Alors que le Congo Belge est en train de regrouper ses colons, le Président Mwamimi de la toute nouvelle République Démocratique du Congo prend contact avec le Capitaine Curry. Mercenaire de profession, celui-ci se voit alors offrir une coquette somme en échange d'une mission quasi-suicidaire : Rapatrier du Katanga les derniers occidentaux dont la vie est menacée, ainsi que 50 millions de dollars en diamants. Pour cela, Curry va réquisitionner un train et une quarantaine de militaires. Parmi eux, un Sergent d'origine congolaise, un jeune Lieutenant, un toubib alcoolique et un ex-officier nazi. Le train s'élance sur les rails mais très vite, il se heurtera aux forces rebelles et sanguinaires du Général Moses...
Né en Rhodésie du Nord en 1933, l'écrivain Wilbur Smith aura passé la majeure partie de sa vie sur le sol africain. Au travers d'une trentaine de romans, il aura raconté l'histoire du continent, par le biais d'aventures fortement nourries de faits réels. La moitié de ces romans mettait en vedette les familles fictionnelles que sont les Courtney et les Ballantyne, pour des aventures allant du Natal au Cap, sans oublier la Rhodésie du Sud. Une poignée d'autres romans se focalisera sur l'Egypte alors que la dizaine de bouquins restants abordera d'autres contrées africaines, et d'autres époques. «Le dernier train du Katanga» («The dark of the sun» en version originale) est de ceux-là et traite de ce que l'Histoire a nommé «La crise congolaise». Le roman pointe plus particulièrement l'une des composantes de cette crise que fut la guerre de sécession avec la province du Katanga, située tout au sud de la République Démocratique du Congo. Riche en minerais de tous genres, cette province décrète son indépendance dans la foulée du 30 juin 1960, date à laquelle le Congo Belge n'est plus. Cette tentative de «détachement» de la République Démocratique du Congo ne sera jamais reconnue sur le plan international et l'instabilité du pays donnera lieu à de nombreux actes de violence, y compris au sein du «gouvernement»...
Paru en 1965, «Le dernier train du Katanga» situe donc son action durant cette période houleuse, alors qu'il convient de faire sortir les derniers colons et, surtout, les richesses restées sur place. Très rapidement, les droits du bouquin seront récupérés par l'industrie cinématographique anglaise et Ranald MacDougall sera chargé de la création d'un script. Essentiellement connu pour ses travaux en tant que chef opérateur (L'ODYSSÉE DE L'AFRICAN QUEEN, LE NARCISSE NOIR, GUERRE ET PAIX etc.), le britannique Jack Cardiff hérite pour sa part de la réalisation. Il sera un temps envisager de mettre en boite le métrage au Congo mais très rapidement, l'évidence s'impose : Les chemins de fer sont pour la plupart inaptes et la situation du pays rendrait le tournage bien trop risqué. Ce sont donc les splendides paysages jamaïcains que les spectateurs pourront contempler sur toute la durée du métrage...
Devant la caméra, nous trouverons tout d'abord l'australien Rod Taylor dans le rôle du Capitaine Curry. Gueule burinée, physique solide, l'acteur aura interprété une bonne cinquantaine de rôles durant sa carrière. Les amateurs de cinéma fantastique se souviendront cependant essentiellement de ses prestations au sein des deux classiques que sont LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS de George Pal et LES OISEAUX d'Alfred Hitchcock. Dans LE DERNIER TRAIN DU KATANGA, Taylor crève réellement l'écran et affirme une présence incroyable, à la fois brutale et animale. Sa carrure est ici mise à profit, de même que ses aptitudes physiques. L'acteur sera ainsi régulièrement au cœur de l'action, héritant au passage de quelques blessures mais offrant en contrepartie un réalisme notable aux cascades. Alors qu'il se voit donc interpréter l'un des meilleurs rôles de sa carrière, Taylor est secondé à l'écran par une force de la nature, un footballeur noir américain du nom de Jim Brown. Ayant déjà d'une belle carrière de sportif à son actif, ce dernier se lance dans le cinéma et obtient un rôle d'importance dans l'équipe des DOUZE SALOPARDS. Lors de la sortie du film dans les salles, et alors qu'il enchaîne donc avec un nouveau film de guerre, Jim Brown annonce qu'il met un terme à sa carrière de sportif. Assurément une grande idée puisque le bonhomme connaîtra alors une seconde vie en devenant l'une des figures marquantes de la «Blaxploitation» !
