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Critique du film
DRIVE 2011

 

Cascadeur pour le cinéma le jour, le «Driver» (Ryan Gosling) fait le chauffeur la nuit pour la pègre de Los Angeles. Se prenant d'affection pour sa jolie voisine, il accepte de participer à un hold-up avec le mari de cette dernière.

Un an après que le projet ait été annoncé dans les marchés du film, DRIVE était très étonnamment cette année en compétition à Cannes. Une preuve de l'attention grandissante portée à son metteur en scène, le danois Nicolas Winding Refn. Autodidacte, l'homme est révélé par le polar sec et ultra réaliste PUSHER qui secoue le box office local en 1996. Il enchaîne avec BLEEDER et INSIDE JOB (alias FEAR X), une co-production canadienne avec John Turturro. L'échec commercial de ces deux films (ils n'ont d'ailleurs jamais été distribués en France), accule Winding Refn a une situation financière catastrophique. Ruiné, totalement déclassé aux yeux de l'industrie son pays, le cinéaste s'oblige à écrire et réaliser deux séquelles à son PUSHER. L'élaboration de ces projets de la dernière chance est d'ailleurs capturée par l'excellent documentaire GAMBLER. Malgré leurs origines purement commerciales, PUSHER 2 et PUSHER 3 sont d'excellents films où le style nerveux de la mise en scène de Winding Refn éblouit à chaque instant. Revenu sur le devant de la scène au Danemark, il enchaîne avec BRONSON et LE GUERRIER SILENCIEUX, deux films radicaux qui l'imposeront comme un auteur moderne aux yeux de l'international.

Avec DRIVE, le cinéaste signe son premier film américain. Adapté d'un court roman de James Sallis, le film est d'abord pensé comme un véhicule pour le comédien Ryan Gosling, nominé aux Oscars en 2007 pour sa performance dans HALF NELSON de Ryan Fleck. En souffrance d'un réalisateur, c'est Gosling qui suggère aux producteurs le nom de Nicolas Winding Refn à la mise en scène. Un choix qui va immédiatement placer le film à un niveau artistique bien supérieur à ce qu'il aurait dû être. En effet, DRIVE est sur le papier terriblement classique. Le «Driver» est un as du volant qui va tomber amoureux de sa voisine (la jeune Carey Mulligan) et se retrouver avec un contrat sur sa tête à l'issue d'un casse foireux. Bien entendu, le contrat est diligenté par ses anciens employeurs, des mafieux hauts en couleurs campés par Albert Brooks et Ron Perlman. La deuxième moitié du film est donc un espèce de film de vengeance où le «Driver» va méthodiquement éliminer les chefs mafieux tout en essayant de rester en vie durant les attaques menées par des hommes de main.

Dire que l'on a déjà vu cette trame scénaristique mille fois serait un euphémisme. La force de DRIVE ne vient que de sa mise en scène, le film n'étant qu'une sorte de gigantesque concept de re-digestion de série B américaine vu par les yeux de Nicolas Winding Refn. On avait fantasmé à l'annonce du projet que DRIVE serait un film de «poursuites en voitures» réinventé par le statisme élégant et immersif de Winding Refn. Ce sera le cas, mais uniquement sur la séquence d'ouverture. Cette scène, qui voit le «Driver» se faufiler au volant entre les mailles de la police après un braquage, est un mini chef d'œuvre de mise en scène. Totalement pensée à contrario des standards préexistants (le «Driver» passe plus de temps à attendre dans l'ombre qu'à appuyer sur le champignon), cette séquence de «poursuite» nous fait complètement redécouvrir les enjeux d'une scène d'action automobile. Passé ce coup de maître placé en tout début de film, Winding Refn semble nous dire que ce fantasme de film de «poursuites de voitures», il sait déjà le faire. La suite du film sera consacrée à la vision, parfois ironique, de Winding Refn vis-à-vis du cinéma américain. Un cinéma volontairement putassier, totalement balisé, gentiment crétin mais doté d'une efficacité et d'une force de transgression sans commune mesure.

Après Mads Mikkelsen qui interprétait dans LE GUERRIER SILENCIEUX un héros mutique inspiré du Snake Plisken de NEW YORK 1997 et des personnages de Clint Eastwood dans les westerns de Sergio Leone, Winding Refn poursuit son idée du «héros ultime» avec ici Ryan Gosling. Toujours mutique, parfois même falot, ne possédant même pas de nom, le «Driver» n'est caractérisé que par la mise en scène qui le sur-iconise en permanence. Sur la route d'un scénario déjà tout tracé, le personnage ne s'exprime que par l'ultra violence. DRIVE est un film tellement outrancier dans ses débordements sanglants que l'on pourrait le qualifier de film gore. Le «Driver» éventre ses ennemis sur des tubes en acier ou éclate des têtes à coup de pied jusqu'à ce que la cervelle explose sur le sol et les murs. Des scènes sanglantes absolument grotesques participant au concept de «raclure de vidéo-club» que Winding Refn veut donner à son film.

DRIVE est donc un étrange film. Une commande jouissive et souvent époustouflante, signée par un metteur en scène nous rappelant à chaque instant que le cinéma américain, outre son décorum et sa liberté graphique, est un cinéma idiot. DRIVE souffle sans arrêt le chaud et le froid, le sérieux et le décalé, le premier et le second degré. Une dualité y compris présente sur le générique de début du film, où des synthés roses très «Vice City» apparaissent au son vintage et délicieusement désuet de «Nightcall» du groupe électro Kavinsky. Il faut apprécier DRIVE pour ce qu'il est, une sorte d'épisode d'«Hollywood Night» revu et corrigé par l'un des plus talentueux réalisateurs de sa génération et accessoirement grand théoricien de la série B. DRIVE offrira à son réalisateur un très mérité prix de la mise en scène au festival de Cannes 2011.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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