véritable escroquerie à l'intégrité d'une oeuvre cinématographique. Voire de trois, puisque TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER va rassembler trois films non terminés/inédits pour diverses raison. En extraire le jus le plus caractéristique, remonter les récits pour l'adapter au besoin de la discussion entre nos deux compères soi-disant maitres des cieux et des enfers.
Il existe deux manières de considérer le film. D'un côté, l'irrespect total de trois oeuvres massacrées pour le plus grand malheur de leurs auteurs et des acteurs ayant joué dedans - et le plus grand bonheur des producteurs se refaisant la santé et remontant le tout en dépit du bon sens. Il faudra repasser pour l'honnêteté artistique. Hormis le côté bricolage artisanal et ré-emballage honteux - mais idéalement vendu- de l'entreprise, il n'y a guère à sauver de ce salmigondis.
De l'autre, le plaisir éminemment coupable d'assister à un catalogue d'horreurs en suspens dans le temps. On ne peut que rester pantois devant un tel travail de sabotage/remontage de films préexistants. Les trois récits (The case of Harry Billings/The case of Gretta Conners / the case of Claire Hansen) proviennent donc de trois longs métrages n'entretenant aucun rapport les uns avec les autres. Soit SCREAM YOUR HEAD OFF (connu aussi sous le titre MARYLIN ALIVE AND BEHIND BARS, péniblement finit par John Carr en 1992), DEATH WISH CLUB (ou GRETTA mais aussi THE DARK SIDE TO LOVE) et CATACLYSM (ou THE NIGHTMARE NEVER ENDS). Vous suivez toujours ? Bien. Donc un croisement audacieux où un exorcisme à coeur ouvert, des trépanations, une gigantesque insecte Tanzanien animé en pâte à modeler font ce qu'ils peuvent pour donner une direction commune. Peine perdue, car il existe déjà pas moins de trois réalisateurs qui ont travaillé sur CATACLYSM, plus John Carr sur les deux autres et Jay Schlossberg-Cohen qui s'empara de l'ensemble pour faire rentrer au chausse-pied les scènes qui l'intéressent. Pas de dénominateur commun… Hormis peut-être la personnalité douteuse du scénariste/producteur Philip Yordan, bien loin de son oscar pour LA LANCE BRISEE. D'ailleurs, Le breakdancer/chanteur du groupe de rock new wave n'est autre que son fils. ce qui en dit long sur l'opportunité d'un tel produit. Népotisme power.
De ce fait, chaque segment est introduit brutalement, avec des voix-off tentant d'expliquer l'imbroglio qui se trame à l'écran. Mais même avec ces explications, les trois sketchs entrent dans un délirium tremens de la meilleure (ou pire) espèce. Aucune logique, aucun sens du rythme, des trous narratifs aberrants, énormes… une absurdité cinématographique constante. Avec cependant toujours à l'esprit de garder les scènes les plus chocs, les plus gore, et celles aux effets spéciaux les plus présents. On assiste donc à un festival d'animations en stop motion (jouissif mais assez médiocre, il faut l'avouer), d'égorgements, d'électrocutions… peu importe le vin, pourvu qu'on ait l'ivresse, semble dire en substance le maitre assembleur de ce joyeux bordel.
Car l'atout principal de cette entreprise demeure de ne jamais ennuyer son auditoire. Heureusement! Et les spectateurs les plus aguerris sauront reconnaitre les quelques têtes d'affiche égarées : au hasard John Philip Law sous hypnose assistant à des tripatouillages chirurgicaux, ou Cameron Mitchell enquêtant sur un criminel qui ne semble pas avoir vieilli depuis quelques centaines d'années. Même si la perspective de passer une bonne soirée pizza/bière/entre potes peut être sympa, il reste possible d'apprécier le plein pouvoir hypnotique de TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER seul face à son téléviseur. l'expérience se révèle «autre» et tout aussi revigorante en cas de déprime. Le ton crétino-chrétien du dernier segment, validé par Christine Boutin, réveillera les instincts le plus bas enfouis au plus profond de chacun. En fait, pourquoi devenir hors-la-loi en se procurant des substances illicites ? Alors qu'il suffit de visionner ce TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER et bénéficier des mêmes effets hallucinogènes.
