Header Critique : ANTRE DE LA FOLIE, L' (IN THE MOUTH OF MADNESS)

Critique du film et du DVD Zone 2
L'ANTRE DE LA FOLIE 1995

IN THE MOUTH OF MADNESS 

En 1995, John Carpenter conclut sa trilogie “apocalyptique” par L'ANTRE DE LA FOLIE (IN THE MOUTH OF MADNESS). Après THE THING (1982) et PRINCE DES TÉNÈBRES (PRINCE OF DARKNESS, 1987), le réalisateur s'essaie une fois de plus à mettre en scène la face obscure du monde. L'ultime opus du cycle consacre ainsi une perception fort pessimiste de l'existence humaine, ici apparentée à l'horizon d'attente lequel, depuis plusieurs années déjà, singularise le spectateur de film fantastique. Pour ce, l'auteur d'HALLOWEEN exploite le potentiel des comédiens Sam Neill (John Trent), Jurgen Prochnow (Sutter Cane), Julie Carmen (Linda Styles), Charlton Heston (Harglow) et Frances Bay (Mme Pickman) pour donner vie aux personnages complexes du film. Par ailleurs, l'artiste s'adjoint les services d'une équipe technique dont l'extrême compétence explique la présence de certains membres au sein de nombreuses oeuvres du cinéaste. Le directeur de la photographie, Gary B. Kibbe (INVASION LOS ANGELES, LE VILLAGE DES DAMNÉS, LOS ANGELES 2013 et VAMPIRES), le monteur Edward A. Warschilka (notamment dans LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN), et le spécialiste des effets spéciaux, Bruce Nicholson (entre autres STARMAN), se réunissent pour nous épouvanter avec le dernier terme d'une trilogie qui justifie, s'il en était encore besoin, l'appartenance incontestée de Carpenter aux “Maîtres de l'Horreur” contemporaine.

Le monde littéraire est en émoi depuis que l'écrivain de livres fantastiques, Sutter Cane (Jurgen Prochnow), a disparu avec le manuscrit censé conclure sa très célèbre saga. L'éditeur Harglow (Charlton Heston) décide de faire appel à son agence d'assurance pour remédier aux évidents problèmes économiques consécutifs à la situation. Naturellement méfiante, la compagnie envoie l'un de ses meilleurs employés sur le terrain. Accompagné d'une assistante éditoriale (Julie Carmen), John Trent (Sam Neill) entame une vaste enquête pour finalement se retrouver dans une étrange ville où le pauvre homme aura quelques difficultés à distinguer le réel de l'imaginaire.

