Une journée comme les autres à Séoul sur les bords du fleuve Han, où les badauds ont l'habitude de flâner. Une créature gigantesque surgit alors de l'eau, avalant tout être humain sur son passage, créant une panique hors du commun. Au milieu du carnage, Park Gang-du, un incapable de première tenant un petit snack avec son père sur les bords du fleuve, voit le monstre disparaître dans les eaux non sans emporter avec lui sa jeune fille. Brisé, l'homme est placé en quarantaine avec sa famille (son père, mais aussi son frère et sa sœur). Une famille dont on ne sait si elle est venu le soutenir ou l'accabler. C'est alors que Gang-du reçoit un coup de téléphone inattendu. Sa fille lui révèle qu'elle est toujours vivante et prisonnière du monstre dans les égouts de la ville. Tandis que les Etats-Unis envoient leur armée sur place pour maîtriser un virus transmis par la créature, la famille Park décide de « s'unir » pour retrouver leur petite fille.
Le film de monstre à tendance « film catastrophe » est particulièrement peu représenté dans le cinéma coréen. Ceci s'expliquant par le goût immodéré des voisins japonais pour les créatures les plus improbables, cinéma japonais qui fut longuement interdit en Corée en réponse aux dramatiques relations historiques entre les deux pays. Cependant, quelques efforts locaux tenteront de concurrencer GODZILLA sur ses propres maquettes, comme YONGARY, MONSTER FROM THE DEEP en 1967, qui connaîtra une suite en 1999 sous le titre YONGGARY. Daté de 2006, THE HOST vient apporter une vision neuve, contemporaine et culturellement engagée du film de monstre. Une vision qui plus est signée par Bong Joon-ho, un jeune metteur en scène qui n'a pas l'habitude de se laisser docilement enfermer dans les genres qu'il investit.
Déjà auteur de la comédie (inédite chez nous) BARKING DOGS NEVER BITE en 2000, le réalisateur voit sa réputation exploser sur la scène internationale trois ans plus tard avec MEMORIES OF A MURDER. Le film, qui suit l'enquête d'un policier de campagne entiché d'un collègue « progressiste » de la ville pour démasquer un tueur en série, prenait le masque du thriller à l'américaine pour mieux brouiller les pistes et peindre un portrait doux amer de ses concitoyens. La force principale de Bong Joon-ho ? Cette facilité à passer du drame à la comédie pure, de l'horreur à l'incongruité, de la satire sociale à la fantaisie, tout en refusant les réponses toutes faites du cinéma de genre pour mieux laisser ses personnages se débattrent avec leurs propres contradictions. Fort du succès de MEMORIES OF A MURDER, Bong Joon-ho se voit confier la somme (faramineuse pour la Corée) de 11 millions de dollars pour mettre en scène THE HOST, un film dont les apparences sont bien évidemment trompeuses.
Le cadre du film de monstre (des DENTS DE LA MER à ALIEN) est un univers codifié que THE HOST va s'amuser à violer en permanence. Envolée la coutume de retarder la représentation frontale du monstre. La créature de THE HOST nous est dévoilée dans ses moindres détails à une dizaine de minutes du générique de début, et ce en plein jour. Adieu la « moralité » des victimes de ce genre de film. Ici, femmes comme enfants, figurants comme personnages principaux sont sacrifiés sans aucun état d'âme, le plus souvent avec une brutalité hors norme. Mais plus que bousculer le sous-genre, THE HOST alterne les tons comme un chef cuisinier fait cohabiter les saveurs les plus antinomiques à l'intérieur d'un même plat. L'horreur fait place à l'humour (le film fourmille de gags parfois potaches), le drame renvoit la seconde d'après au grotesque (voir la scène de deuil familial dans le gymnase), l'effluve d'un cinéma d'auteur centré sur ses personnages se mélange avec un spectacle de pur divertissement.
Plus encore, THE HOST est aussi un film engagé. Le film fait trois grosses références à l'actualité, comme autant de pics envers les déboires des Etats-Unis sur la scène internationale. Le monstre issu du versement de produits chimiques dans le fleuve Han par une entreprise américaine n'est pas qu'un argument de série B. C'est une référence écrasante au scandale « Albert McFarland », un entrepreneur de pompes funèbres travaillant pour les forces américaines en Corée, et qui ordonna le versement de polluants dans le fleuve avant d'être condamné. La sous-intrigue du virus que porterait la créature de THE HOST, rumeur fabriquée par les USA pour envahir la Corée afin d'y tester de nouvelles armes bactériologiques, est une référence à la chasse fictive aux armes de destruction massive qui servit « d'excuses » aux Etats-Unis pour envahir l'Irak (THE HOST saupoudre le tout de la paranoïa qui fit trembler l'Asie avec l'épidémie de Sras). Plus anecdotique, le film met en scène « l'agent jaune », un gaz offensif parodiant « l'agent orange » utilisé au Vietnam.
