Hideo est un quadragénaire partageant son quotidien avec Nozomi, sa poupée gonflable. Il lui raconte ses déboires, lui ouvre son cœur, l'habille, la lave et, bien évidemment, s'épanouit sexuellement en sa compagnie. Ce qu'il ignore, c'est que sa poupée n'est pas ordinaire. Elle est pourvue d'un cœur et lorsqu'Hideo part au travail, Nozomi sort de sa léthargie pour prendre vie. Elle commence par s'habiller, puis se toiletter, avant de partir à la découverte du monde et tenter de trouver sa place dans la société…
Le nippon Hirokazu Kore-Eda est de ces réalisateurs pour lesquels un film est avant tout un regard sur son propre pays, sa société et les individus qui la font. Aussi, la perspective d'un métrage dédié au phénomène «I-Doll» («Ai-Doll», poupée pour l'amour) ne pouvait être que réjouissante et annonçait, à n'en pas douter, une plongée enrichissante au cœur d'un mal-être véritable et malheureusement symptomatique. Le spectateur de AIR DOLL sera rapidement conforté dans ses attentes avec une première demi-heure placée sous le signe de la tendresse. Une tendresse émouvante et si sincère qu'on en vient rapidement à oublier de «juger» cet homme à la routine pathétique. Interprété par un Itsuji Itao magistral, le personnage de Hideo n'a rien d'un pervers ou d'un dépravé. La sexualité ne guide nullement sa démarche et c'est son unique et déchirante solitude qui le fait. Vivant en plein cœur d'une mégapole, Hideo n'en est pas moins isolé, désemparé et perdu. Au point qu'il en est semblable au Charlton Heston du SURVIVANT, liberté en moins. Le personnage de Hideo ne se contente donc pas de faire respectueusement l'amour à sa poupée. Comme des milliers de japonais, il lui parle et la considère plus intéressante que n'importe lequel des humains formatés qui l'entourent…
Il faut tout de même rappeler que la Ningyō, la poupée, fait partie intégrante de la culture nippone. La fête calendaire Hina Matsuri lui est même dédiée et tous les 3 mars, les petites japonaises exposent soigneusement des poupées traditionnelles dont elles prennent grand soin le reste de l'année. En fonction de ce qu'elle représente, la poupée a une histoire, un style et bien souvent une école où enseignent des Maîtres créateurs dévoués à leur art. Regards, émotions, proportions et positions sont les éléments réfléchis et structurants d'une Ningyō digne de ce nom, c'est-à-dire digne d'être convoitée par les collectionneurs. Un tel culte, vieux de plusieurs centaines d'années (milliers diront les spécialistes), ne pouvait avec les années et les progrès techniques qu'aboutir à une variante «moins chaste», plus libertine.
La première «I-Doll» est née au japon en 1965 et depuis, ne cesse de voir son succès croître et sa vocation s'élargir. D'objet sexuel, elle est devenue une compagne du quotidien, une présence rassurante et réconfortante, dispensant sans attente de retour un regard éternellement approbateur et conciliant. Les artistes créateurs de ces poupées s'astreignent à la même rigueur que les meilleurs fabricants de poupées classiques. Toute émotion doit être absente et les yeux ronds de nos demoiselles de silicone ont pour vocation d'être rien moins que le miroir de l'âme… Une notion incroyablement subtile qui sera reproduite à merveille dans AIR DOLL. Du moins durant la première partie. L'actrice coréenne Bae Doona (THE HOST, SYMPATHY FOR MR. VENGEANCE) crève littéralement l'écran et nous éblouit par sa beauté, nous fascine par son absence notable d'émotion. Et pourtant, cette poupée extraordinaire n'a qu'une envie : vivre et ressentir…
Telle un Pinocchio de plastique, Nozomi prend donc vie par le biais d'images aussi soignées que poétiques. Il en sera de même durant tout le film. Hirokazu Kore-Eda chérit sa poupée avec une minutie étonnante et fait de chaque souffle de vie un grand moment de sensibilité. La poupée découvre le monde des vivants avec des yeux d'enfant et, parallèlement, le jeu de Bae Doona s'étoffe d'émotions nouvelles et justes.
