Après les succès de DEMONS et DEMONS 2, Lamberto Bava va lâcher le troisième épisode, qui deviendra LA CHIESA, pour suivre l'opportunité de monter sa société et produire une série de téléfilms horrifiques : BRIVIDO GIALLO. Entre-temps, il trouve le moyen de monter un projet de thriller avec une des stars italiennes «hot» du moment : Serena Grandi. Ce sera LE FOTO DI GIOIA, en français "Les Photos de Gioia", jeu de mot sur le prénom de l'héroïne, voulant aussi dire «joie», là aussi à double détente. Le film sera exporté à travers le monde sous le titre de DELIRIUM. Il sortira directement en video en France en VHS, mais demeure inédit à ce jour en DVD (et on ne parle même pas de Blu Ray !). Heureusement, Shriek Show a effectué une édition DVD aux USA. Et Gioia devient Gloria dans la version doublée anglaise.
Gioia (Serena Grandi), ancienne modèle, est propriétaire du journal coquin Pussycat. Aidé de son frère (Vanni Corbellini) et de son amie Evelyn (Daria Nicolodi), elle vole de succès en succès. Pourtant, l'une de ses mannequins (Katrine Michelsen) est retrouvée assassinée d'un coup de fourche. Son cadavre est par ailleurs photographié devant l'un des anciens portraits nus de Gioia.
Lamberto Bava réunit son équipe quasi habituelle. Gianlorenzo Battaglia à la photographie, avec qui il collabore depuis plus de 10 ans, notamment depuis l'écriture du premier jet de ONDATA DI PIACERE en 1977. Simon Boswell à la musique, Rosario Prestopino pour les effets spéciaux, Antonello Geleng comme directeur artistique. Ainsi que certains acteurs ayant déjà accompagné le maître. Karl Zinny est d'abord le frère de Veronica Zinny, la petite chipie de BAISER MACABRE, et qui vient de tourner DEMONS. George Eastman appelé en dernière minute pour un petit rôle sortait de BLASTFIGHTER, Lino Salemme a quant à lui participé à DEMONS, DEMONS 2 et UNA NOTTE AL CIMITERO. Pour compléter la tribu Bava, des noms de choix qui fleurent bon le produit transalpin. Daria Nicolodi, l'ex-compagne de Dario Argento, coscénariste de SUSPIRIA et actrice dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, INFERNO ou encore PHENOMENA. David Brandon, ancien danseur anglais reconverti dans le cinéma en Italie notamment dans BLOODY BIRD, CALIGULA LA VERITABLE HISTOIRE et qui travaillera lui aussi à plusieurs reprises avec Lamberto Bava, notamment sur PER SEMPRE ou encore LE PRINCE DE LA TERREUR. Enfin, une surprise : Capucine, qui après sa carrière française et américaine, échoua sur les rivages italiens pour jouer une propriétaire de journal olé-olé.
DELIRIUM reste aujourd'hui un film qui se traîne une sale réputation. Un Giallo érotique qui fait la part belle à la généreuse et pneumatique Serena Grandi sous toutes ses coutures. Sous l'œil avisé du célèbre photographe Angelo Frontoni qui s'ingénia à immortaliser au long de sa carrière les plus belles femmes du monde, de Gina Lollobridgida à Sophia Loren, en passant par Jane Fonda, Ursula Andress et jusqu'à Monica Bellucci. Miss Grandi venait de connaître coup sur coup quelques succès : MIRANDA de Tinto Brass, DESIDERANDO GIULIA d'Andrea Barzini et LA SIGNORA DELLA NOTTE de Piero Schiavazappa. Ce fut tout naturellement qu'elle retrouve propulsée en tête de distribution pour un thriller à forte tendance érotique. Avec une histoire de l'inusable Luciano Martino, Bava élabore une histoire qui injecte quelques visions originales : celles du tueur, aux couleurs changeantes et à l'obsession de femmes aux visages monstrueux – se rapprochant ainsi des représentations picturales du peintre Savini. Tout en préservant la partie «charme» du métrage, assez peu avare en débordements féminins en tous genres.