Le but de Bong Joon-ho n'est pas pour autant de cultiver l'anti-américanisme (bien que la Corée du Nord ait, fait incroyable, salué officiellement THE HOST pour sa critique des Etats-Unis), ni d'alimenter une caricature potache de Ben Laden comme on a pu le lire à droite à gauche (sur l'argument que la créature de THE HOST, crée par les américains, servirait ensuite de cible pour son armée). Plus exactement, THE HOST critique la faiblesse politique de la Corée face aux Etats-Unis, et de manière plus globale l'asservissement du plus faible par le plus fort, y compris à l'intérieur de la population locale. La famille Park est bien entendu un modèle de petites gens cumulant les cicatrices de la vie, et qui devra faire face à une administration butée et idiote, ainsi qu'à des armées Coréennes et US corrompues. L'enjeu des Park est de sauver leur petite fille mais aussi de courir après la rédemption d'une vie qui accumule les ratages. Et le monstre dans tout ça ? S'il est bien présent dans le film, s'il est bien au cœur de moments d'anthologies (la première scène d'attaque est absolument extraordinaire), il s'agit autant d'une figure que d'une ligne de fuite narrative. Certains iront même jusqu'à dire un prétexte. THE HOST est avant tout le portrait d'une famille désunie dans une société qui les accule à l'échec.
THE HOST, film de monstre ou film monstre ? Une formule évidente qui tend à démontrer à quel point le film de Bong Joon-ho est dense. Trop parfois, ouvrant beaucoup de brèches ironiques sans toutefois parvenir à les refermer harmonieusement (voir la sous-intrigue du virus qui finit bazardée une fois la problématique lié aux personnages résolue). Hormis ce bémol, THE HOST est un excellent film, certes moins maîtrisé que MEMORIES OF A MURDER, mais qui promène son spectateur dans son univers improbable avec une aisance insolente. L'interprétation, impeccable, est menée par le formidable Song Kang-ho (JSA et SYMPATHY FOR MISTER VENGEANCE de Park Chan-Wook, THE FOUL KING de Kim Ji-woon et bien sûr MEMORIES OF A MURDER). Malgré son faible budget (pour un film de monstre), THE HOST bénéficie d'effets spéciaux numériques de haut niveau même si quelques plans trahissent le bricolage. Heureusement, les nombreuses idées liées au monstre (son mode de déplacement atypique, ses détails anatomiques comme sa bouche en forme de vagin) amènent l'attention du spectateur au-delà de la technique pure. Comble de l'ironie, ce sont en partie des spécialistes américains des effets spéciaux (dont The Orphanage) qui sont aux ordres de cette production coréenne.
Mais plus que tout, c'est l'univers et le talent d'écriture de Bong Joon-ho qui remportent les suffrages. L'homme ose tout (une lobotomie va mettre du plomb dans la tête au crétin de la famille), verse avec jubilation dans le dégueulasse (voir le système digestif du monstre qui lui fait vomir les ossements de ses victimes), ou encore démystifie l'horreur par l'absurde (Gang-du s'évadant à grand peine d'un complexe médical expérimental pour tomber sur le jardin de l'établissement où ses tortionnaires se détendent autour d'un barbecue). L'homme flirte très souvent avec la parodie pure, comme pour mieux nous signifier que tout cela n'est qu'une farce. Faut-il rire ou pleurer lorsque ce médecin américain explique longuement et dans ses moindres détails le plan américain d'envahissement de la Corée, alors que ce dernier souffre d'un strabisme divergent hilarant ! Tout cela nous ramènerait à l'exercice de style si Bong Joon-ho n'utilisait pas ces ficelles pour mieux regarder ses personnages les plus incapables avec une empathie incroyablement touchante. C'est dans ces moments que THE HOST montre ses véritables intentions : passer par le monstre pour mieux atteindre l'humain en profondeur.
Précédé d'un gigantesque succès public dans son pays, d'un accueil très encourageant à la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2006, d'une presse généraliste dithyrambique, le distributeur français du film a bien cru que l'heure était venu pour le cinéma asiatique de sortir de sa niche d'initiés. Programmé sur un nombre d'écrans conséquent, le film essuya un échec spectaculaire face à des spectateurs français pas encore prêts à ce que l'on joue à ce point avec les étiquettes. Résultat, THE HOST arrive en France en DVD avec du retard, et une édition qui ne tient pas la comparaison avec son homologue coréen qui allait jusqu'à proposer quatre disques (dont le CD de la bande originale) pour son édition « Ultime ». Heureusement, la qualité technique de l'image est exempte du moindre défaut. Et si l'on peut regretter l'absence des pistes DTS de l'édition coréenne, le disque français propose des pistes en Dolby Digital 5.1 très dynamiques et très inventives en termes de spatialisation (on préfèrera de toute évidence la version originale).