En premier lieu, L'ANTRE DE LA FOLIE s'interroge sur la fiabilité du mode de perception rationaliste. À l'image d'une profession dont il demeure l'illustre représentant, l'enquêteur en assurances s'attache à déchirer le voile des apparences pour mieux confondre certains de ses éventuels “clients”. Doté d'une confiance en soi apparemment inébranlable, le personnage évolue donc dans un environnement intelligible, pourvu de règles bien établies. De fait, cette caricature de la pensée occidentale moderne éprouvera d'autant douloureusement la subversion des lois qui définissent l'appréhension classique du réel. En effet, l'enquête menée en vue de retrouver Sutter Cane débouche sur une errance cauchemardesque, exhortant notre héros à se remettre en cause. Inscrit en filigranes par certains rêves et des saynètes évocatrices (notamment celle du “lynchage” d'un vagabond), l'étrangeté du monde au sein duquel s'agite Trent, atteint son apogée lors du séjour à Hobb's End. Devenue culte depuis, la scène nous présentant le passage d'une dimension à l'autre expose d'emblée les caractéristiques fondamentales du lieu qui permettra aux voyageurs de découvrir la face cachée de l'univers et en cela, de l'existence humaine. Perdus au milieu de nulle part, les automobilistes poursuivent leur chemin à “l'aveuglette” tandis que tombe la nuit. Naturellement très fatiguée, la conductrice du véhicule voit son parcours prendre une curieuse tournure, entre autres déterminée par la rencontre réitérée d'un cycliste, une première fois sous l'apparence d'un jeune homme, puis quelques minutes plus tard croisé en sens inverse, comme un hideux vieillard. Ajouté à maintes séquences ou symboliques équivalentes, cet épisode préfigure l'éclatement du cadre spatio-temporel (juxtaposition de deux stades antinomiques de la vie) qui ébranlera progressivement les certitudes de John. Celui-ci s'engouffre ainsi dans les méandres d'un dédale cauchemardesque, jalonné de manifestations et expériences contre nature. Tableau animé, étrange vieille femme (Frances Bay) ou enfants diaboliques singularisent une cité fantôme laquelle, d'abord apparentée à celles dépeintes par Lynch, verse dans une “horreur” plus ostensible avec l'intervention de monstrueuses créatures, de livres prophétiques et d'une figure du Mal (Sutter Cane) charismatique. Cette utilisation des topoï fantastiques se trouve valorisée par un traitement de l'espace-temps dont la répétition et (donc) la dissolution simultanées tendent à asseoir la déréalisation du décor. Car c'est bien à la structure du cadre référentiel que Carpenter accorde d'abord cette capacité à déstabiliser les personnages et spectateurs. En dépit de ses efforts pour rationaliser les événements, l'enquêteur en assurances ne peut en réfuter la dimension extraordinaire lorsqu'il constate son impuissance quant à quitter la ville. Si chaque tentative de fuite se solde par un échec retentissant, l'effroi du personnage se justifie surtout par la similitude exacte des courses avortées. La progression toute objective du temps irréversible est supplantée par un équivalent cyclique qui, expérimenté dans cette séquence, commande la mise en scène globale du film.

Ainsi, L'ANTRE DE LA FOLIE nous dresse le tableau d'un univers essentiellement atemporel, par conséquent propice au surgissement de créatures mythologiques. Privé de ses repères habituels, notre esprit cartésien se perd à l'intérieur du labyrinthe diaboliquement créé par une structure narrative qui s'évertue à faire s'enchevêtrer et correspondre certaines images et épisodes “jumeaux”. Rêves dans le rêve, flash back introductif d'équivalents internes ou ralentis (rarissimes chez Carpenter) établissent la détemporalisation d'un paysage où l'Éternel et l'Infini se substituent à l'enchaînement classique des événements. Cette incapacité à définir, voire à nommer, le soubassement obscur du Quotidien conduit à la folie. Débarrassé de ses “oeillères” rationalistes, Trent s'apprête à (re)connaître une terrible vérité ; celle de sa réelle position au sein de l'échiquier occulte du cosmos.

Finalement, le cinéaste réfère à une quête d'identité qui touchera de même le spectateur. Ce dernier est en effet amené à partager l'angoisse d'un héros avec lequel il entretient quelques affinités. Et c'est peut-être le point le plus original de L'ANTRE DE LA FOLIE. Contesté ici, le positivisme reflète l'omniscience souvent revendiquée de l'amateur de films fantastiques. Comme le Trent tente de déjouer les pièges dressés par ses clients, le spectateur aborde l'oeuvre doté de connaissances qui, selon lui, consacre sa supériorité sur le protagoniste. Pour conforter cette omniscience factice, le réalisateur truffe son métrage de clichés. En digne héritier des narrateurs imaginés par Maupassant, Villiers de L'Isle Adam, James ou Lovecraft, l'homme accuse un indéniable dérèglement mental, subordonnant ainsi l'histoire relatée au Doute. À cela s'ajoutent divers motifs tels “le livre diabolique”, “la ville abandonnée”, “l'image animée” ou “l'errance cauchemardesque sur une route” (PSYCHOSE), voués à entretenir une fausse complicité entre le film et son public. Dans un même ordre d'idées, Big John exploite judicieusement le potentiel des allusions référentielles comme le nom du site Hobb's End, auparavant utilisé par Roy Ward Baker dans LES MONSTRES DE L'ESPACE (1958), ou les multiples et souvent surestimées influences lovecraftiennes. Celles-ci redéfinissent l'aspect des monstres ornant les couvertures des livres, inspirent le personnage de la vieille dame (Le Modèle de Pickman) et la déclamation d'un texte lié aux Rats dans les Murs. Persuadé d'évoluer en “terrain connu”, le fan d'Épouvante éprouvera aussi douloureusement que Trent l'effritement de ses croyances et la révélation finale.

