Au XXIème siècle, des vaisseaux-prisons sillonnent l'espace et envoient des prisonniers à la découverte de nouvelles planètes. Le prisonnier 287138 (Daniel Olbryschski) arrive ainsi sur la planète Australia 458, accueilli comme un héros dont il hérite le nom. Mais «Héros» va découvrir toutefois qu'il y a un certain prix à payer pour cette reconnaissance.
Piotr Szulkin est un réalisateur relativement peu connu hors de sa Pologne natale. Ce natif de Gdansk a pourtant derrière lui une œuvre riche. GA, GA – CHWALA BOHATEROM (traduction : AREUH, AREUH : GLOIRE AUX HEROS !) fait ainsi partie d'une tétralogie de science fiction qui a commencé avec GOLEM en 1979, se poursuivant par WOJNA SWIATOW - NASTEPNE STULECIE, une revisitation de la Guerre de Mondes en 1980, O-BI, O-BA - KONIEC CYWILIZACJI en 1984, l'un des seuls post-nuke polonais existant à notre connaissance, et enfin GA, GA – CHWALA BOHATEROM en 1985. Comme beaucoup de films émanant des pays d'Europe centrale, émergeant petit à petit d'un joug totalitaire à cette époque, GA, GA – CHWALA BOHATEROM est une satire haute en couleurs et en excès oscillant entre le grotesque, le surréalisme et la parabole politique . Piotr Szulkin est un peu précurseur en la matière. Déjà conscient des ravages à venir en ce qui concerne la télévision dans WOJNA SWIATOW - NASTEPNE STULECIE, et annonçant un futur bien sombre, il enfonce le clou concernant la société polonaise en voie d'ouverture vers l'Europe de l'Ouest. Prenant le concept d'un film de Science Fiction, il livre une vision à la forme surréaliste mais n'oubliant pas de garder sa tête sur les épaules. Au XXIème siècle, le bonheur règne sur Terre si bien que plus personne ne daigne explorer l'espace.
La notion de héros n'est plus celle que le cinéma américain a bien pu apporter. Ici, il faut commettre un crime afin de devenir un héros et crever empalé dans un stade en délire. Partant de ce principe à rebrousse poil, Piotr Szulkin construit son scénario sur un univers absurde qui a pris le pas sur le bon sens. On pourra d'ailleurs noter que l'ensemble de l'encadrement du vaisseau prison représente ainsi un microcosme de la société dirigeante polonaise en l'état : le politique, le religieux, les législateurs, les scientifiques… Ceci est répercuté sous la forme d'un choix entre quatre voix pour son ordinateur de bord, choix offert au héros pendant son voyage.
Cette planète Australia 458 présente des similarités avec la Terre. Le bonheur et la joie de vivre sont de mise... sauf que plusieurs héros sont déjà passés par là. Tout est matière à contrat, signature, autorisations... Entre autres afin de pouvoir profiter d'une prostituée mineure (qui ne travaille pas au-delà de 22 heure, une loi est là pour encadrer la chose !). Les détails grotesques abondent et on perçoit bien l'humour noir et désespéré d'un cinéma alors en pleine crise identitaire. Devant changer son scaphandre de cosmonaute, le Héros fouille un placard n'étant pas le sien. Un bras surgit et commence à l'étrangler... Jusqu'à ce qu'il arrache le bras en question. Se rendant dans un stade avec son guide, il découvre l'endroit où il va se faire empaler. Persuadé que le destin tracé du héros le comblera de joie, le guide commence à réaliser en fait que le-dit héros n'est en rien intéressé par cette fin atroce malgré l'exubérance, le sens de la fête, les parades présentes qui tournoient dans le stade. Stade orné d'ailleurs de gigantesques proverbes en allemand disséminés le long des bans «Ordnung must sein» («l'ordre doit régner», entre autres joyeusetés). Réminiscence de l'Allemagne nazie et de sa mise en scène de ses propres héros ce qui renforce cette notion d'art et d'artifice qui règne sur l'ensemble de GA, GA – CHWALA BOHATEROM.
Les motifs de ce voyage suggèrent une corrélation entre un déplacement physique et métaphysique. La spiritualité devient rapidement évacuée avec le personnage ridicule du prêtre, tout comme la science, la rationalité et l'ordre. Daniel Olbryschski donne à son Héros une matière quasi ingénue et, au final, il ne s'avère jamais réellement surpris par ce qu'il rencontre. Même ses questions sur le pourquoi et le comment, ses réactions horrifiées (en premier lieu) ne font que renforcer cette idée de psyché troublée mais apaisée au bout d'un tel périple. Comme rassuré de comprendre qu'il est au bout de lui, qu'il n'a peut-être pas changé sur ses convictions premières, heureusement. Il s'agit d'ailleurs du seul personnage qui soit réellement humain. L'utilisation du symbolisme tout au long de la narration est ambivalente, tant nous ne sommes jamais sûr combien Héros apprend ou change au bout du compte.