La structure narrative demeure classique. Multitudes de fausses pistes, jeux sexuels, meurtres phalliques, chair féminine en délire. De l'handicapé en fauteuil roulant, de rêves prémonitoires, attaques nocturnes, femme en danger, mystifications… avec révélation du meurtrier et ses motivations (enfin, plus ou moins) en dernière minute. Et un rebondissement final. On se retrouve en terrain connu. Bava y ajoute sa touche personnelle. D'abord avec les visions psychédéliques du meurtrier, mais surtout sa préférence de suspense en endroits clos. Une marque de fabrique qui trouve son ancrage dans BAISER MACABRE, se poursuivant avec brio dans LA MAISON DE LA TERREUR – où les thématiques étaient beaucoup plus riches-, voire même dans l'hôtel abandonné de MIDNIGHT HORROR, la maison du scénariste du PRINCE DE LA TERREUR. Quelques jolis effets photographiques, une utilisation solide de la steadycam apportent un rythme régulier qui donne un look moins cheap que le téléfilm MIDNIGHT HORROR, par exemple. Ca ne fait pas pour autant un vrai bon film. DELIRIUM ne renouvelle pas le genre, loin s'en faut. Il s'agit d'une résurgence tardive, tendance exploitation, bâti autour de la simple présence de Serena Grandi. Le film mêLe sexe et violence de manière relativement soft, par ailleurs – une influence de la télévision italienne qui FINIRA par éviscérer le film bis italien dès le milieu des années 80. Les plus fins verront quelques clins d'œil à 6 FEMMES POUR L'ASSASSIN et ses mannequins presque animés.
A y regarder de plus près, DELIRIUM demeure un beau concentré de sexualité faussement transgressive et de pulsions refoulées. Une ode à la pénétration sexuelle inavouée ! Car de la pénétration de chair et des paraboles phalliques, on en trouve par louchées entières. On ne peut montrer du sexe en action de peur de verser dans la pornographie ? Pas de problème. Versons dans la violence. Soft, certes, mais lourde d'imagerie psychosexuelle. Hormis l'hommage brut de décoffrage à FENETRE SUR COUR, quid du long télescope qui observe Gioia et ses amies, hein ? La fourche qui pénètre le ventre de la pauvre Katrine Michelsen. Le dard des abeilles qui pénètrent violemment le corps dénudé de Sabrina Salerno – pas encore célèbre pour ses seins débordant de générosité dans le clip "Boys Boys Boys" qui la rendit mondialement célèbre. Absence de pénétration hétéro = catalogue de frustrations. Tout d'abord le frère de Gioia qui n'y arrive décidemment pas avec les femmes. Le photographe, gay et qui court les aventures, ça ne finira forcément pas très bien pour lui. L'adversaire de Gioia, Flora, une lesbienne inassouvie de désir. Le voisin voyeur qui vient hanter les nuits de Gioia avec une sorte de lampe-torche-godemiché luminescent qui glisse entre ses cuisses. Et le climax final, avec ce couteau qui tente de perforer la belle Gioia et que tout finira en éjaculation sanglante sur son corps meurtri. Un beau catalogue de sexualité déviante qui mène au mal. Car rien ne vaut quand même une bonne levrette ou un bon bain régénérant avec George Eastman. On est sûr de ne pas avoir de problème. DELIRIUM ou l'appel à la sexualité normative.