S'il apparaît lui aussi comme un «dur à cuire» au sein du DERNIER TRAIN DU KATANGA, Jim Brown n'en hérite pas moins d'un personnage particulièrement intéressant. Dans le rôle de Ruffo, il est la conscience du mercenaire Curry, mais également l'histoire d'un peuple et d'un pays. A travers lui, c'est le Congo qui nous est raconté avec ses contrastes, sa violence et sa progression vers un univers plus «civilisé». Voilà bien là le rôle le plus riche du métrage, celui qui se fait véhicule de l'humanité et d'un certain espoir... L'horizon de Ruffo sera toutefois obscurci par la présence d'un autre personnage, le nazi Henlein. L'acteur Peter Carsten prête sa «gueule» à cet individu méprisable, malheureusement inspiré d'un véritable ex-officier de la Wehrmacht devenu mercenaire et connu sous le nom de Siegfried «Kongo» Müller. Vicieux et sans aucune pitié, l'alter-ego cinématographique s'opposera très rapidement à Curry et Ruffo, s'imposant comme un monstre aussi dangereux que les forces rebelles du Général Moses. Nous noterons à ce sujet que dans la version allemande du métrage, le Capitaine Curry (renommé Willy Krüger) est également un ex-officier de la Wehrmacht et que le contentieux qui l'oppose à Henlein nous est décrit comme datant de la Seconde Guerre Mondiale ! Curieux.
Bien que porté par son background historique et son trio de personnages, LE DERNIER TRAIN DU KATANGA n'en est pas moins un film d'aventure et de guerre, comme tant d'autres à l'époque. Tant d'autre ? Non, pas réellement. Car sous de nombreux aspects, le métrage de Jack Cardiff reste assez unique en son genre. Dans sa mise en scène tout d'abord, particulièrement dynamique et aujourd'hui encore très moderne. La séquence de préparation du fameux train est à ce titre une très belle démonstration. Le montage est précis, très découpé, et les acteurs sont rendus muets par le bruit assourdissant des machines. L'excitation monte, l'urgence se fait sentir, tout comme l'investissement du Capitaine Curry... Dans un registre proche, le film ne fait que peu appel aux effets spéciaux. Les séquences d'action et d'explosion ont beau être nombreuses, elles restent visuellement très réalistes et jamais le spectateur du 21ième siècle ne remettra en question leur authenticité, exception faite d'incrustations optiques lors d'un dialogue en voiture et d'une portion de la séquence des lianes.
Enfin l'un des traits les plus notables du DERNIER TRAIN DU KATANGA, celui qui hantera le souvenir de nombreux spectateurs, est bien évidemment son incroyable sauvagerie. Sorti dans les salles en 1968 également, LES BERETS VERTS mettait bien en scène quelques soldats transpercés se vidant d'un sang rouge vif mais rien qui puisse égaler de près ou de loin les images dévoilées ou suggérées dans le film de Jack Cardiff. L'homme étendu à côté de sa jambe tranchée, le wagon bourré de passagers massacrés, le fameux combat à la tronçonneuse (repris sur l'affiche), les enfants abattus et la vengeance rageuse de Curry sont autant de séquences inoubliables, tout simplement gravées dans l'esprit des spectateurs. Le film sera du reste lourdement critiqué à ce sujet lors de son arrivée sur les écrans. Aux reproches qui lui seront faits, Cardiff répondra tout simplement que son métrage est loin de dévoiler les véritables violences dont est victime le Congo...
Bien que la remarque soit pertinente, le film restera en quelque sorte «prisonnier» de cette image de «film choc», les spectateurs oubliant alors bien vite les performances d'acteurs (Curry pleurant la mort de son ami), les sentiments d'oppression (l'incursion dans le bar), de panique (l'attaque du train) ou encore de démence (la folle course de la jeep) véhiculés par le film. Maîtrisé de bout en bout, LE DERNIER TRAIN DU KATANGA est plus qu'un «plaisir coupable» comme le qualifie Martin Scorsese. C'est un excellent film d'aventure, une incursion bestiale dans l'Afrique de l'époque, ainsi qu'une galerie de personnages convaincante. Une belle réussite donc.
Longtemps attendu en DVD, LE DERNIER TRAIN DU KATANGA s'est tout d'abord invité en Thaïlande avec un disque douteux à bien des égards, proposant la version originale, un doublage local et un sous-titrage thaïlandais inutile pour nous. C'est ensuite du côté des Etats-Unis que le film est récemment devenu «accessible», via la collection Warner Archives, à savoir donc par le biais d'une galette «à la demande», assez onéreuse et dénuée de sous-titres. Enfin, l'éditeur espagnol Suevia Films s'est penché sur le métrage en octobre 2011. Sorti de manière plutôt confidentielle, le disque est pourtant un petit événement pour les cinéphiles francophones puisqu'il dispose, et ce contre toute attente, d'un sous-titrage dans notre langue ! Celui-ci se montre très correct bien que ponctué de quelques fautes d'orthographe. Le caractère spécial «œ» pose également un petit souci d'affichage, deux fois avec le mot «cœur», et deux avec le mot «sœur». Enfin curieusement, durant le passage qui suit le meurtre des enfants, les propos du nazi sont assez mal traduits, le «ils» prend la place du «vous» et le monologue devient difficile à comprendre. Reste qu'au final, ce ne sont qu'une poignée de petits désagréments, bien vite oubliés face à l'opportunité qui nous est offerte.