Le transfert présent sur le DVD français d'une durée totale de 93mn04 se révèle d'une beauté là aussi absurde. Absurde car voir un produit aussi médiocre que TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER bénéficier d'un traitement de luxe, on se demande quelles peuvent être les priorités des éditeurs. Mais quel plaisir pour les yeux. Inespéré et inestimable, le travail opéré donne un lustre classieux à l'ensemble. Des couleurs gothiques rutilantes, des contrastes réussis, le tout allié à des teintes de peau naturelles. Le look estampillé 80's, allant des habits des danseurs jusqu'au mobilier de chaque segment se trouve subitement rehaussé. On distingue aisément les détails de chaque plan. Et les effets de stop-motion du troisième sketch gagnent là aussi en qualité. Il semble en fait que l'éditeur français a récupéré le matériel utilisé par l'éditeur US Vinegar Syndrome, qui a sorti le film en DVD et Blu-ray. Et qui a donc effectué un scan 2K d'une copie 35mm d'origine. D'ailleurs, si vous patientez après le générique de fin, le logo Vinegar Syndrome apparait clairement. Le fan de Bis de base ne pouvait rêver mieux comme source!
Pour les audiophiles, une version originale encodé en Dolby mono sur deux canaux donne aussi le meilleur possible. Le début du générique fait un peu peur, avec les craquements sonores qui ornent le lancement du générique. patience pour que cela s'arrange un peu. La chanson new wave/rock qu'on entend (hélas) à plusieurs reprises pulse et ce sans saturation. On y reconnait assez facilement les paroles prononcées, ce qui dans ce cas est un mal car on se rend compte de la débilité totale de ce qui est ahané ! Dialogues largement audibles, musique limpide... la piste sonore anglaise offre une belle clarté, avec relativement peu de soucis de souffle. On pointera quelques moments médiocres (à partir de 17mn35 où de nombreux craquements surgissent, assez désagréables, en même temps que quelques traces noires verticales). Les divers bruitages et effets d'atmosphère rencontrent également un niveau agréable. Les sous-titres français optionnels complètent le tableau. Pour la version française aux dialogues atomiques, c'est beaucoup moins bon. Un son étouffé, ne faisant que peu fi des bruitages et effets sonores. Assez flagrant sur les dialogues entre Dieu et Satan, et la musique apparait bien plus en retrait. Le plus étant que les craquements sonores cités ci-dessus ne se perçoivent pas.
Le DVD se veut une expérience Bis, dans l'habillage du produit, jaquette et contenu compris. Ca commence par de petits clins d'oeil au lancement de la galette, d'un mini-film vintage américain sur les autorisations de fumer dans le cinéma. Jusqu'au message assez intelligent sur le fait de ne pas pirater les films. De là à savoir si l'efficacité de cet avertissement est meilleure que le reste, on ne sait pas, mais ça reste très bien vu. Un menu élégant rappelle la marque de fabrique imprimée pour les éditions d'ATTAQUE A MAINS NUES et de UNE FEMME DANGEREUSE. Un regret : aucun accès par chapitre depuis le menu.
Côté bonus, un long entretien avec Eric Peretti qui revient de manière très précise, mais hélas un peu monotone sur près de 30 minutes, sur les origines des trois films qui composent ce TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER. Un minutieux puits d'anecdotes pour comprendre (ou pas!) ce qui se trama pour en arriver jusqu'à ce produit unique. Par contre, il s'avère regrettable que les autres bonus présents sur le combo Blu Ray/DVD américain de chez Vinegar Syndrome soient absents ici. Les interviews de Jay Schlossberg-Cohen et du monteur Wayne Schmidt auraient été bienvenues et éclairantes, sans parler de l'intégralité du film GRETTA - voire même des deux autres, aussi déroutants et décousus soient-ils. La galette se garnit aussi des films annonces des autres DVD édités par Le Chat Qui Fume.
En conclusion, il est donc recommandé de monter à bord l'expédition française de ce TRAIN EXPRESS POUR L'ENFER.