La section bonus se montre particulièrement fournie, quasi labyrinthique puisque les featurettes promotionnelles y côtoient les documents plus pointus dans un enchevêtrement de sous-dossiers. «Aux origines de The Host» s'arrête sur le travail d'écriture et de pré-production effectué par Bong Joon-ho, ses co-scénaristes et les producteurs. Si les Making Of ont tendance à se contenter d'un reportage sur le plateau de tournage, il est agréable de découvrir ici un module complet dédié à la préparation du film. L'équipe d'auteurs revient notamment sur leurs longues sessions de repérages en extérieur, où ils prirent nombres de clichés afin de s'inspirer de nouvelles séquences. En bref, un excellent aperçu d'une étape passionnante et absolument primordiale pour la réussite future d'un projet de cinéma.
Arrêt à la case tournage avec «Tournage au cœur des ténèbres», un compte rendu uniquement centré sur les prises de vues dans les égouts de Séoul. Bien entendu, la production n'avait pas les moyens de reconstituer ces derniers en studio, obligeant l'équipe à s'y installer pour de longues journées dans l'humidité et les odeurs nauséabondes. L'inconfort, la saleté, et les nombreux problèmes techniques dus à l'eau, nourrissent les propos d'une équipe soudée par l'effort. On peut en revanche se passer du module «La famille Park» (une courte présentation promotionnelle des personnages par les comédiens), ainsi que «Bong Joon-ho en action» (un montage à la gloire du metteur en scène, le montrant donner de sa personne jusqu'à se blesser sur le plateau).
Le monstre est fortement représenté dans la section suivante, avec un premier arrêt centré sur son design. Bong Joon-ho n'ayant pas de vision arrêtée sur la question, la créature s'est littéralement construite sur les exigences du scénario. De tâtonnements en tâtonnements, les dessins de production défilent sous nos yeux jusqu'au concept final. «La communauté de Weta» donne bel et bien la parole au débonnaire Richard Taylor dont la célèbre société d'effets spéciaux a œuvrée sur THE HOST… Ou presque ! Déjà engagé sur plusieurs films (dont le KING KONG de Peter Jackson), Weta ne pu assumer comme prévu la création de la sculpture du monstre (destinée à être ensuite numérisée dans des ordinateurs pour son animation en 3D). En contrepartie, la société a ouvert ses portes et ses moyens à Jang Hee-chul, l'artiste coréen responsable du look de la créature. Talentueux, mais encore novice pour une tache de cette ampleur, Jang relève le défi à bras le corps, sous l'encadrement et les félicitations bienvaillantes des employés de Weta. «De l'animatique au rendu final» est le dernier supplément consacré aux effets spéciaux. Il permet de visionner successivement les étapes de trois séquences, du story-board animé de manière sommaire, aux prises de vue réelles sans trucage jusqu'au « compositing » final. Un document certes intéressant pour les initiés, mais qui compense mal un module dans les locaux de la société américaine The Orphanage, qui dut user de nombreuses astuces pour accomplir l'animation et l'intégration numérique des effets dans le budget si limité du film. Plus anecdotiques, «Dans la tête du monstre» essaie de résumer le film du point de vue de la créature, de ses besoins à son instinct. Amusant bien qu'un peu longuet.
Le terme «Scènes coupées» est un peu fort pour nommer le prochain tiroir de la section bonus. «Plans coupés» serait plus approprié tant il s'agit ici d'un fourre-tout de ce qui a pu tomber de la table de montage, le plus souvent des plans de situation sans grand intérêt livrés tels quels (dont quelques plans finalisés de la créature). Petite attention de l'éditeur français, un supplément inédit nous attend avec l'interview de Bong Joon-ho lors de la promotion du film en France. Assez général, cet entretien permet à l'auteur de revenir sur ses inspirations, les évènements qu'il a voulu caricaturer, ainsi que la notion très coréenne de superposition de sentiments contradictoires, notion qui conditionne énormément les ruptures de ton du film. Une archive de bandes-annonces referme cette section, dense bien qu'inégale, laissant derrière elle des impasses dommageables (l'absence de The Orphanage, ainsi qu'un suivi plus complet de l'ensemble du tournage). Une édition française très honorable donc, mais qui souffre de la comparaison avec les somptueux coffrets coréens du film.