La structure narrative de GA, GA – CHWALA BOHATEROM reprend celle, classique, de la cause et de l'effet à travers un voyage de découverte. Le tout fracturé par des irruptions fictives et déstabilisatrices d'une autre norme, d'une autre réalité que celle du spectateur. Des éléments que nous connaissons (une fête, l'attaque d'une banque, un hôtel…) qui, replacés dans l'aventure du héros de GA, GA – CHWALA BOHATEROM, donnent à nos comportements normatifs toute leur absurdité comme une mémoire des mémoires passées. Caractéristique d'un certain cinéma plus artistique utilisant cet artifice d'impossibilité de résolution de plusieurs points de scénario, de vision du monde à travers la subjectivité de son héros. Il existe très peu d'explications dans ses liens avec les autres personnages : l'adolescente aveugle – ou pas ; la frénésie du guide, le maquereau dans son bar glauque, le second héros s'abandonnant joyeusement aux excès qui lui sont demandés. La caméra s'abstient aussi de toute considération éthique, annonçant en ce sens le caractère intrinsèquement nihiliste du héros et de son récit.
La Pologne des années 80 s'est ainsi rendue à la civilisation américano-européenne de l'Ouest. Après l'espoir Solidarsnosc… rien. La ville représentée reste un avatar imaginaire de cette velléité de devenir une civilisation branchée avec un accès au Coca Cola, aux Hots Dogs, aux hamburgers… mais le bar en question et ses néons clinquants dans la nuit froide ne peut proposer que des Hots Dogs aux doigts humains. Horrifié, Héros refuse le plat en question. La barman se confond en excuses car il réalise qu'en fait les doigts ont les ongles qui ne sont pas coupés ! Piotr Szulkin pousse ainsi la satire dans d'ultimes retranchements – il aime particulièrement les bras arrachés puisqu'un deuxième nous est resservi aux deux tiers du métrage.
Les excès de cette métaphysique rebelle s'oppose à celle, religieuse, d'un autre cinéaste polonais comme Krysztof Zanussi qui sortait en même temps un film à la limite du fantastique, LE POUVOIR DU MAL, opposant les notions de bien et de mal, de grâce divine. L'incapacité de lutter contre le mal, une sorte de résignation. Une ligne de travail que Zanussi a égréné le long de ses films, sur la fatalité de la vie et de la mort dans LA CONSTANTE ou sur la critique voilée du système polonais dans LE CONTRAT. Le tout sous l'influence du symbolisme ; marque de fabrique du cinéma polonais de cette époque. Szulkin réfute cette idéologie de destin inaliénable, d'austérité comportementale, de forme narrative conventionnelle tout en demeurant critique sur les valeurs qui agitent la Pologne – le monde.
Passés l'école de Lodz, les Wajda, Kieslowski, Zanussi… la parabole et la critique socialo- politique a eu son heure de gloire. Et après ? Szulkin propose un constat très amer. La civilisation du bonheur, qu'elle soit sur Terre ou dans un pays imaginaire, n'est qu'une dictature du bonheur. L'enfer, c'est les autres (c'est bien connu), le héros préférant ainsi une planète sans humain. Il n'y a donc plus de modèle viable. Avec l'écroulement du rêve communiste et l'idéalisation en trompe-l'oeil du capitalisme adapté à la Pologne, il ne reste que peu d'espoir. L'amour ? En compagnie d'une prostituée mineure ? Sans technologie, sans communication ? Le film adopte ainsi une position misanthrope et nihiliste grâce à son ton et à son visuel.
Mais nous direz-vous, et «Ga, ga» dans tout ça ? La traduction littérale est ainsi «Areuh, areuh», ou le babillage du nourrisson. Quelque part entre les seuls mots à prononcer devant une bureaucratie galopante et une renaissance du genre humain.
Le DVD polonais, en Zone All, présente le film dans un format 1.78:1 avec un transfert 16/9. On note des couleurs vives, des contrastes agréables et une luminosité équilibrée tant dans les scènes de jour comme de nuit. Certains efforts ont été faits afin de gommer l'épreuve du temps, mais le passage des différentes bobines cinéma restent bien présents. Lors de ses passages, on remarque non seulement le signal de changement de bobine, mais également une multitude de poussières blanches ça et là. La piste sonore polonaise est en Dolby Digital 2.0 mais ne présente là aussi pas de miracle. Un souffle permanent règne le long des 81 minutes, ce qui peut rendre dommageables certaines scènes supposées être silencieuses.
Côté bonus, il faut en premier lieu parler et comprendre le polonais car rien n'est sous-titré, comme dans la majeure partie des éditions polonaises de films polonais. Tout d'abord une biographie et une filmographie extrêmement complète du réalisateur. Ensuite, quatre interviews de Piotr Szulkin par un critique sur ses autres films sortis en DVD. Puis les films annonce des films discutés et enfin une galerie de photographies.