Sur le plan sonore, nous aurons droit au doublage espagnol, ainsi qu'à la piste originale anglaise. L'ensemble n'a rien de tonitruant mais les pistes sont parfaitement claires et restituent bien l'action. Aucun défaut notable donc. On précisera pour ceux qui ne connaîtraient pas le film que quelques courts dialogues sont en français, ce qui est bien évidemment normal puisqu'on parle de l'ex-Congo belge. Durant ces passages, le sous-titrage français sera fort logiquement absent.
L'image proposée par le DVD de Suevia Films est d'assez bonne tenue. Elle respecte le ratio 2.35 d'origine et s'affiche par le biais d'un transfert 16/9ème à la définition honnête. Bien évidemment, nous avons là un certain nombre de griffures et tâches, mais la copie demeure satisfaisante. Les couleurs sont vives et plutôt naturelles, bien que l'on note des variations au sein de certaines scènes. Au final, cette copie et le disque dans sa globalité se montrent donc parfaitement recommandables, d'autant qu'on y trouve en bonus la bande-annonce d'origine.
La suite de ce texte aborde le sujet des «coupes» et contient des révélations quand à l'intrigue du film.
Comme nous l'avons dit, LE DERNIER TRAIN DU KATANGA est un film d'une violence assez surprenante. Malgré ça, le spectateur en demande toujours davantage et nombreux sont les internautes évoquant l'existence d'une version plus explicite encore. Certains annoncent même qu'une version longue, propriété de Quentin Tarantino, aurait fait l'objet d'une projection privée en 2001 ! En tout état de cause, ces affirmations semblent assez peu probables et alimentées par le pouvoir de suggestion du film, ainsi que par le livre, plus explicite dans ses descriptions. Parmi les séquences qui reviennent souvent comme étant «coupées», on citera tout d'abord la mort des deux enfants et une nonne dévorée par un crocodile. Il semble cependant évident à la vue du film qu'allonger ces deux scènes n'aurait aucun sens et que l'insertion de plans supplémentaires serait assez mal venue. Dans le cas des deux enfants par exemple, les coups de feu retentissent alors que Curry et Ruffo discutent. Jack Cardiff prend alors grand soin de préserver la raison des coups de feu, et la révélera en même temps aux spectateurs et aux deux héros. L'effet escompté tomberait complètement à plat si des plans «explicites» étaient dévoilés avant cela...
Il en va de même pour une séquence d'amour présumée violente entre Curry et Claire, jouée par l'actrice Yvette Mimieux. Bien qu'un certain nombre de photographies promotionnelles d'époques dévoilent effectivement un tel rapport, il est tout de même très improbable qu'une séquence de «jambes en l'air» ait un jour trouvé sa place au sein du film de Jack Cardiff ! Il semble donc que nous naviguions là en pleine manœuvre commerciale... Abordons maintenant le cas du viol homosexuel, au sujet duquel les spectateurs en réclament manifestement davantage. En l'état, la séquence semble pourtant déjà parfaitement claire quant aux intentions des rebelles, face à un jeune Lieutenant auquel ils viennent de claquer le cuissot ! Que demander de plus ? Sombrer dans le Bis transalpin en faisant claquer les slips ? Là encore, nous doutons fort qu'une scène plus explicite ait été tournée en 1968 du côté de la Grande-Bretagne.
Enfin, la dernière séquence sujette à controverse est aussi la seule qui, effectivement, puisse semer le doute. Lors du final, Curry semble s'acharner et poignarder à plusieurs reprises le torse de Henlein. Un soldat congolais assiste à la scène et son visage se décompose à la vision de l'horreur. Puis, dans le plan suivant, Curry se lave le visage et les mains dans la rivière. S'en suit un dialogue entre les deux hommes, le jeune soldat accusant Curry d'un crime atroce, l'acte d'un sauvage. Bien que la chose ne soit pas si évidente, on évoque là un dialogue qui survient en début de film, entre Curry et Ruffo. Ce dernier explique alors comment jadis, son peuple ignorant pouvait aller jusqu'à dévorer le cœur des vaincus. Autrement dit, la fin du DERNIER TRAIN DU KATANGA ne nous suggère rien d'autre qu'un acte cannibale dément, conduisant Curry au renoncement et à la cour martiale. Là encore, l'idée est habilement suggérée mais guère montrée. On peut y voir la volonté d'un réalisateur habile, ou imaginer qu'un film de cette époque eut dévoilé un héros arrachant et se nourrissant d'un cœur encore chaud. Difficile à nos yeux de croire en cette seconde théorie tant le film y aurait perdu en crédibilité et sombré dans le grand-guignolesque... Au final et vous l'aurez compris, les copies aujourd'hui en circulation nous semblent être le reflet du film livré par Jack Cardiff en son temps, ce qu'atteste du reste en terme de durée le certificat de la BBFC (le comité de classification britannique des films). Enfin, il est bon de rappeler qu'il existence une différence de durée entre les DVD américains de Warner et le disque espagnol de Suevia. Cela n'a rien à voir avec des coupes puisqu'il s'agit seulement d'une différence de défilement de l'image, le disque espagnol étant en PAL alors que le DVD américain est en NTSC.