Underground : littéralement «sous le sol» ou encore «souterrain». Par extension, la culture s'est appropriée le terme en le qualifiant d'alternatif, à l'inverse de la culture de masse. Donc, quoi de plus sous-sol qu'Harmony Korine ? Les connaisseurs de GUMMO ou encore de JULIEN DONKEY BOY en sont pour leur frais avec son nouvel opus TRASH HUMPERS («Les baiseurs de poubelles» : allez donc exploiter ce titre en salles). Présenté au Marché du film à Cannes, le film n'a pour l'instant pas vraiment trouver preneur. Il faut dire que Korine a pris tout le monde à rebrousse-poil : tournage avec une vieille caméra VHS, image dégueulasse, son pourri, acteurs en surrégime et scénario qui part d'un de ses souvenirs de jeunesse. A savoir la vision de trois vieillards ivres morts lutinant des poubelles en pleine nuit à Nashville.
De là à savoir s'il faut prendre le film comme exutoire de Korine face à des producteurs avec lesquels il a été en désaccord ? Entre acharnement thérapeutique, atteinte au bon goût et agression du public, TRASH HUMPERS pose ses bornes comme un chien dépose sa crotte toutes les trois heures. TRASH HUMPERS, c'est la poésie de la décharge.
La décharge publique, d'abord. De divagations géographiques en zonage nawak sur terrain vague, sous des ponts, dans les recoins du sale et du désœuvrement.
La décharge victorieuse dans des poubelles, dans des arbres, dans des tuyaux qui traînent… partout où les vieillards peuvent donner des coups de hanche, ils foncent et ils déchargent à grands cris, rires vicieux, ahanements rauques et dérangeants. Pas avec des humains, en tous cas.
La décharge d'adrénaline en allant jusqu'à commettre un meurtre (ou deux) pour le fun de l'acte.
TRASH HUMPERS : également la société s'est déchargée de ces rebuts d'humanité. Naviguant entre du White Trash et des gâteux en pertes de repères, le film n'hésite pas à mettre son nez partout où ça sent mauvais. Il faut dire que Korine en rajoute une méchante couche en filmant à l'aide d'une vieille caméra VHS. Image vidéo saccadée, avec les indications d'avance rapide/retour en arrière rapide qui apparaissent ça et là le long du film. Donnant une vague indication sur les raccords chronologiques – s'il en existe, par ailleurs. L'abandon de repères couplé à la crasse visuelle volontaire et au laid empathique donne une sorte d'anti-film qui avait toute sa place dans un festival comme le LUFF.
Une fois ceci posé, on a quand même un peu de mal à comprendre la finalité de l'ensemble. Il est assez facile d'identifier des acteurs étant grimés à l'aide de masques à la limite de la répugnance pour exagérer le propos. Les dialogues oscillent entre borborygmes, couinements, chansons décalées répétées ad nauseam. Tout semble fait pour rebuter le spectateur le plus aguerri. Remettre la VHS au goût du jour, ça n'est pas qu'une simple provocation gratuite ou de travailler sur un moyen filmique n'ayant plu cours (ou presque) pour faire «merde» au monde cinéma. D'autant qu'il y a derrière Agnès B. à la production exécutive du film, il y aura donc un relent/une velléité d'œuvre artistique ? Contestataire ? Rebelle ? Artiste esseulé et incompris ? On se demande à qui se destine le film. Pas au grand public : qui voudrait bien payer sa place pour aller voir trois acteurs outrageusement maquillés en vieux en train de baiser des poubelles ?
D'autant que vendu tel quel, le spectateur lambda a toutes les chances de trouver l'ensemble rébarbatif. Narration chaotique et volontairement floue, les motivations du trio paraissent vaines si ce n'est une violence gratuite et la destruction à tout prix. Le ton reste ironique, l'ambiance parfois horrifique mais la caméra évite soigneusement le jugement de valeur, tout en soulignant en filigrane le côté fun de cette vie bordélique. Korine ne sait cependant pas vraiment finir son film et la scène finale, au diapason du reste dans le non-sens, provoque plus d'agacement qu'autre chose.
Il existe pourtant quelques scènes autres qui transportent le film dans un ailleurs tout aussi glauque, mais où Bunuel semble pointer le bout de son nez. Sur un toit d'immeuble, un homme habillé en soubrette déclame un poème à la gloire de ces TRASH HUMPERS. Il finira le crâne éclaté. Un individu attaché à une chaise se fait étouffer dans un sac plastique. Pourquoi ? Parce que. Pourquoi pas, après tout. La rédemption (ou le salut, comme on le sent) vient par une enfant dans un landau après une longue citation s'adressant à Dieu. Premier degré, ou 36ème, peu importe. Ce puzzle de sous-vie américaine peut irriter, surprendre, provoquer l'admiration d'un pari aussi osé ou la répulsion totale, il ne peut rencontrer l'indifférence. Un pari déjà gagné. Maintenant, TRASH HUMPERS est rigoureusement inexploitable, hormis peut-être comme pièce de contre musée ou en virtuelle séance de minuit. Ca reste purement une bête de festival. Mais on se prend facilement au jeu, si on met le soin de bien mettre de côté ses références du beau et du cinéma le temps des 78 mn du métrage. Mais tout ça pour quoi ?