Malheureusement, passé un premier tiers réjouissant, Hirokazu Kore-Eda semble aussi victime de la poupée que l'est Hideo dans le film. Le réalisateur accumule alors les idées avec plus ou moins de succès et de logique. Certaines sont magnifiques (la «petite mort» consistant à dégonfler puis regonfler Nozomi) alors que d'autres s'avèrent très douteuses (le nettoyage régulier du vagin artificiel). Ensorcelé par le personnage auquel il donne vie, Kore-Eda en oublie de travailler son histoire et passe même à côté d'une satire sociale qui semblait d'autant plus évidente qu'elle apparaissait dans le manga «The Pneumatic Figure of a Girl» dont est tiré le métrage.
Si l'influence du manga se ressent, c'est en revanche dans la tentative assez régulière de relancer la machine en ajoutant de nouveaux personnages. La chose est logique sur le papier mais ici, il est clair que certains individus n'apportent rien alors que d'autres laisseront perplexe quant à leur signification. De toutes ces «pièces rapportées», seul le créateur de poupées offre un souffle réel (mais tardif) à l'histoire. Reste que régulièrement, le réalisateur semble avant tout jouer avec son personnage et ne plus pouvoir s'arrêter. Le film s'étire dès lors de manière très artificielle jusqu'à un final clairement décevant.
Difficile donc à l'issu du visionnage de se montrer totalement convaincu par ce AIR DOLL malheureusement trop inégal. Soigné et sensible, le film cumule trop de fausses notes et de personnages secondaires vides pour maintenir l'intérêt sur la durée. Deux heures qui semblent par instants bien longues, surtout lorsqu'elles se résument à attendre la prochaine saynète dédiée à une poupée dont la substance finit par s'étioler. Nul doute donc que cette AIR DOLL possédait du cœur et une plastique superbe, mais au final, on ne peut être que déçu de constater qu'elle était surtout faite de vent…
Pour découvrir le film, en attendant une sortie dans les salles françaises repoussée à plusieurs reprises, il faudra donc dans l'immédiat se tourner vers l'import asiatique. Il y a quelques semaines, le Japon a donné le La en sortant deux éditions sous-titrées en anglais. L'édition simple, chroniquée ici même, n'offre au spectateur qu'une simple bande-annonce en guise de supplément. L'édition Collector, en édition limitée, ajoute à cela un booklet de huit pages de notes, seize pages de photographies ainsi qu'un second disque contenant le making-of. Reste que ces deux alternatives sont très onéreuses. Comptez trente-cinq euros pour la simple et cinquante pour la double qui est, de toutes façons, à présent épuisé chez l'éditeur. En raison de son prix élevé, nous conseillerons aux curieux de se tourner vers les revendeurs hongkongais. L'édition chinoise vient en effet de voir le jour, disposant elle aussi d'un sous-titrage en langue de Shakespeare et ce pour une somme n'excédant pas les dix euros… Néanmoins, nous n'avons pas pu voir cette édition chinoise et il nous est difficile d'en commenter la qualité.
Mais revenons sur notre disque nippon. Celui s'offre une jaquette et un menu d'une grande sobriété, en adéquation avec le visuel doux et pastel du métrage. Le film nous est proposé dans son ratio d'origine, à savoir du 1.85. L'encodage 16/9ème offre une définition des plus satisfaisantes et la palette de couleurs se voit restituée avec grand soin. Les noirs sont puissants et nous ne noterons aucun défaut numérique sur cette copie en outre parfaitement propre.
Sur le plan sonore, nous n'aurons guère le choix et la version originale japonaise s'imposera donc d'elle-même. L'unique format disponible étant la stéréo, il ne faudra pas nous attendre à une quelconque immersion sonore renversante. Cependant, les mélodies sont agréablement restituées et les dialogues s'avèrent parfaitement audibles sur toute la durée du métrage. L'ensemble est plutôt posé mais très précis, voire minutieux, participant ainsi à l'ambiance cotonneuse générale du film.