Appréhender DELIRIUM comme dépense d'énergie inutile ou petite gemme hyperbolique d'un genre en fin de vie dépend de l'humeur, de litres de café absorbés avant la vision, d'un état d'ébriété avancé ou simplement l'esprit ouvert à toute expérience de cinéma bis. La mixture est loin d'être indigeste, même s'il faut bien comprendre que le film reste bien médiocre et manquant d'une quelconque cohésion. Heureusement qu'on peut compter sur des seconds rôles charnus et interprétés par des Nicolodi, Eastman et Brandon au top de leur forme. Cela compense les faiblesses d'un scénario paresseux, d'un nombre de morts assez sage et d'un formatage qui explique le fait que le film passait régulièrement à la TV italienne. Sexe & Violence pour tous, quoi. Mais quelques éclairs visuels, l'ambiance chaudes copines du samedi soir et le rythme somme toute régulier laisse une impression de produit certes faisandé, mais hautement consommable pour les pervers polymorphes que nous sommes. Et en le comparant à d'autres Gialli des années 80/90, DELIRIUM se hisse sans peine au-dessus d'un CARAMELLE DA UNO SCONOSCIUTO, voire de l'abominable FATAL FRAMES.
Le DVD codé Zone 1 de chez Shriek Show a été édité en 2002. Pas de nouvelle édition n'a pointé le bout de son nez depuis. 1.85:1 et 16/9, d'une durée complète de 90mn14 et un accès via 12 chapitres : un minimum assuré. Maintenant, le nirvana visuel reste rarement atteint. La version anglaise est seule disponible, avec un doublage de la plupart des protagonistes. Pour les plus fins limiers, dirigez-vous vers la VHS française de chez GCR : il faut entendre l'hilarante voix française de Sabrina avec un accent italien à couper au couteau : mémorable ! A noter qu'il ne faut pas confondre avec l'autre film italien nommé DELIRIUM de Renato Polselli, redoutable mais sympathique zèderie nommé DELIRIO CALDO.
Le télécinéma se révèle rarement agréable à l'œil. Faute à une définition médiocre et quelques effets de peigne : le transfert accuse le nombre des années et un qualitatif insuffisant. Cependant, l'ensemble demeure assez clair, rendant bien compte de cette espèce de photographie quelque peu vaporeuse, typique des productions italiennes de cette décade. Et une belle emphase sur la retranscription des couleurs saturées lors des scènes de meurtre. Un goût gothique qui transparait parfaitement à l'écran. Les nombreuses scènes de nuit sont dotées de jolis contrastes. Quelques poussières se montrent ici et là depuis la source originale, mais on ne note que très peu de grain et traces de compression.
La piste audio anglaise est en mono 2,0. Dommage, car le mixage italien d'origine a visiblement été réalisé en Dolby Stereo pour sa sortie transalpine. Ceci dit, toutes les sorties VHS ou DVD à travers le monde ne bénéficient que d'un mixage mono Quelques chuintements et sifflements le long du film, surtout dans le déclenchement de la bande sonore élaborée par Simon Boswell. Elle est tonique en diable, rythmée, puissante, mais sature un peu trop par moments. Egalement, un souffle notable se dégage dans les scènes muettes. Hormis ce souci, les dialogues restent facilement audibles.
Le plus vient des bonus tournés pour l'occasion. Un entretien avec Lamberto Bava : toujours aussi affable, abondant en commentaires et les conditions réunies pour le tournage. George Eastman ne semble pas vraiment se souvenir grand chose du film même, l'ayant fait par pure amitié pour le réalisateur – ce qui lui a en outre permis de se retrouvé réuni avec Serena Grandi, qui avait tourné dans ANTHROPOPHAGOUS – la femme au fœtus arraché, c'est elle. Enfin David Brandon, peu à l'aise devant la caméra, parle lui aussi de sa carrière mais reste assez discret sur DELIRIUM. Dommage que l'interviewer soit assez mauvais en italien et ne pose pas vraiment de questions intéressantes. Ce qui donne quelques moments d'incompréhension totale de la part des trois acteurs/réalisateurs. Pas très pro.
L'édition est complétée par les biographies des principaux interprètes, des photos shoot et des films annonces du catalogue de l'éditeur, mais hélas, pas pour DELIRIUM. A noter que Shriek Show a ressorti le film dans une Box «Psycho Killer» en compagnie de BEYOND THE DARKNESS (BLUE HOLOCAUST chez nous) et HOUSE OF THE EDGE OF THE PARK (LA MAISON AU FOND DU PARC).