De manière générale, L'ANTRE DE LA FOLIE parvient à concilier par une problématique commune, la remise en cause d'une logique rationaliste, du monde, de l'existence et du statut de spectateur afin de dénoncer l'orgueil démesuré des hommes et d'un public vivant dans l'illusion égale de posséder un libre-arbitre. Si l'enquêteur en assurances mesure sa petitesse face à des Forces qu'il ne soupçonnait pas, le fan de genre réapprécie, non sans plaisir d'ailleurs, sa soumission au Créateur de l'oeuvre.

Faisant partie de ceux qui renouvelèrent le genre à la fin des années soixante-dix, l'auteur d'HALLOWEEN réactualise avec succès les codes de lecture qu'il avait contribué à imposer. Cette réussite doit également au jeu tout en finesse de Sam Neill, capable d'intervertir avec une incroyable dextérité, les différents aspects psychiques du personnage. L'immense travail du scénariste Mike De Luca, du directeur photo, Gary B. Kibbe et du chargé des effets spéciaux, Bruce Nicholson, mérite enfin d'être cité, voire célébré, comme les bonus du DVD Zone 2 semblent l'attester.

Tant espérée, la mise sur le marché français de L'ANTRE DE LA FOLIE nécessitait une édition de qualité exceptionnelle. Métropolitan répond presque à cette attente en proposant un scope 16/9 bien contrasté et défini. Le son en version originale 5.1 d'origine (DTS présenté en salle) est agréablement spatialisé ainsi qu'équilibré. En revanche, son équivalent pour le doublage français souffre d'une légère saturation. Afin de rendre la bande plus péchue, l'éditeur a excessivement compressé la dynamique. D'où des effets de “pompage” heureusement absents de la version originale, plus douce et naturelle. Malheureusement, il est aussi à noter un pépin sur la version originale qui se produit à la fin du générique débutant le film. En effet, le thème musical ne se termine pas correctement bien que cela ne saute pas tout de suite à l'oreille. Ce souci est absent de la version française et même sur les pistes 5.1 et stéréo surround du DVD paru aux Etats-Unis. Ce défaut sur la piste originale du DVD français reste un mystère ! Un peu longs, les menus en 16/9 et Dolby 2.0 pourraient agacer l'éventuel acheteur par leurs dialogues en boucle et en version française. Comme d'habitude chez Métropolitan, il demeure impossible de modifier la langue durant le visionnage et les sous-titres restent obligatoires sur la version originale.

DVD français
DVD américain

Les bonus de l'édition Zone 2 nous offrent principalement l'occasion de revenir sur les aspects techniques du métrage au détriment, à première vue préjudiciable, de son contenu thématique. “À première vue préjudiciable” dans la mesure où cette relecture tend à expliciter l'enjeu “philosophique” du film. Dans un premier temps, la (trop?) brève interview du réalisateur permet de conforter la relation d'intimité naturellement entretenue par l'amateur de genre avec une figure de l'Épouvante contemporaine. Le plaisir de voir apparaître sur notre écran l'ami John Carpenter n'a guère d'équivalent, si ce n'est l'écoute attentive de propos, certes évasifs, mais confirmant l'extrême sincérité du personnage. Durant huit courtes minutes, ce dernier revient sur les critères qui l'ont conduit à accepter la prise en charge du film. Scénario, comédiens exceptionnels, formidable équipe technique et occasion de mettre en scène des thèmes et des auteurs qui lui sont chers, le cinéaste évoque une expérience globalement positive.

L'un des chargés des effets spéciaux, Greg Nicotero, débute son entretien en mentionnant les éléments qui ont participé à engendrer sa vocation. Les couvertures des célèbres Famous monsters, les créations de Ray Harryhausen et certains films comme LA MACHINE À EXPLORER LE TEMPS ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA expliquent une passion dont la rencontre avec le réalisateur de L'ANTRE DE LA FOLIE en constitue une sorte de consécration.

Greg Nicotero s'intéresse ensuite aux influences lovecraftiennes qui décidèrent entre autres de l'esthétique des couvertures ornant les livres écrits par Sutter Cane ou de l'apparence, impressionnante avouons- le, des créatures imaginaires. Enfin, l'interviewé conclut en soulignant la volonté du cinéaste de limiter le nombre de monstres et les multiples remaniements de scénarios. À remarquer que Métropolitan fait preuve d'une certaine présence d'esprit en illustrant les dires de l'artiste par des images explicatives. C'est également le cas dans l'interview de l'actrice Julie Carmen laquelle, moins prolifique que son prédécesseur, mentionne ses sources d'inspiration, revient sur le caractère “glacé” du personnage féminin et rend hommage aux créateurs des effets spéciaux.

Outre la bande-annonce et des notes de production, l'heureux propriétaire de l' édition a également la possibilité de revisionner L'ANTRE DE LA FOLIE en compagnie du réalisateur et du directeur de la photographie, Gary B. Kibbe. Les deux hommes axent le principal du commentaire audio sur les aspects techniques du métrage. Fidèle à sa réputation, Carpenter fait preuve d'une réelle modestie en donnant régulièrement la parole à son acolyte. Fort judicieusement d'ailleurs, l'artiste pose les questions qui, estime-t-il à juste titre, devraient interpeller le néophyte. En outre, ces quelques informations acquièrent une portée inédite car coïncidant idéalement avec certains présupposés du film. Comme nous avons pu le constater, L'ANTRE DE LA FOLIE consacre la mainmise du cinéaste sur l'horizon d'attente. De fait, le commentaire audio met en exergue le point de convergence entre savoir-faire purement technique et création artistique. La réussite d'une œuvre, comprenons-nous progressivement, est en partie assujettie à un équilibrage parfait de paramètres aussi nombreux que variés. Une luminosité spécifique “déterminera” la position d'un comédien (marquages au sol) qui devra “subordonner” son jeu à la distance le séparant de l'interlocuteur lequel va “donc” prendre en compte... et ainsi de suite... Carpenter réinvestit l'Art de son sens initial, comme “produit” d'une forme d'artisanat. Une belle leçon d'humilité! L'efficacité demeure le maître mot d'un réalisateur bien décidé à jouer avec (de?) son spectateur. Partant de ce principe, la matière thématique semble être reléguée au second plan. Quelques commentaires sur l'importance du motif de “la folie” ou sur Lovecraft, surgissent de temps à autres. Parfois frustrant, ce parti pris est pourtant très cohérent au vu du sens du film: percer les mystères du Simulacre (réel / métrage) peut s'avérer fort dangereux et Carpenter apprécie trop le spectateur pour prendre ce risque. Finalement, L'ANTRE DE LA FOLIE conserve une partie de ses secrets et c'est tant mieux.

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Un film magnifique
Une très belle copie
Un commentaire audio passionnant
On n'aime pas
La qualité moyenne de la version française
Un pépin sur la version originale
Les menus comportant des dialogues français en boucle
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L'édition vidéo
IN THE MOUTH OF MADNESS DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h32
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital 5.1
Francais Dolby Digital 5.1
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Commentaire audio de John Carpenter et du directeur de la photographie Gary B. Kibbe
    • Retour sur le film avec John Carpenter (6mn47)
    • Entretien exclusif avec Greg Nicotero sur les effets spéciaux (17mn15)
    • Entretien exclusif avec Julie Carmen (6mn59)
      • Bandes-annonces
      • L'Antre de la Folie
      • Silent Hill (en amorce du DVD)
      • Samantha's Child (en amorce du DVD)
    • Notes de production
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